Mais c’est quoi un salaire décent ?

Dans cet épisode nous allons parler de rémunération et nous demander ce qu’est un salaire décent.

Quand Einstein disait « tout est relatif » il faisait référence à la constance. Tout est relatif, oui, mais à quoi ? En l’occurrence à la vitesse de la lumière.

Mais en matière de pognon c’est quoi la constante qui peut nous donner un point de repère stable ? À quoi se référer ? Peut-on trouver un mètre-étalon ?

Surtout qu’en la matière, particulièrement en France où le sujet est toujours aussi délicat que tabou, la question de la rémunération charrie toujours son lot d’émotions, de préjugés et d’affirmations péremptoires.

On ne parlera donc pas ici de politique de rémunération, ni des techniques qu’elles mobilisent en entreprise et que manient à merveille tous les bons « comp and ben ».

En revanche, on va se poser une question simple. Du moins en apparence. Et tenter de ne pas y apporter une réponse simpliste. Alors, un salaire décent, c’est quoi l’histoire ?

Certaines et certains se rappellent peut-être ces femmes et hommes politiques épinglés pour leur déconnection avec le monde réel, celui des gens.

Ceux qui payent leur baguette de pain. Jospin s’était pris les pieds dans le pâton après le passage à l’euro, Giscard aussi, avant lui, dans un débat avec Mitterrand ou Copé, plus tard, qui était chocolat devant le prix des chocolatines.

Ou des pains au chocolat, sinon on va en vexer. Mais ce pain-là, s’il n’en mange pas – en l’occurrence cela avait été son argument pour masquer son ignorance – il se l’était pris dans le pif.

Le symbole de la baguette et du quotidien. Le vilain riche et le gentil pauvre. Difficile de ne pas se rappeler ses mots de Pierre Desproges : « les aspirations des pauvres ne sont pas très éloignées des réalités des riches. »

On se souvient de François Hollande, homme de gauche (enfin il paraît) bien emmerdé après avoir dit qu’il n’aimait pas les riches et qu’on était riche à partir de 4000 par mois.

En euros ou en francs ? Allez, au point où on en est ça ne change plus grand chose. Et c’est souvent avec ces angles qu’on débat, qu’on polémique sur le sujet. « Salaud de pauvre, salaud de riche », c’est bien, ce n’est pas bien, les autres c’est trop, moi ce n’est pas assez, les revenus astronomiques du joueur de foot qu’on admire, la richesse honteuse du vilain patron…

Des débats, quelque fois de comptoirs, parfois habités d’une jalousie qui aveugle autant qu’elle passionne exagérément.

Pour autant, le débat est légitime. À partir de quand, en effet, les écarts sont-ils supportables ou acceptables, des intéressés, de la société dans son ensemble ? Une notion par essence relative puisqu’elle repose sur un sentiment, sur l’appréciation de celui ou celle qui estime s’il supporte ou pas.

Il est donc peut-être tout simplement impossible de déterminer un niveau de salaire dans l’absolu ou un niveau d’écart, considéré comme supportable, par toutes et tous. En fait, dans l’idée de ce qui est supportable on peut adopter deux angles de vue.

Le premier est simple, c’est l’angle de vue de la personne concernée par le bas salaire. Or, sur ce point, dès lors qu’un écart n’est plus accepté, qu’il est ressenti comme insupportable, bah, on le supporte plus et on sait comment ça finit.

Le second aspect, c’est de prendre le sujet dans l’autre sens en se demandant en effet quel est le niveau de salaire qui permet de « supporter » celui ou celle qui le touche. On en vient donc à l’idée du salaire décent.

Alors, on dira évidemment ensuite que, dans l’absolu, l’appréciation de ce qui est décent ou ne l’est pas est aussi relatif. Et donc on repose la question : quel principe constant permettrait de fixer ce qui est décent ou ne l’est pas ?

Dès lors, le bon sens inviterait à répondre que le seul principe à retenir serait le niveau de salaire qui permet de vivre décemment. Après tout, ce dont nous avons tous besoin, c’est un toit, de quoi habiller, nourrir et soigner sa famille, d’éduquer ses enfants etc. C’est un principe qu’on pourrait considérer comme universel : assurer les besoins essentiels.

C’est la définition que proposait le préambule du texte fondateur de l’Organisation Internationale du Travail en 1919 d’ailleurs : «la garantie d’un salaire assurant des conditions d’existence convenables».

Une notion de « living wage » qui a fait son chemin, avec l’OIT, l’OCDE et l’ONG Fair Wage Network, avec une convergence sur ce qu’est un niveau de vie décent qui en résumé comprend l’essentiel plus une épargne de précaution.

Mais là encore, chacun estime cela à un niveau différent. Et c’est légitime puisque chacun l’apprécie au regard des us et coutumes de là où il vit et de ce dont ces congénères bénéficient.

Mais même si on fixait une prestation standard, le salaire local pour se l’offrir ne serait pas le même partout, ne serait-ce que parce le niveau des prestations sociales fournies par les états n’ont pas grand-chose à voir d’un pays à l’autre.

On voit donc à quel point la question est complexe dès lors qu’on se limite à raisonner en salaire. En d’autres termes, fixer un niveau de salaire décent pose inévitablement le problème du seuil, qui sera forcément arbitraire et sujet à discussion.

Ce n’est certainement pas une raison suffisante pour s’arrêter à cela. L’entreprise ne peut pas s’affranchir de sa responsabilité sur la question des bas salaires ni sur celle des écarts de salaire jugés inacceptables.

Cela appelle deux remarques. La première relève de la dignité avec laquelle on traite les salariés, la seconde du sentiment de justice face à des écarts trop élevés.

Fixer un salaire décent, demande de s’inscrire dans une logique de rémunération globale, comprenant donc les prestations sociales locales et de ne pas se limiter au salaire. Cela demande aussi d’avoir le courage de fixer un seuil et donc d’affronter une inévitable critique.

Cela demande enfin de tenir compte aussi des facteurs qui concourent à la précarité des personnes qui travaillent.

La seconde remarque concerne la nécessité de fixer un multiple entre les revenus les plus élevés et les plus bas, un multiple acceptable et accepté par le corps social. Cela devrait être une réflexion à laquelle chaque entreprise s’attèle localement selon son contexte spécifique.

En résumé, définir un salaire décent est une bonne intention dont la mise en œuvre complexe ne se limite pas à fixer un salaire supérieur au minimum légal mais bien à avoir une approche complète de la précarité de celles et ceux qui travaillent et une certaine idée de la justice sociale.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.