Prévision et prospective en entreprise

Dans cet épisode, nous allons parler de la différence entre prévision et prospective et de leur place en entreprise.

Dans cet épisode, nous allons parler de la différence entre prévision et prospective et de leur place en entreprise.

C’est vrai qu’à observer le comportement de certains acteurs des marchés financiers on pourrait presque se demander s’il ne vaut pas mieux avoir un mauvais résultat conforme à la prévision plutôt qu’un bon résultat inattendu. Comme si l’on donnait une prime à la qualité de la prévision plus qu’aux résultats.

La prévision nous rassure évidemment parce que nous détestons le risque et l’incertitude ! Et donc on lui donne la part belle alors que nous avons peut-être besoin plus que jamais d’adopter de plus en plus la prospective comme réponse à l’incertitude. Alors entre prévision et prospective, c’est quoi l’histoire ?

Rappelons d’abord schématiquement la différence entre les deux. Faire une prévision c’est formuler une seule vision du futur là où la prospective consiste à en imaginer plusieurs. En substance, la première dit « voilà ce qui va se passer et donc voilà ce que je vais faire » là où l’autre dit « voilà ce qui pourrait se passer et donc voilà ce je pourrais faire ».

En d’autres termes, la prévision part d’une représentation du futur, que nous l’ayons nous-mêmes formulée ou qu’elle nous soit donnée par un tiers, et surtout sur laquelle nous allons bâtir un plan d’action.

Pierre Dac, le roi de l’absurde, disait que, je cite, « rien n’est moins sûr que l’incertain » … Et oui, prévision ou prédiction, selon qu’on voit ou qu’on dise l’avenir, lorsque cela nous est donné par un tiers, alors on n’est pas très loin de Madame Soleil, des boules de cristal et des oracles !

Oui et la prospective tente de répondre à l’incertitude de l’avenir selon la phrase consacrée de Saint Exupéry « l’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre ». En d’autres termes, imagine ce qui pourrait se passer, construis des scenarios en fonction de ce que tu peux faire et tu ajusteras le tir en fonction de ce qui adviendra dans les faits !

En d’autres termes, la prospective vise à préparer l’avenir et à faire preuve de capacité d’adaptation. Exactement ce dont on a besoin dans nos entreprises exposées à l’incertitude permanente.

La prospective vise en effet cela dans l’esprit de son père fondateur, Gaston Berger, lorsqu’il affirmait que « regarder l’avenir bouleverse le présent ». Il ne s’agit donc pas là des prophéties auto-réalisatrices mais bien d’une réelle capacité à anticiper et à s’adapter.

Mais alors du coup, ce n’est pas cela l’agilité dont on parle tant dans nos entreprises ? Et si oui, pourquoi la démarche prospective n’est pas plus généralisée que cela à tous les échelons de la hiérarchie ?

La prospective existe en entreprise bien sûr. C’est même en quelque sorte le point d’entrée de la stratégie. Mais, dans les organisations où le pouvoir s’exerce encore de façon très verticale, c’est réservé à la direction générale et au codir.

En substance, le codir met en œuvre une réflexion prospective pour nourrir la stratégie qui sera décidée. Cette stratégie va ensuite être déclinée dans une feuille de route sur plusieurs années avec des prévisions année par année qui « cascadent » sur le reste de l’organisation.

Or, c’est au fond là la question centrale : jusqu’où « démocratiser » cette démarche prospective dans la mesure où nous sentons – à tort ou à raison – que nous sommes exposés à un contexte de plus en plus incertain. Cela renvoie là encore à la question de l’autonomie, mais c’est un autre sujet. En d’autres termes, quelle marge de manœuvre autorise-t-on dans la réflexion menée pour résoudre les problèmes auxquels les personnes sont confrontées ?

Et si l’on est de plus en plus confronté×es à un champ de contraintes fait de risques et d’incertitudes, plus on devrait, en théorie, inciter à une démarche de type prospective. Sauf que pour cela il faut « voir loin, voir large, voir profond, penser à l’homme » comme disait Gaston Berger et il n’est pas sûr que cela ne se heurte pas à une certaine conception de la finalité de l’entreprise et surtout de l’exercice du pouvoir.

C’est pourtant ce que laisserait penser l’évolution de certaines pratiques RH comme, par exemple, le feedback régulier plutôt que des entretiens annuels, qui s’inscrit dans une logique proche de l’amélioration constante plutôt que du sempiternel exercice qui consiste à fixer un objectif en début de période sur la base des prévisions du plan et à constater les dégâts à la fin sans pouvoir corriger le tir.

En d’autres termes, la prospective invite à l’intelligence là où la prévision la maintient à un niveau hiérarchique où l’on pense qu’elle doit être. C’est dommage et contraire à l’intérêt de l’entreprise en tant que telle.

Sauf que dans un modèle où le travail est prescrit, donc où l’autonomie est faible, c’est cohérent. La place de la prospective dépend donc en grande partie des choix d’organisation et de gouvernance que l’on fait.

En d’autres termes, prospective et prévision sont nécessaires et constituent des exercices usuels de la vie de l’entreprise. Et si leurs places respectives sont assez liées à la culture d’exercice du pouvoir et aux modes d’organisation, on peut penser pour autant que les besoins d’agilité des entreprises invitent à une plus grande démocratisation d’une approche de type prospective.

En résumé, la prévision consiste à définir un plan d’action en fonction d’un seul futur possible là où la prospective consiste à imaginer plusieurs scenarios en fonction de plusieurs futurs possibles et à ajuster ses choix en fonction de ce qui advient dans les faits. La prospective est donc une démarche qui favorise l’agilité et dont la démocratisation dans l’entreprise dépend des choix organisationnels et de la conception qui en découle en matière d’autonomie individuelle.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire