Quand la RH déplace la valeur au lieu de la créer

Dans cet épisode nous allons parler de valeur déplacée, ou de ce qui ressemble à de la valeur ajoutée mais qui n’en est pas toujours.

L’art de voir midi à sa porte. Le prisme de si petites lunettes qu’on ne voit plus que son nombril.

N’est-ce pas Alexandre Millon, écrivain belge, qui disait que « plus le nombril est énorme, plus il fait écran entre les autres et vous, entre le monde et vous. » Parfois, à observer la fonction RH, on peut se demander s’il n’y a pas un peu de cela.

On crée de la valeur pour soi, mais en crée-t-on vraiment sur le fond ? C’est une question qu’on aimerait se poser. Alors, la valeur déplacée en RH, c’est quoi l’histoire ?

Ce n’est pas une histoire de mauvaise intention. Loin de là. Et l’objet n’est pas de chercher des coupables. Ça, on s’en fout.

La fonction RH, comme bien d’autres, est soumise à de multiples pressions – à commencer par celle de sa propre productivité. Elle est soumise à des contraintes de toute nature, sans compter la complexité des sujets qu’elle doit traiter.

Mais à force de chercher la productivité, on ne sait plus quoi faire des tâches à faible valeur ajoutée. Alors on s’en débarrasse et on les déplace. La valeur n’est pas ajoutée, elle est déplacée. On va prendre quelques exemples pour illustrer.

D’abord, cette entreprise qui a démultiplié les solutions digitales de son SIRH multicouches qui ne discutent plus les unes avec les autres… Chaque métier RH a cherché à satisfaire son besoin spécifique, qui à la formation, qui au développement RH avec les entretiens annuels, qui à la paie ou encore au contrôle de gestion sociale…

Résultat : inflation du nombre d’outils, chacun optimisé pour le RH mais pas toujours pour le manager qui se retrouve sur-sollicité, à jongler entre plusieurs applis et avec toujours plus de saisie. Ce que faisait la RH, avant. Maintenant c’est le manager qui s’en charge.

On a toutes et tous dit dans la profession que le manager de proximité était le premier RH de l’entreprise, certes, mais quand même.

Le digital, il a bon dos. Ce n’est pas l’outil qui est responsable. C’est l’état d’esprit qui anime ceux qui les réclament qui est en cause. Centrés sur eux-mêmes, c’est-à-dire leur bout de processus, plutôt que sur la finalité ultime d’un processus global.

Le nez dans le guidon plutôt que vers la destination ? Ou la préservation de ses intérêts au détriment peut-être de ceux de l’entreprise, de ses forces vives ?

Il n’y a pas besoin de digital pour observer cet effet de valeur déplacée, qu’on aurait pu appeler aussi « se refiler une patate chaude ». Donnons un autre exemple, sans la question du digital, pour illustrer.

Je pense à cette chargée de formation qui m’a dit un jour : « c’est le manager de proximité qui connait le mieux ses équipes et leur planning et donc il peut inscrire lui-même ses collaborateurs aux sessions de formation. » Permettant aux chargés de formation de, je cite, « se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée ».

Et on peut le comprendre, les ressources sont limitées, dans la fonction RH aussi, alors on cherche à optimiser. Cela part peut-être d’une bonne intention mais là encore, le résultat final, c’est de la valeur déplacée mais vraisemblablement pas de la valeur ajoutée in fine.

La question à se poser est celle du coût (ou du gain) global pour l’entreprise, et non uniquement pour la fonction RH. Sauf que ce n’est pas simple : d’un côté on a une tache centralisée (l’équipe formation saisit pour tout le monde) donc plus facile à mesurer et quantifier…

De l’autre, la même tache est répartie auprès de plein d’acteurs, en l’occurrence les managers, la charge est alors souvent minimisée « tu parles ça leur prend 3min de saisir dans le logiciel » et on oublie qu’il faudra les piloter, les relancer, les sensibiliser.

Et encore, ça on pourrait le quantifier pour comparer les deux situations. Mais ce qui est encore moins quantifiable dans le 2ème cas, c’est l’impact sur les managers eux-mêmes qui se retrouvent à faire tampon et à jongler entre les différentes demandes des différents services.

Eh oui, la RH n’est pas la seule à leur déplacer de la valeur… Cette goutte d’eau pourrait bien faire déborder un vase déjà bien rempli – et on s’étonnera du turnover.

Au fond, ça pose la question du positionnement de la fonction RH : elle se veut « Business Partner, stratégique, politique et highlevel » donc elle se débarrasse des tâches qui ne sont pas valorisantes à ses yeux, à commencer par l’administratif.

C’est oublier que sa crédibilité tient dans sa capacité à délivrer LE service et ça commence parfois par se charger des tâches ingrates sans rechigner.

Les DRH convaincus, devront à leur tour convaincre la direction de l’entreprise, pour investir dans la fonction RH avec suffisamment de ressources pour prendre en charge ces tâches à faible valeur ajoutée sans s’en débarrasser, peut-être même en cherchant à les optimiser : automatisation, industrialisation, etc.

En RH comme ailleurs, la clé c’est d’abord de savoir si l’on pense ce que l’on fait dans une perspective globale, en l’occurrence au moins celle de l’entreprise dans son ensemble, en tenant compte des contraintes à 360.

Donc s’interroger sur ce qu’est la valeur, la valeur pour qui, donc identifier toutes les parties prenantes.

Et peut-être enfin adopter une posture « orientée client » c’est-à-dire de ne pas se focaliser uniquement sur ce que l’on fait mais aussi pour satisfaire qui. Les balanced scorecards en cela peuvent aider grandement.

En résumé, la fonction RH doit veiller à ce que ses processus RH crée de la valeur globalement, pour ses parties prenantes, pour l’entreprise, et ne déportent pas certaines tâches auprès d’autres, comme les managers, au risque de ne pas créer de la valeur mais de la déplacer.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.