C’est qui, les parties prenantes ?

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur ce que sont les parties prenantes ou stakeholders

Une entreprise ce n’est pas compliqué, des fournisseurs sur qui ont fout la pression, des salariés qu’on fait bosser à la schlague, des clients qu’on arnaque, et hop tout le pognon, le flouze, le grisbi dans les fouilles de l’actionnaire. La partie qui prend c’est l’actionnaire, un point c’est tout et Hop circulez il n’y a rien à voir.

En gros avec toi, il y a la partie qui prend et les autres qui en prennent aussi mais surtout dans la tronche… Une bien étrange définition des parties prenantes que voilà mon ami. Entre stockholder, celui qui a des actions, et stakeholder, celui qui a un enjeu, il y a bien un enjeu celui de ton éducation à refaire !

Mais si cette notion de parties prenantes entre peu à peu dans le langage de l’entreprise, dans ses pratiques aussi, du moins pour certaines d’entre elles, sait-on vraiment qui c’est ? Alors c’est qui, les parties prenantes ? C’est quoi l’histoire ?

C’est Freeman[1] qui a popularisé, si j’ose dire, cette expression de stakeholder, dans les années 2000. Littéralement ceux qui détiennent un enjeu dans l’entreprise.  Une notion finalement très large qui correspond en gros à ceux qui sont concernés par l’entreprise en question.

Donc des parties prenantes. En première lecture, c’est simple à comprendre. Quand on y regarde de plus près c’est plus compliqué.

D’abord la littérature académique sur le sujet montre qu’il y a plusieurs approches du sujet, que les problématiques qui ont donné corps à la notion n’ont ni la même visée ni la même portée et qu’elles n’impliquent donc pas les mêmes choses. La notion est donc protéiforme.

En français dans le texte tu veux dire que chacun y va à sa sauce ? Un peu un mot valise dans lequel on met tellement de choses différentes qu’il finit par ne plus vouloir dire grand-chose ou du moins qu’il perd de sa force.

C’est un peu ça oui. Tiens prends la RSE, thème connexe, c’est la responsabilité sociale ou sociétale des entreprises ? Pareil, tes parties prenantes, selon la manière dont tu appréhendes cette notion, ce n’est ni les mêmes acteurs ou agents, ni les mêmes relations donc responsabilité.

Très souvent le réflexe le plus souvent constaté en entreprise c’est d’ajouter aux actionnaires, les stockholders, les salariés, les clients et les fournisseurs.

Mais si tu limites à ce périmètre au fond tu t’inscris dans une logique simple : tes parties prenantes sont les acteurs avec lesquels tu as un engagement contractuel… donc une responsabilité qu’il faut honorer.

Mais la question de fond c’est se demander si, en tant qu’entreprise, on est responsable seulement devant ceux avec lesquels on a un engagement contractuel. Ca a le mérite d’être facile à identifier, tu peux en faire facilement l’inventaire.

Tu veux dire que l’entreprise responsable est responsable au-delà de ses engagements contractuels ?

Respecter la loi, payer tes impôts ce ne sont pas des engagements contractuels il me semble. Tu n’as pas signé un contrat synallagmatique avec les impôts ou l’URSSAF. En d’autres termes tu as des obligations, une responsabilité, à l’égard de parties prenantes qui ne sont pas contractuelles.

Et c’est là où cela devient intéressant comme notion. Quand on parle d’une responsabilité qui consiste à payer tes impôts, c’est à l’égard de la société civile que tu es responsable. Parce que concrètement, si tu y échappes par des moyens détournés, notamment illégaux, et bien tu arnaques la société civile.

Quand c’est illégal, ça saute aux yeux. Mais quand tu cherches par des voies légales à optimiser tout ce que tu peux. Est-ce que cela s’inscrit dans une posture que l’on peut qualifier de responsable ? Morale et responsabilité est-ce lié ? Voilà un bon sujet de philosophie pour le bac.

Cela renvoie donc à une notion non pas élargie mais moins claire de ce que sont tes parties prenantes. L’état, la société civile etc. en sont aussi. Ce sont bien des agents ou des entités, je ne sais pas comment il faut nommer cela, qui ont des enjeux liés à ton entreprise et qui peuvent en être plus ou moins affectées.

Il y a aussi tous les acteurs qui peuvent être indirectement affectés par tes actions ou ton activité. Il y a en effet les parties prenantes contractuelles ou celles qui sont évidentes car le lien est direct mais aussi celles qui peuvent subir les conséquences, ou en profiter, de ce que tu fais.

On appelait cela un temps des externalités, qu’elles soient positives ou négatives. Des acteurs qui n’ont rien demandé, contrairement à ceux qu’on a évoqué jusqu’à présent, mais qui sont potentiellement concernés par ce que tu fais.

Dis en d’autres termes, elles ne sont pas volontairement des parties prenantes. Elles subissent les effets et ont donc un enjeu au regard de ton entreprise. Là encore la société civile par exemple. Mais cela peut être d’autres entreprises ou tout simplement la planète quand tu pollues comme un cochon.

Le champ est donc vaste on le voit et les natures d’intérêt, l’intensité du lien qui relie l’entreprise à la partie prenante, les rapports de force et d’influence, ne sont pas les mêmes selon les cas.

Le sujet est d’autant plus complexe que l’on peut aussi se retrouver dans des situations où les différents points de vue sont regroupés en un seul et même agent. Quand tu prends une mutuelle, par exemple, le salarié qui est client de la mutuelle endosse deux rôles de parties prenantes en même temps.

Quand tu prends une coopérative de producteur, l’intérêt du fournisseur et de l’actionnaire fusionnent en un même agent.

En pratique, ce sont souvent les rapports de force qui régissent les choses. Malheureusement. Du moins pour les entreprises qui s’affranchiraient de la dimension morale liée à leur activité et n’appréhenderaient leur responsabilité que sous un angle technique et formel.

Le taulier a plus de poids, cela reste une distinction ténue. Le propriétaire et les autres.

En pratique aussi, cela vaut pour toute personne qui endosse une responsabilité et qui travaille avec d’autres. Est-ce qu’on se contente de son périmètre, je fais ce qu’on me demande, ou est-ce qu’on a une vision élargie de ma responsabilité et je me préoccupe de toutes celles et ceux potentiellement impactés par mon action.

En somme une question morale et de sens des responsabilités mais c’est un autre sujet. Mais elle souligne la nécessité et la complexité de bien identifier ses parties prenantes.

En résumé, la notion de parties prenantes ne se limite pas aux agents qui ont une relation directe ou contractuelle avec l’entreprise, à savoir clients, fournisseurs, salariés ou services de l’état. C’est aussi ceux sur qui l’entreprise a un impact plus ou moins direct. En tenir compte est une question de sens des responsabilités.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] Freeman, R. E., Wicks, A. C., & Parmar, B. (2004). Stakeholder theory and “the corporate objective revisited”. Organization science15(3), 364-369.