Quand le projet et la culture sont incompatibles

Dans cet épisode, nous allons nous demander quoi faire lorsque la culture d’entreprise n’est pas celle qui permet de porter l’ambition du projet qu’on vise.

Nous ça fait des années qu’on assoie notre succès sur la technique, des processus millimétrés, un culte voué à la rigueur technologique qui prime sur tout.

Sauf que maintenant tes concurrents te doublent. Tes parts de marché s’effondrent, tu n’as pas vu le coup venir ou trop tard peut-être. Mais eux ils n’ont pas oublié le client, l’utilisateur et son expérience. Alors ton culte de techos, va falloir changer ça…

Tu veux dire que le grand projet d’entreprise qu’on a lancé, avec le plan croissance 2030, ça ne va pas le faire si on ne change pas notre culture…

Il y a un peu de ça oui… Comment te dire… Alors, quand le projet et la culture sont incompatibles, c’est quoi l’histoire ?

La question peut se poser de manière simple. Les réponses ne le sont pas bien sûr et les situations réelles plus complexes que leur description. Mais réduire la question à une expression simplifiée, volontairement caricaturale, aidera peut-être à mieux saisir la difficulté du problème à résoudre.

Si la culture d’entreprise qui est la nôtre n’est pas compatible avec le projet d’entreprise qu’on veut mener, que fait-on ? En d’autres termes, si notre culture est un frein pour faire ce que l’on veut faire. On fait quoi ?

On change ce que l’on veut faire ? On amende le projet ? Va l’expliquer à l’actionnaire, tiens ! Ou on change la culture ? Là, tu en prends pour 20 piges ! Le dilemme est posé.

Tu disais que la réalité des situations n’est évidemment pas aussi caricaturale ou simpliste que cela. Et pourtant… on n’en est parfois pas si loin. Sans nécessairement que les deux soient totalement antagonistes bien sûr mais parfois ils sont très éloignés.

Revenons un instant sur un point important. La culture d’une entreprise d’abord est une résultante. Elle existe, c’est un fait. Un fait qui résulte de ce que nous sommes collectivement, là maintenant.

Elle est vivante bien sûr. En d’autres termes elle évolue à chaque instant. Imperceptiblement comme tout ensemble vivant. Ici, parce qu’un collaborateur a appris quelque chose et l’a transmis à d’autres, là parce qu’une nouvelle personne est arrivée, emportant avec elle la richesse de sa différence.

Où là encore parce qu’un nouvel outil façonne les manières de travailler. Bref c’est une résultante mais aussi un ensemble vivant qui change sans cesse. Pour autant, ça ne se change pas comme cela.

On n’édicte pas une nouvelle culture. On ne peut pas dire aujourd’hui voilà ce que nous sommes, en termes de valeurs, manières de penser et d’agir, représentations et croyances partagées etc. pour dire : et demain on est comme cela.

Une culture peut se façonner progressivement bien sûr. Or, toute intention d’acculturation de ce type s’inscrit inévitablement dans un temps long, celui de l’humain, sauf à les remplacer du jour au lendemain.

Ou à faire comme dans les fûts de Calvados en Normandie quand tu ajoutes du nouveau tous les ans pour compenser ce que le bois a bu… Non je blague bien sûr.

Les fusions acquisitions sont marrantes à observer de ce point de vue. Parfois ça plante bien pour des raisons culturelles qu’on a refusé de voir. Parfois cela prend des années et des années pour qu’une nouvelle culture se dégage.

Et encore, combien de fois le canal historique de celui qui a été racheté perdure pendant des années, comme un village de Gaulois qui résiste… Bref, faire évoluer une culture est affaire de temps, c’est la seule certitude.

Qui plus est, sans aucune garantie de résultat… Un long voyage incertain.

Qu’à cela ne tienne on révise le projet. Notre ambition exige un tel changement culturel et le temps n’est pas avec nous, révisons donc nos ambitions. Faisons autre chose, autrement.

Ce n’est pas facile d’expliquer cela aux donneurs d’ordre… Surtout lorsque leur propre culture est de ne pas tenir compte de ses aspects parce qu’ils n’en mesurent pas l’ampleur, ou simplement, parce qu’ils sont plutôt dans le registre du passage en force.

Ou on fera avec d’autres… Mais au-delà même de cette conscience-là, le marché lui, les concurrents, les consommateurs,… Ils ne te donneront pas ce temps long que l’humain requiert.

Voilà peut-être deux réflexions caricaturales en effet mais qui invitent à deux remarques.

La première réside peut-être dans le fait qu’une ambition irréaliste est parfois à mesurer ou alors il faut faire avec d’autres. Et surtout, aussi, qu’il s’agit-là de deux forces longues qu’il faut faire converger progressivement plutôt que des grands coups de gouvernail.

Ce qui amène à la seconde remarque. Si changer c’est aller d’un état A vers un état B, se transformer c’est partir de A sans forcément savoir ce vers quoi on va. En d’autres termes, une transformation constante qui évite les constats brutaux de la nécessité de donner un grand coup de gouvernail.

En résumé, si la culture d’entreprise devient un frein à ce que l’on doit faire c’est qu’on ne s’est peut-être pas suffisamment inscrit dans une logique d’adaptation constante et progressive mais qu’on a réagi par grand coups de gouvernail successifs sans tenir vraiment compte de la réalité et du potentiel du corps social.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.