Quand les externalités deviennent des priorités

Dans cet épisode nous allons parler de ce qu’on appelle des externalités et nous interroger sur la nécessité de leur prise en compte par les entreprises.

J’ai lancé un super business cheffe, c’est le putain de concept, the killing product… T’as plus de beurre pour faire ton diner, hop je t’en livre en moins de 20mn ! Tu regardes ta série, tu kifferais des friandises ? pas de problème « on a tout où tu veux quand tu veux et toujours en moins de 20mn » on est là pour te l’amener…

Parce que je le vaux bien c’est ça ?… Satisfaire le moindre de mes désirs, pour lesquels je suis prêt à payer puisque je suis avide de les satisfaire au plus vite… L’idée est révolutionnaire pas de doute oui…

Ah tu vois je t’avais dit ! Mon idée de génie, une app user friendly, un peu de marketing automation et de growth hacking… Et je fais de la thune vite fait bien fait…

Et tu as pensé aux conséquences de ta super idée, le génie du siècle ? Tu crois qu’elle est responsable ton idée ou tu fais juste du fric en t’en foutant ? Ce n’est même pas « après moi le déluge » c’est « autour de moi le déluge » là maintenant … mais je m’en fous… Bref, le growth hacker de génie, tu n’as pas seulement perdu un prospect, tu as gagné un détracteur …

Pas si simple hein la vie des affaires ?… Il paraîtrait même que ce que nous faisons peut avoir des conséquences… Alors, quand les externalités deviennent des priorités, c’est quoi l’histoire ?

Les externalités… Revenons un instant sur ce que c’est. En fait c’est une notion ancienne qui date de la fin 1800 avec Sidgwick et qui a fait l’objet de très nombreux travaux depuis.

En substance, une externalité c’est une conséquence de ce que fait un agent économique sur un autre sans que ce dernier ne l’ait demandé, ni n’en obtienne une quelconque contrepartie. Il peut donc y avoir des externalités positives comme négatives.

Les négatives ont les imagine facilement… Le producteur de bouteilles d’eau par exemple qui pompe tellement sur une source naturelle que les pisciculteurs dont les bassins en dépendaient, plus bas dans la vallée, soient en faillite…

La pollution c’est la première qui nous vient évidemment à l’esprit. Notamment parce que ce concept d’externalité à été développé par un économiste anglais qui s’appelait Pigou … avec la taxe pigouvienne, l’origine du principe pollueur-payeur…

Il y en a des positives également. On l’illustre souvent avec l’exemple donné par James Meade[1] sur la coexistence de l’arboriculteur et de l’apiculteur. Les abeilles du second produisent un miel meilleur – donc plus cher – grâce aux arbres fruitiers du premier.

Et ce dernier bénéficie lui de la pollinisation de ses arbres – donc un meilleur rendement – grâce aux abeilles de l’apiculteur. Du win-win comme dirait l’autre.

Ce qui est clé dans cette notion d’externalité c’est que celui qui bénéficie ou subit la conséquence de l’autre ne l’a pas choisi et n’en tire ni ne paye de contrepartie. Donc cela revient à s’interroger sur les conséquences de ce que l’ont fait…

Tiens par exemple quand on écrit et diffuse du contenu gratuitement depuis des années à un rythme soutenu et que d’autres, étudiants, profs, organismes de formation, boîtes de conseil etc. utilisent ces contenus, c’est une externalité positive…

Ou peut-être même une raison d’être… mais la pollution engendrée pour produire ces contenus, notamment liée au digital, c’est une externalité négative…

Or, ce mot, par le caractère neutre qui est le sien – ce qui est au demeurant normal puisqu’il désigne un fait qui peut être soit positif soit négatif – peut aussi avoir un côté un peu édulcorant… mais c’est une autre affaire.

Ce qui nous interroge ici, concernant le monde de l’entreprise, c’est que ces externalités ne présentaient pas toujours un caractère prioritaire. Certaines d’entre elles oui bien sûr dès lors qu’elles constituaient un risque identifié important qu’il soit financier, juridique ou surtout pénal.

Mais la notion prend une toute autre dimension dès lors qu’on comprend que la société civile, donc les clients, les candidats, les salariés etc… sont de plus en plus sensibles et attentifs aux conséquences de ce que tu fais !

Dit en d’autres termes, les parties prenantes, y compris les actionnaires, sont en effet de plus en plus soucieuses de cette responsabilité à l’égard des tiers, de la société civile et de la planète dans son ensemble.

Il s’agit bien sûr d’abord d’une question morale à savoir celle de la responsabilité de la personne morale. Tout le sens de la RSE, la responsabilité sociétale et sociale de l’entreprise en tant que personne morale… dont on aimerait bien qu’elle le soit justement…

Et c’est le cas pour certaines d’entre elles sans aucun doute. Mais pour celles pour lesquelles ce serait moins évident de se soucier des conséquences de ce qu’elles font, il y a franchement un double intérêt assez facile à comprendre…

Tes externalités négatives en dupent de moins en moins et croire que cela n’a pas de conséquences sur les clients et les candidats après lesquels tu cours… et dont tu as besoin, c’est un peu naïf…

Et tes externalités positives, elles, elles constituent peut-être une dimension de ton projet d’entreprise, une preuve de ta raison d’être, un atout pour donner sens aux efforts ce elles et ceux qui y oeuvrent chaque jour ? Bref, un avantage concurrentiel !

En d’autres termes, les effets de bords auxquels certains prêtaient une attention limitée, à tort d’ailleurs, ont aujourd’hui des retours de manivelle qui conduisent à ce qu’il ne soit plus possible de feindre de les ignorer.

En résumé, l’activité d’une entreprise génère inévitablement des conséquences externes, sur la planète, la société et les autres agents économiques. La première raison de s’en préoccuper est morale. Mais c’est aussi une question d’intérêt, peut-être vital, dès lors que les parties prenantes et la société civile y sont sensibles et attentives.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] J. E. Meade, « External Economies and Diseconomies in a Competitive Situation », The Economic Journal, vol. 62, no 245,‎ mars 1952, p. 54