Internalisation ou externalisation

Dans cet épisode nous allons nous demander s’il vaut mieux internaliser ou externaliser la paie.

Tu connais l’adage « make or buy ». Tu fais ou tu achètes. Autrement dit faire ou faire faire.

En matière RH, c’est un éternel sujet, qui ne date pas d’hier, sur lesquels les défenseurs de l’internalisation de la paie s’opposent aux promoteurs de l’externalisation.

Bien évidemment, derrière tout cela, se dissimule des intérêts marchands – pas si discrètement que ça – parce qu’il s’agit d’un marché d’autant plus juteux qu’il génère des revenus récurrents.

Mais aussi des intérêts personnels en interne dans les entreprises, qui de carrière ou d’image que l’on se fait de son pouvoir.

Pourtant, tout le monde aimerait bien avoir une réponse. Que vaut-il mieux faire ? Alors, internalisation ou externalisation, c’est quoi l’histoire ?

Posons d’abord quelques jalons sous la forme de précisions. De quoi parlons-nous lorsqu’on parle d’externalisation et d’internalisation ?

L’externalisation c’est en théorie confier à un tiers externe la réalisation de quelque chose. La question qui se pose donc en l’occurrence c’est : c’est quoi ce quelque chose ?

Demander à un expert-comptable de faire ta paie à la main avec un crayon, une gomme et un boulier, en gravant des feuilles de paie avec un burin sur des tablettes en marbre et d’envoyer les déclaratifs obligatoires par pigeon voyageur, c’est de l’externalisation.

Pour sourire, rappelons qu’avant l’ère informatique qu’on connaît aujourd’hui, il y avait des mécanographes avec des cartes perforées qui ont ouvert la voie à l’automatisation grâce à l’informatique. Les bases étaient posées.

Ce qu’on appelait le « service bureau » dans les années 70 – quand l’informatique était à l’ère des gros calculateurs mainframe – en mettant à disposition des entreprises des moyens informatiques et des compétences humaines pour faire la paie, c’était déjà de l’externalisation.

En disant cela on voit schématiquement se distinguer deux grands blocs qu’on peut externaliser. D’une part, les moyens pour produire un service, avec en l’espèce l’externalisation des moyens informatiques.

De l’autre, la main d’œuvre permettant d’exploiter ces moyens informatiques. Donc les personnes et leurs compétences, en l’espèce pour caricaturer, des gestionnaires de paie.

Le marché a toujours inventé des termes pour qualifier tout cela. Les moyens informatiques, cela renvoie aujourd’hui à des notions comme le SaaS pour Software As A Service et au cloud.

L’externalisation comprenant en plus celle des moyens humains – les gestionnaires de paie ne sont pas tes salariés mais ceux du prestataire – renvoie à des termes comme externalisation complète, externalisation globale ou BPO pour Business Process Outsourcing par exemple.

Quant à l’internalisation, cela peut couvrir des réalités très différentes. On peut par exemple désigner une entreprise qui dispose de son logiciel de paie hébergé par ses services informatiques internes avec des gestionnaires de paie maison.

Mais on peut aussi parler d’un CSP ou « centre de services partagés » interne mais doté d’outils performants en Saas – donc externalisés – mais exploité par ses propres équipes paie.

Alors entre deux options qu’on désigne par des termes aussi généraux, dont chacun peut revêtir des réalités différentes, mieux vaut entrer dans le détail d’une analyse circonstanciée avant d’affirmer des banalités.

Pour illustrer notre propos et pointer du doigt le fait que les choses sont souvent plus complexes qu’on le croit, on va prendre un thème, celui de la sécurité des données.

Combien de fois entendra-t-on que l’externalisation c’est confier ses données à l’extérieur donc prendre plus de risque que les garder à l’intérieur. Dit aussi simplement que cela pourquoi pas.

Mais mettons en perspective un peu plus loin. D’abord sur un plan technique, un prestataire performant dont c’est le métier aura certainement développé une expertise en matière de sécurité des donnés bien plus avancée que ce que le service informatique de la PME du coin aura fait.

Sur un plan humain, ensuite. Tes salaires dans une base en interne, il y a bien un administrateur de base de données qui sera curieux de connaître le salaire du président non ? Alors que le gestionnaire de paie du prestataire mondial, qui se trouve dans un pays du Maghreb par exemple, tu crois que ça l’intéresse ?

Bref, comme toujours les réponses à l’emporte-pièce sont toujours imparfaites.

On en trouvera des SWOT et autres listes d’avantages-inconvénients qui penchent en faveur de l’un ou de l’autre, avec des arguments définitifs, qui arrangent souvent celui qui les avancent.

Meilleure courbe d’expérience et plus grosse volumétrie, donc économie d’échelle et gains de productivité en faveur de l’externalisation dont c’est le cœur de métier ? Oui en moyenne et en théorie bien sûr.

Mais ce sont des gains pour toi ou de la marge chez le prestataire ? Que dire d’un CSP interne dans un grand groupe avec des équipes ultra compétentes et fidèles et un SIRH performant et amorti ? Il a parfois de meilleurs résultats y compris en productivité, sans compter d’autres bénéfices.

Moins de dépendance à l’égard d’un fournisseur dominant qui fait la loi en faveur d’une internalisation qui milite en faveur de l’indépendance de l’entreprise qui ne veut pas être pieds et mains liées ? Bien sûr en théorie oui.

Mais que dire de la continuité de service en cas de pépin ? Que dire de la force de frappe d’un groupe mondial sur sa capacité à absorber rapidement la nouvelle acquisition que tu viens de faire en Europe de l’Est ?

Comment valoriser les coûts cachés en interne comme le temps des managers par exemple sans y aller au doigt mouillé ou raconter des âneries ? Comment raisonnablement benchmarker, pardon comparer, un coût complet, pardon un « TCO », en tenant compte de la réalité de la complexité de la paie chez toi là où le marché te donne des points de repère très généraux du genre 300 bulletins par gestionnaire.

Oui mais pour gérer quoi ? Une paie complexe ? Multisite ? Avec des entrées-sorties de partout ?

Le marché a clairement fait son choix en faveur de l’externalisation des moyens informatiques, cela ne fait aucun doute. L’externalisation complète a aussi de plus en plus les faveurs, notamment avec l’idée que la première a une garantie de moyens là où la seconde affiche une garantie de résultats.

Mais si l’on prend en compte tout ce qui doit être pris en compte – chacun des critères n’ayant évidemment pas la même criticité, importance ou sensibilité d’une entreprise à l’autre – comme…

Par exemple, les coûts complets, la sécurité, la continuité de service, la conformité et la qualité du service délivré, la souplesse de gestion en cas d’imprévu, les impacts sociaux et les symboles…

Autant dire que tirer un trait théorique, absolu et universel entre les deux c’est simpliste, faux et hors-sol. Comme toujours, il faut entrer dans les détails de manière circonstanciée pour prendre une décision.

Maintenant, une autre question se pose. Jusqu’où le marché et sa réalité laisse-t-il le choix mais c’est un autre sujet.

En résumé, pencher ex nihilo en l’absence d’une analyse circonstanciée en faveur de l’internalisation ou de l’externalisation, indépendamment de ce que le marché rend possible, c’est prendre le risque d’un choix théorique éloigné des réalités des situations.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.