Quand la page blanche est ton point noir

Dans cet épisode, nous allons parler du syndrome de la page blanche qui freine parfois certaines personnes plus habituées à faire qu’à penser et proposer quelques pistes pour y remédier.

Il y a celles et ceux qui adorent partir de rien, penser un tout du tout au tout. La page blanche ne les effraie pas, elle les invite. Ils y voguent sans être vagues, naviguent de cap en concepts, d’objectifs en méthodes avec aisance.

Mais il y a aussi celles et ceux qui sont plantés devant. Plus habitués à faire, dans un cadre qui leur est donné, avec des perspectives qui ont été tracées pour eux. Eux, ils font et bien en plus. Alors la page blanche, ils ne la voient pas comme une mer sur laquelle voguer mais comme un trou noir qui les absorbe.

Pourtant, on fait souvent du participatif, de la co-construction, on pense des feuilles de route, avec des projets et on les implique, en attendant qu’ils soient eux aussi force de proposition, parce que le job ils le connaissent.

Certains et certaines éprouvent en effet des difficultés. Alors, quand la page blanche est ton point noir, c’est quoi l’histoire ?

Commençons par rassurer tout le monde, en rappelant une évidence.

Ceux qui pensent c’est bien mais quand ils pensent aussi à faire c’est mieux. Et ceux qui font c’est bien aussi, mais quand ils pensent en faisant, là aussi c’est mieux.

La stratégie et l’art de l’exécution. Bien sûr, on a besoin des deux. On retrouve d’ailleurs là un des écueils du Taylorisme. Celui d’un découpage vertical du travail, entre ceux qui le pensent et ceux qui l’exécutent.

Or, ceux qui l’exécutent sont aussi capables de penser et ceux qui le pensent auraient bien intérêt à les écouter pour ne pas être hors sol.

Néanmoins, ceux qui font sont en effet parfois inviter à penser. Or, non pas qu’ils n’aient pas matière à dire mais certains éprouvent des difficultés à formaliser cette matière. C’est le syndrome de la page blanche.

Alors voici quelques pistes pour aider ceux qui ont certainement beaucoup à apporter mais qui, pour une raison ou une autre, restent un peu coi. Mais avant de commencer, faisons un petit détour par Deleuze, qui démystifie et démonte cette idée de la page blanche à laquelle l’artiste, en l’occurrence l’écrivain, est confrontée.

Il en dit « ce thème, qui est ruineux en littérature, c’est le thème selon lequel l’écrivain se trouve devant une page blanche. C’est bête, mais c’est bête à pleurer. » … ou encore « c’est une catastrophe parce que c’est une telle déformation du vrai problème, soit de décrire, soit de peindre, que ça rend tout puéril ».

En vérité, il nous dit que la page blanche est justement trop pleine. « Votre page à vous, mais elle est encombrée, elle est complètement encombrée et c’est bien ça arriver à écrire ».

Le premier enjeu de celui qui fait, c’est que sa culture professionnelle est souvent peu formalisée mais riche. Il sait des choses mais ne sait pas forcément les mettre en forme.

L’étape numéro 1 c’est de formaliser les questions qu’il faut te poser. Très souvent ce sont des questions du genre : quel est l’objectif qu’on poursuit ? Pourquoi faire ? Qui est-ce que je vise ? Pourquoi ? Est-ce que j’ai des contraintes qui me sont imposées ?

Ne cherche surtout pas les réponses au début. Formalise les questions car cela aide à élaguer, à mieux sélectionner ce qui, dans ta tête, va devoir descendre sur cette feuille blanche.

Seulement après tu peux passer à l’étape 2 qui consiste à essayer d’y répondre. Elles te guident au fond ces questions mais pour y répondre, il n’y a pas de miracle. La question te guide certes mais c’est bien toi qui vas marcher pas à pas.

En effet, l’étape 2, il n’y a pas de recette miracle, ça va prendre du temps et du jus de cerveau. Mais ne porte pas trop de jugement sur tes réponses. Vas-y, apporte les mais ne te préoccupe pas trop ni de leur degré de pertinence, encore moins de la forme.

Ne te bride pas. Il sera toujours temps de mettre en forme après. Mais tu vois ta page n’est déjà plus si blanche. Tu avances. Peut-être d’ailleurs, à certaines questions tu seras en mal d’y répondre toi-même. Là, il va falloir sortir de son bocal.

J’attends que bidule avance sur son projet, je ne connais pas le budget qui me sera alloué… Ce sont des questions normales. Pas de panique. Tu vas aller demander des arbitrages et le mieux c’est donc de formaliser, donc écrire, tes questions.

Etape 3, tu as un paquet de questions avec un paquet de réponses mais il va bien falloir mettre un peu d’ordre, notamment des priorités, dans tout ce bazar. Mais ça y est, la matière est sortie, il faut juste trouver des liens.

Il faut en effet qu’un fil conducteur et une synthèse se dégage du magma. La soupe bouillonnante primitive a donné vie, maintenant il faut mettre de l’ordre. Au fond ce n’est que l’application du principe connu de divergence puis de convergence.

D’un point de vue intellectuel : établir des liens entre les parties pour qu’elles forment un tout cohérent, dont tu fais la synthèse.

Super, merci de ton aide mais pratiquement on fait comment ?

Tu vas t’énerver mais je te conseille de repartir d’une feuille blanche… Mais cette fois avec un outil de présentation comme Powerpoint, Canva, Prezi, ce que tu veux mais qui, par nature, va t’obliger à trouver la quintessence de ce que tu veux dire.

Tu vas réduire ta sauce pour n’en garder que les saveurs, donc noter ce qui est important puis l’agencer dans un fil conducteur logique. Et une fois que tu as fait tout ceci, tu es prêt pour aller défendre ton projet !

En résumé, pour surmonter le frein de la page blanche il faut commencer par formaliser les questions avant les réponses, laisser les réponses venir en vrac puis enfin seulement poser le fil conducteur qui les relie en ne gardant que l’essentiel. En trois mots : divergence, convergence, mise en forme.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.