On n’est pas au budget mais on s’en fout
Dans cet épisode nous allons parler de budget. Et prendre un peu de distance avec cette notion pour qu’elle soit utile.
Chères collaboratrices, chers collaborateurs, la situation est grave. Nous ne sommes pas au budget. 10% en dessous du prévisionnel, vous mesurez un peu ? Je compte donc sur votre engagement, sans faille, car notre avenir dépend de vous ! Nous nous en sortirons tous ensemble qu’au prix du sacrifice de chacune et de chacun d’entre vous…
Vas-y et bientôt il va se prendre pour Churchill avec son « je n’ai rien d’autre à vous offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur »… 10% en-dessous du budget d’accord mais il n’y a pas mort d’homme quand on fait 30% de marge… non ?
Ah le budget prévisionnel qui rythme le quotidien en entreprise… On dirait Sisyphe et sa pierre. Mais c’est grave docteur si on n’est pas au rendez-vous ? On n’est pas au budget mais on s’en fout, c’est quoi l’histoire ?
Revenons un instant sur ce qu’est un budget, que celui-ci soit annuel, trimestriel ou mensuel, c’est juste un objectif qu’on se donne. Un objectif sur les rentrées et les dépenses pour faire court.
C’est en effet une simple projection et c’est utile. On en a évidemment besoin pour piloter une activité. Et ce, quel qu’en soit le degré de formalisme, qui va du doigt mouillé, parce que tu as juste 3 entrées et 2 sorties,…
…Jusqu’à la gigantesque mécanique aussi bien huilée qu’implacable de l’ERP mondial qui tourne en permanence pour satisfaire aux injonctions d’information des marchés financiers. On en a besoin en effet, ce n’est pas ce dont nous voulons parler ici.
Comme toujours en pareille matière, le problème n’est pas l’objet, en l’occurrence le budget, mais ce qu’on en fait. Et ça vaut le coup d’en parler un peu pour que cet exercice, qui est parfois un pensum, soit utile et pas une mascarade ou une souffrance.
Partons d’un principe simple : le budget est une intention. Elle repose donc sur la sincérité et le réalisme de ce qu’on y met et le fait qu’on s’accorde sur le fait que c’est une intention.
Or, qu’observe-t-on parfois dans les faits ? Le premier cas c’est celui que nous avons caricaturé en introduction. Le budget érigé en injonction, dont on se sert de manière manipulatoire.
La terreur du chiffre tel un inexorable couperet… On est à moins 10% tu te rends compte… Mais effectivement, moins 10% par rapport à quoi. Hey mon ami, quand tu cries famine lorsqu’il te manque une plaquette de beurre dans ton frigo plein à craquer… Cela ne sert pas ta crédibilité…
Alors ne t’étonne pas si tu as du mal à engager tes collaborateurs. Rassure-toi ils ne sont pas dupes, ils savent bien qu’on fait 30% de marge et que l’année dernière on a fait une très grosse croissance…
Alors utiliser le fait de ne pas être au rendez-vous de 10% sur un objectif de ce type pour faire passer une pilule que personne n’a envie d’avaler, c’est contre-productif. Et surtout tu le paieras au centuple, le jour où les résultats seront mauvais pour de bon.
Et puis surtout, à jouer du chiffre comme on joue du pipeau, cela finit toujours en mascarade : le business plan où tout le monde met à 5 ans ce que l’actionnaire veut entendre, quand bien même ce soit totalement irréaliste…
Mais surtout ne se trompe pas sur la prévision à un an, histoire de ne pas rater son bonus de fin d’année… Là encore, c’est contre-productif. Tu obtiens en réalité l’effet inverse de ce que tu cherches, une prévision fiable. Ou un affichage ? Je pose ça là…
Alors arrête de me demander tous les mois des prévisions de vente à 5 ans sur des produits qui n’existent même pas encore. En revanche, essayons de bien travailler pour en fabriquer de bons.
Oui où arrête aussi de me couper mon budget de l’année d’après parce que je n’ai pas consommé celui de l’année dernière. Tu sais, à la fin, quand tu sanctionnes les bons élèves, qui ont fait un effort, et bien ils finissent par buller au fond de la classe.
Et alors en fin d’année, ils dépensent inutilement tout ce qu’ils peuvent pour ne pas voir leurs ressources de l’année suivante diminuer de manière arbitraire et surtout déconnectée des besoins réels.
Entre intention de façade, affichage, mascarade et instrumentalisation, on peut tout faire de l’exercice budgétaire en entreprise. Entre vice et vertu, comme toujours.
Un exercice budgétaire peut être un squelette de gestion. Bien sûr. Mais le squelette tout seul ça manque un peu d’âme et si tu veux réellement animer l’activité de ton entreprise, au sens de lui donner une âme et pas du GO du Clud Med…
Et bien il faut en faire un véritable outil de gestion qui repose au moins sur deux points clés : la sincérité que l’on met dans l’exercice en lui-même et le réalisme de ce qui le nourrit. Et en cela, cela exige une véritable réflexion, sur le business, sur ce qui le conditionne et le rend possible.
Et c’est bien de cette culture-là dont toute l’entreprise a besoin. Celle du faire et du bien faire, bien sûr en essayant d’anticiper ce que l’on peut et en appréciant au mieux les risques que l’on prend, y compris en stressant les scenarios pour mieux identifier ce que l’on peut faire wen cas de situation critique ou hors norme.
En un mot, combiner le besoin de prévision et l’utilité de la prospective. Le premier requiert des outils de gestion, comme un budget sincère et réaliste, et le second une réflexion permanente sur l’activité et ses contraintes.
Alors ne totémisons surtout pas le budget. Comme tout outil, il ne doit pas servir à mettre à genou mais à nous faire grandir, c’est-à-dire à mieux piloter l’activité. C’est aussi une affaire d’acculturation du corps social sur le sens qu’on y met.
En un mot, être responsable, et c’est ce que nous devrions développer chez tous les collaborateurs.
En résumé, l’exercice budgétaire est nécessaire dans toute entreprise à condition qu’il soit sincère et réaliste et qu’il constitue un outil de gestion qu’on n’instrumentalise pas mais qui nourrit une véritable culture de la responsabilité dans la conduite des affaires.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.