Empathie, sentiment de justice et engagement

Dans cet épisode, nous allons explorer le lien entre 3 notions : l’engagement des personnes, le sentiment de justice et l’empathie.

Dans cet épisode, nous allons explorer le lien entre 3 notions : l’engagement des personnes, le sentiment de justice et l’empathie.

Combien de fois avons-nous entendu que face à la souffrance au travail qu’éprouvent certains, ou face au désengagement des autres, il faut adopter un management bienveillant ?… Comme s’il s’agissait d’être gentil plutôt que d’être juste.

Et combien de fois nous a-t-on dit qu’il fallait faire preuve d’empathie en se mettant soi-disant à la place de l’autre… et peut-être alors témoigner d’une vraie fausse sympathie qui ignore précisément qu’on ne peut pas ressentir à la place de l’autre ce qu’il ressent puisque précisément on n’est pas cet autre !

Mais ces confusions doivent-elles pour autant nous amener à en conclure qu’il ne faut pas faire preuve d’empathie pour être juste ou que l’engagement des personnes ne suppose pas d’abord un sentiment de justice ? Alors, empathie, sentiment de justice et engagement, c’est quoi l’histoire ?

Commençons par ce que nous visons ici dans le cadre de l’entreprise, la résultante espérée : un engagement sans faille de toutes et tous pour l’intérêt du Bien Commun à savoir le projet de l’entreprise. On ne reviendra pas ici sur une définition de ce que sont motivation, implication et engagement, c’est un autre sujet.

Nous ne rentrerons pas non plus dans le détail des sources de mal-être au travail ou de désengagement, c’est là encore un autre sujet mais on se contentera d’un aspect simple mais néanmoins essentiel : il n’y a pas d’engagement possible sans sentiment de justice.

Si l’on veut bien en effet conditionner l’engagement des personnes à 3 piliers : l’adhésion à la finalité poursuivie, le sentiment de pouvoir y apporter sa contribution et d’en tirer une juste récompense, la dernière partie de la proposition est à elle seule une des dimensions clés de l’engagement.

Cette dimension renvoie au modèle de Siegrist, celui du déséquilibre entre les efforts consentis et les récompenses obtenues. Et il s’agit bien d’un sentiment. L’appréciation de la personne qu’elle est récompensée, au sens large du terme, de manière juste, au regard des efforts qu’elle a faits.

Et c’est bien une appréciation personnelle. C’est un sentiment, le sentiment de justice dans la condition qui est la nôtre et la manière dont on est considéré et traité. Cela renvoie à de nombreuses dimensions en management mais retenons-là un lien logique simple : il n’a pas d’engagement possible sans sentiment de justice !

En d’autres termes, le sentiment de justice est une condition minimale de l’engagement, une condition nécessaire, quand bien même ne soit-elle pas suffisante.

Et dès lors qu’on parle de sentiment de justice, de justice sociale, on se réfère le plus souvent à la théorie de John Rawls [1]. En résumé, elle affirme qu’une société est juste si ses règles conduisent à avantager l’ensemble de ses protagonistes et non pas en privilégier quelques-uns.

Or, comme on peut imaginer une société qui sacrifie le bénéfice de quelques-uns dès lors que cela améliore le bénéfice moyen pour tous, Rawls ajoute que les institutions doivent avoir pour objectif de veiller à la préservation du bénéfice du tout mais aussi de tous.

Ceci pose donc la question de la légitimité du système aux yeux de tous, la légitimité de celles et ceux qui président à la détermination des règles. Rawls ajoute alors des principes de liberté, de pensée, d’expression comme condition mais aussi des principes fondamentaux d’égalité.

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Rawls affirme que pour reconnaître la légitimité du système, il faut que les moins favorisés soient convaincus que ce système ait pour objectif de rétablir leur situation. En d’autres termes, ce qui est posé ici c’est la question de la confiance.

On voit ici, ramené au champ qui nous intéresse, celui de l’entreprise, se dessiner deux idées simples:

  • D’abord, la confiance de chacun dans le fait que l’entreprise en tant qu’institution crée les conditions de la justice;
  • et, d’autre part, que la situation de justice ou d’injustice dans laquelle chacun s’estime relève d’une appréciation personnelle… Ou partagée par un groupe de personnes qui se sont constitué une représentation commune, que celle-ci soit étayée par des faits ou non.

Alors parce qu’il s’agit d’un sentiment de justice et de confiance dans le système, on voit par conséquent se dessiner deux autres exigences

  • La première est celle du recueil de ce sentiment sans préjuger de ce qu’il sera.
  • Et la seconde des signaux envoyés qui forgent la confiance.

Le premier, le recueil du sentiment, étant évidemment un de ces signaux.

On ne débattra pas ici de l’ensemble des décisions et de la pédagogie qu’elles exigent pour concourir à nourrir la confiance, individuelle et collective. Mais attachons-nous à la première exigence, celle de recueillir le sentiment, des personnes, des groupes de personnes et de l’ensemble du corps social.

Ce recueil du sentiment de justice éprouvé par chacune et chacun est une des dimensions essentielles de l’empathie. L’empathie étant ici considérée, non pas comme la capacité à se mettre à la place de l’autre, mais à accueillir au mieux les expressions de ses sentiments pour essayer de le comprendre du mieux qu’on peut.

Et en cela, sans cette empathie-là, il sera difficile le sentiment de justice qu’éprouve l’autre, alors que c’est une des conditions essentielles de son engagement. On le voit, il ne s’agit pas là d’être gentil, mais bien de rencontrer l’autre pour comprendre comme on peut s’il s’estime justement ou injustement traité et récompensé des efforts qu’il consent.

En résumé, si l’engagement des personnes dépend en partie du sentiment qu’elles éprouvent d’être traitées et récompensées justement au regard des efforts qu’elles consentent et si ce sentiment de justice suppose comme préalable une réelle attitude d’empathie pour savoir le recueillir au mieux, alors on peut conclure qu’il n’y a pas d’engagement sans empathie.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] Rawls, John (1971) A Theory of Justice, Harvard University Press