Permacrise ou aversion ?

Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur le monde qui nous entoure et sur le regard que nous portons dessus

Ce n’est pas très compliqué à comprendre tu sais. Le monde est VUCA, tu sais ce terme inventé par les militaires américains. Pas besoin de dessin ni de grand discours, en un mot comme en 100, dehors c’est le chaos et l’incertitude…

Et tu vas ajouter « et tout cela bien plus qu’avant » et cela justifiera d’engager un grand plan de transformation… le spectre du monde du dehors qui nourrit les peurs et les espoirs du monde du dedans… Donc il faut bien qu’il change. J’ai bon chef ?

Bon tu te moques, je vois bien, mais en même temps, le monde du dehors il change non ?

Oui tu as raison, il change. Mais toi aussi tu changes… Alors, permacrise ou aversion, c’est quoi l’histoire ?

Permacrise, c’est une expression qui aurait été popularisée par un journaliste du Sunday Times, Josh Glancy, pour désigner une sorte d’état permanent de crise… Bon tu me diras, après le Brexit pas étonnant…

En fait, le terme, qui se répand comme ce fut le cas pour l’expression Vuca en son temps, traduit une idée simple : la succession rapide des événements majeurs qui nous affectent… En gros, tu n’es pas sorti de la crise de la Covid qu’arrive la guerre en Ukraine, puis la crise de l’énergie, puis l’inflation etc.

Bref, on n’en sort pas. Et cela marque les esprits au point qu’on en fasse le mot de l’année en 2022, du moins pour le Dictionnaire Collins… c’est te dire…

En réalité, ce dont il s’agit c’est un sentiment de permacrise, dit autrement le fait que nous estimions être en état de crise permanente… Un sentiment qui serait particulièrement éprouvé en Europe et surtout chez les jeunes…

Selon une enquête de l’Université de Bath, réalisée sur 10000 jeunes de 16 à 25 ans dans 10 pays, plus de 50% de celles et ceux qui ont été interrogés se sentirait triste, anxieux, impuissant face à l’avenir avec une forte inquiétude évidemment face au changement climatique.

Bref, en substance, ce que ce terme désigne donc c’est un sentiment d’angoisse face à des crises permanentes… des crises qui ne cessent donc de se succéder.

Un peu comme un signal sinusoïdal, tu sais en forme de vagues… Comme si les sommets, les crises, étaient si rapprochés qu’ils se mettaient à former une ligne horizontale… le « new normal » pour prendre un terme à la mode.

C’est le sentiment que cela donne en effet. Mais revenons un instant sur cela. Il s’agit d’une observation du monde qui nous entoure. Est-ce qu’il y a plus de crises qu’avant ? Sont-elles plus brutales ? Plus fréquentes qu’avant ?

On exclue le réchauffement de la planète et ses conséquences, on ne peut pas voir ça comme une crise comme les guerres ou les crises économiques, c’est un changement profond… pas un accident de l’histoire.

Rappelons juste qu’une crise, c’est un moment critique et c’est toujours lié à un facteur déclenchant, plus ou moins évident ou profond. Cela peut être court ou plus long. Si tu prends les crises financières, leur aspect cyclique a été étudié…  Keynes, Galbraith, Krugman, Aglietta…

La crise peut alors être vue comme un point d’inflexion ou l’un des moments dans un cycle financier qui suit une logique d’essor puis de reflux – la sinusoïde de tout à l’heure – avec un point de bascule, la crise.

Ah les cycles de Kondratieff qu’on nous enseignait à l’école… sur une durée d’environ 50 ans. Quand tu regardes depuis la première crise connue, celle des bulbes de tulipes aux Pays-Bas en 1637, tu peux te dire que les crises économiques et financières se succèdent. Rien de nouveau donc.

Mais les crises d’une nature en entraînent d’autres. Une crise financière qui entraîne une crise économique puis une crise sociale… Les effets psychologiques sont bien ceux d’une succession…

Si tu ajoutes à cela une épidémie mondiale que tu n’avais jamais vécue et une guerre dont tu ne connaissais l’existence que dans les livres d’histoires, les jeux vidéos ou les séries Netflix… On voit vite les sentiments que cela peut engendrer.

Mais si ton univers de référence est ailleurs dans le monde, un endroit où tu es plus exposé, peut-être ne portes-tu pas le même regard sur les guerres, une famine ou une épidémie… Ton expérience n’est pas la même et donc tu ne développes pas le même sentiment.

Alors dans ce cas, ce qui est en cause n’est peut-être pas la réalité de ce qui change mais la tolérance ou l’aversion qui est la tienne à un changement que d’autres ne verraient peut-être pas comme toi.

Une question de point de vue, en quelque sorte. Mais ce point de vue, il se forge à l’aune de ce que tu vis et les enseignements que tu en tires. Prends une hypothèse tiens, et je dis bien que c’est une hypothèse…

Les attentats de 2001, un changement géopolitique dans le monde : la toute-puissance occidentale – symbolisée par les Etats-Unis – touchée en son sein

7 ans plus tard, la crise financière de 2008 suivie d’une crise économique qui traduit un changement dans les rapports de force macroéconomiques du monde… avec une augmentation des déséquilibres financiers. On le fait court, les BRICS attaquent, le monde occidental est moins compétitif !

Arrive la covid… et on (ré)apprend l’incertitude de la vie… D’abord un rapport de force géopolitique moins en faveur du monde occidental, puis sur la géoéconomie et nous voilà à ressentir l’incertitude de la vie…

Puis notre sécurité… La guerre en Ukraine… Peut-être le sentiment de voir les remparts qui barricadaient une certaine forme de domination et de confort occidental tomber les uns après les autres…

Il ne manque plus que la planète qui brûle et te rappelle que si tu ne modifies pas en profondeur ta manière de vivre, cela ne va pas être durable… Et bah on se met à flipper…

Cette interprétation n’est qu’une hypothèse. Parmi d’autres. Mais elle a pour intérêt de nous questionner : le monde est-il plus risqué qu’avant ou notre tolérance au risque est-elle moins grande ? La poule et l’œuf !

Le méchant monde du dehors en crise incessante qui légitime tous les changements attendus de notre part ou le sentiment implicite du déclin de celui qui n’est plus en position dominante autant que par le passé et son intolérance à l’inconfort qui en résulte.

On peut toujours se demander si c’est dehors qu’il fait plus froid ou si nous sommes devenus plus frileux…

Ramené à la vie de l’entreprise, qui n’est pas étanche aux émois des citoyens que sont les salariés, on peut en retenir 2 idées.

La première c’est que la réalité est certainement plus nuancée. Les entreprises sont vraisemblablement soumises à une augmentation des contraintes qui pèsent sur elles, notamment réglementaires et normatives… Mais leur environnement n’est peut-être pas dramatiquement plus incertain qu’il l’a toujours été.

La seconde, c’est qu’à force de brandir les facteurs exogènes comme déterminants principaux de notre devenir, on évite le questionnement sur soi et c’est rarement source de progrès et encore moins une manière efficace de construire son avenir.

En résumé, l’état de permacrise est un sentiment qui résulte de l’expérience que l’on fait des crises et de leur succession. C’est la combinaison de la réalité et du sentiment qui résulte de l’expérience qu’on en fait. Omettre la part qui revient à notre propre subjectivité n’est pas la meilleure des manières de prendre notre destin en main !

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire