Se transformer mais pourquoi ?
Dans cet épisode nous allons parler de transformations et nous interroger sur ce qui les motive.
Notre monde contemporain est devenu le terrain de toutes les incertitudes. Il est VUCA et nous devons par conséquent nous transformer à marche forcée, nous n’avons pas le choix, c’est une question de survie.
Le fameux acronyme VUCA inventé par des militaires américains… Et je suppose que tu vas désormais nous annoncer un chemin difficile mais qu’au bout il y a un futur meilleur…
Exactement, nous affronterons mers déchainées et tempêtes mais grâce à l’engagement sans faille de toutes et tous, nous arriverons à bon port, sur une île aux plages de rêve…
D’accord chef. Mais moi je ne vois pas pour quelles raisons je devrais quitter mon joli petit lopin de terre… Alors, se transformer mais pourquoi… C’est quoi l’histoire ?
C’est au fond une double histoire ou plus exactement une histoire à double fond.
D’un côté, le spectre du monde incertain pour légitimer ce que l’on veut faire, sans s’interroger sur notre propre aversion au risque. On parle de permacrise, mais on ne se remet pas en cause.
Peut-être même que, parfois, c’est utiliser le registre de la peur pour faire passer des réorganisations non désirées par celles et ceux qui en subissent les conséquences. C’est le double fond. Mais là, attention au retour de bâton lorsque le danger sera imminent pour de bon.
La confiance organisationnelle, tissée de justesse dans la lecture des situations et justice dans les décisions qui en résultent, risquera bien d’être sérieusement entamée et on se retrouvera seul pour aller au front.
C’est un registre qu’on connaît en effet, et les collaborateurs ne sont pas dupes. Mais il y a l’autre fond, l’autre histoire. Celle de la conduite du changement et ce que l’on pourrait appeler ses insuffisances.
De l’autre côté en effet cette manière de conduire le changement souvent imparfaite. On connaît d’abord le premier écueil, particulièrement frappant dans certains projets informatiques.
Une vision technicienne des choses, sans considération des conséquences véritables de ce que l’on fait sur le travail des gens, sur leur métier, sur les gestes métiers etc. En substance, le registre du ça passe ou ça casse.
Souvent d’ailleurs par méconnaissance ou maladresse. On croît par exemple qu’il suffit de former à la prise en main d’un outil pour que les gens non seulement se l’approprie mais également l’utilisent avec pertinence pour qu’il produise le bénéfice qu’on en espère.
Tu veux dire l’énorme retour sur investissement qu’on avait vendu en début de projet et qu’on ne verra peut-être pas à la hauteur de ce qu’on espérait dans les faits ? Bon je pose ça là.
Admettons… Alors ils ont nommé des ambassadeurs, des gens du métier qui prêchent la bonne parole. Voilà qui est déjà mieux en effet. Une parole d’une plus grande proximité pour expliquer les choses.
La voix qui te chuchote l’avenir radieux dans le creux de l’oreille. C’est certain que cela touche plus et mieux que la circulaire ou le guide utilisateur. La proximité ça des atouts qu’aucun grand raout, façon kick off à la Ted sur scène, ne peut remplacer.
On progresse. Doucement mais on progresse. Certains vont même jusqu’à impliquer la RH dès le début pour être réglo… Genre information ou passage en CSE etc. etc.
Et certains le font même avec une pédagogie qui est réellement de qualité et en y mettant les moyens. Mais là où le bât blesse le plus souvent c’est sur l’objet de cette pédagogie.
Car, en effet, on fait le plus souvent la pédagogie de ce vers quoi on va, en en vantant les mérites. L’île paradisiaque et ses trésors. On identifie ce que chacun a à y perdre et surtout à y gagner et on explique tout cela.
Mais fait-on suffisamment la pédagogie des raisons qui motivent le départ. Pourquoi en effet tu vas accepter de quitter ton lopin de terre, qui t’es parfois si cher, pour cette île paradisiaque dont on te dit monts et merveille…
La pédagogie du pourquoi en quelque sorte. Pour quelles raisons faut il-se transformer ? On peut déjà commencer par la nécessité de l’adaptation constante bien sûr, c’est une dimension du sujet.
Ça c’est au fond la vie de l’entreprise, sa contrainte d’allier efficience immédiate et adaptation constante à son environnement, et c’est une des missions du management intermédiaire d’ailleurs.
Mais quand il s’agit d’un grand plan de transformation avec tambours et trompettes ou d’un simple projet, c’est essentiel. La clé réside dans la capacité des gens à comprendre intimement les motivations qui imposent le changement qu’ils vont devoir subir.
Pourquoi et pour quoi. Le premier est plus important que le second et on focalise plus souvent sur ce dernier, à tort, même s’il est plus facile à expliquer. Mais c’est en effet la clef.
Celle des deux piliers de tout édifice social, du ciment de la confiance qu’on y place : la justesse dans l’analyse des situations et la justice dans les décisions qui en découlent. Et c’est bien de cela dont il s’agit dans cette pédagogie du pourquoi.
Ou alors, lorsque celle-ci n’est pas faite, l’interprétation est libre, donc encore plus biaisée, et on ne manquera pas de penser que si on ne nous l’explique pas c’est bien la preuve que cela cache quelque chose…
En résumé, se transformer, quelle qu’en soit l’échelle, suppose un minimum d’adhésion de la part des acteurs. Cette adhésion ne dépend pas seulement de leur compréhension de ce vers quoi on va mais surtout de la légitimité des raisons pour lesquelles on y va.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.