L’agilité, expression source de confusion

Dans cet épisode nous allons tenter de clarifier une expression potentiellement source de confusion : l’agilité.

Franchement c’est pourtant simple non ? Il faut qu’une entreprise soit agile, grâce à une transformation digitale, pour faire face à un monde incertain… pour ne pas dire VUCA

Ah le fameux monde VUCA qu’on brandit comme un spectre obligeant à céder à toutes les injonctions à la mode. Et hop le raccourci est fait avec des méthodes vieilles comme le monde. Alors qu’en fait c’est peut-être l’aversion au risque qui est en cause mais c’est un autre sujet.

La menace extérieure – en l’occurrence l’incertitude du monde – pour légitimer les changements de l’intérieur, en l’occurrence ceux qu’on veut te vendre… Et hop on forme tout le monde à des trucs digitaux collaboratifs et à 360…

On est agile quoi, la belle histoire. Mais si c’était plus complexe que cela ? Alors, l’agilité, expression source de confusion, c’est quoi l’histoire ?

Avant de refaire l’histoire en racontant celle de l’agilité, on va d’abord remettre les pendules à l’heure. On gagnera du temps ! L’agilité et le digital, ce n’est pas le même truc.

Le raccourci entre les deux ça va bien ! C’est un truc de bonimenteur. Pour croire que l’entreprise est agile grâce au digital, il faut être bien naïf, oublier la nature humaine, l’organisation et ses déterminants, son management, les contraintes qui pèsent sur sa capacité à réaliser ses ambitions, etc.

C’est faire fi de ce qu’est l’entreprise et oublier l’histoire de son organisation. Posons le sujet simplement.

De tout temps, l’entreprise a été confrontée à une double nécessité, être efficace et s’adapter, aux évolutions du contexte dans le temps mais aussi aux aspérités du réel, là maintenant.

On voit donc bien l’idée dont l’agilité peut être porteuse, celle d’une entreprise qui s’adapte rapidement à son contexte… ici et après. En ce sens ce n’est pas inintéressant, comme souvent, de nous pencher un peu sur l’histoire des organisations.

Pour être efficace là maintenant, l’entreprise a toujours eu un levier, celui de la spécialisation, ou de la division des tâches, chère au taylorisme. C’est un des grands principes de ce qu’on appelle l’école classique. En l’occurrence un principe de découpage « horizontal » de la chaîne de valeur.

Mais il y en a d’autres, c’est aussi un découpage vertical avec un principe hiérarchique, un principe de subsidiarité etc. Bref, tout ce qui fait l’école classique avec Taylor, Fayol, etc.

Très vite cette école a été l’objet de deux critiques. Elle ne tient pas véritablement compte de l’humain, avec ses envies, sa motivation etc. Et d’autre part, le modèle n’est pas toujours adapté au réel donc il y a un décalage entre travail prescrit et travail réel.

Et hop, l’école des relations humaines était née avec Mayo, Lewin et consorts. Puis après tu as aussi eu la théorie de la contingence de Burn & Stalker, contredisant le « one-best way » taylorien en expliquant qu’il n’y a pas une bonne manière de faire mais des manières adaptées à la situation, aux contingences.

On en revient au débat entre le modèle et son adaptation au réel. Tiens d’ailleurs ce sont les deux termes qui régissent l’équation de l’organisation selon Mintzberg…

Je cite, « La structure d’une organisation peut être définie simplement comme la somme totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour ensuite assurer la coordination nécessaire entre ces tâches »…

En d’autres termes, le squelette et sa capacité d’adaptation à la réalité du terrain ou de la situation, sa souplesse, son agilité… Le mot qualifie donc une propriété de l’organisation, donc de l’entreprise qui l’adopte.

Le terme se développe dans les années 90 au sens de l’organisation de l’entreprise, on en retrouve d’ailleurs certains de ses principes dans les travaux de Nonaka et Takeuchi sur le développement des jeux en 86 puis transposé au management des connaissances au milieu des années 90.

On parle donc bien ici d’organisation d’entreprise, qui lui confère une propriété. Comme ce fut le cas avec les organisations apprenantes ou en effet le Knowledge Management. Mais alors quel lien avec l’informatique ou le numérique pour qu’on en arrive à la confusion entreprise agile égale digital ?

La technologie comme déterminant de l’organisation, le lien est établi dès les années 60, par exemple avec Woodward. Mais la démocratisation rapide d’Internet au milieu des années 90 et surtout début 2000 accélère et « popularise » les choses.

En 2001, des grands manitous du développement informatique publient un « manifeste agile » ou plus exactement un manifeste pour le développement agile de logiciels… On y retrouve l’inventeur du Wiki, le père de l’extreme programming, le fondateur de scrum etc.

On y parle donc de méthodes de développement informatique, qu’on peut étendre à la gestion de projet informatique, donc à la gestion de projet… Ce sont des principes qui évitent notamment l’effet tunnel qui était assez fréquent avant.

Dans le genre on fait un cahier des charges super détaillé, qu’on ne cherche pas à ajuster en cours de route, puis on constate les dégâts à la fin…

Tout à fait ! Et là, avec ces méthodes de développement informatique dites « agiles » on décide de mettre en parallèle ce qui était en série, on ajuste en marchant, on est plus empirique.

Ici on parle bien de développement informatique. De là à extrapoler à l’agilité de l’entreprise… il n’y a qu’un pas mais qui ressemble bien à un raccourci rapide et casse-gueule.

Si le pragmatisme des méthodes agiles en matière de développement peut faire écho au déficit de pragmatisme qui était une des premières critiques formulées à l’encontre de l’école classique en matière d’organisation…

Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut en conclure que les méthodes de gestion de projet sont duplicables à un ensemble plus grand et plus complexe, celui de l’organisation de l’entreprise…

Et encore moins à faire un lien un peu trop rapide entre incertitude, digital et capacité d’adaptation.

En résumé, l’agilité de l’entreprise c’est sa capacité d’adaptation au réel et à l’évolution de son contexte dans le temps. Si les méthodes agiles issues du développement informatique présentent des qualités de pragmatisme donc d’adaptation, il ne faut pas confondre gestion de projet et organisation de l’entreprise.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire