La fin des modèles ?
Dans cet épisode nous allons nous questionner sur la notion de modèle et nous demander s’il est encore possible d’y recourir dans l’entreprise contemporaine.
On ne veut plus de carcans, de corsets serrés et de règles imposées. Vive la liberté dans un monde où chacun et chacune invente SA solution, comme ça lui plait et lui chante. C’est la fin de la verticalité et du rigide, vive le transverse, le fluide, ce qui coule de source. Nous ne voulons plus de modèles.
Un grand élan de liberté nous habite. C’est vrai que ça plait. On dirait le slogan qu’on a attribué à tort aux événements de mai 68 et qu’on doit en réalité à l’humoriste Jean Yanne : « il est interdit d’interdire ». Un poil démago tout ça…
Mais qu’en est-il alors des modèles organisationnels, des modèles managériaux, des modèles économiques et autres business models ? C’est la fin des modèles ? C’est quoi l’histoire ?
Revenons à des choses simples pour commencer. Un modèle, c’est d’abord ce qu’on imite, ce qu’on cherche à reproduire. Une sorte de moule. Mais le moule, il a bien été pensé avant d’être un moule qui moule.
C’est là la deuxième remarque que l’on peut formuler sur la notion de modèle. Un modèle est conçu pour servir une reproduction ultérieure. Le sculpteur pourra, par exemple, coller au réel en prenant son empreinte pour fabriquer un moule.
À l’image des coupes de champagne dont la légende dit qu’elles tiendraient leur forme d’un moulage du sein de la marquise de Pompadour, maîtresse de Louis XV. Ce qu’on ne saura jamais en vérité mais c’est une autre affaire.
Le modèle conçu comme empreinte du réel cela pose une question : celle de la conformité au réel. Est-ce que l’empreinte reproduit fidèlement la réalité. Or, lorsque l’on parle de modèles en entreprise, on ne parle pas d’une empreinte comme dans le cas de la sculpture.
On parle là en effet, dans ce cas, d’une vision de l’esprit. En l’occurrence, de la manière dont on se figure les choses, dont on les a pensées pour que cela soit opérant pour d’autres, celles et ceux qui les exécutent ensuite en s’y conformant.
Il en va ainsi, par exemple, du modèle taylorien, une représentation des étapes pour produire quelque chose, une décomposition de la chaîne de valeur, avec, au bout, le poste et son travail prescrit. En cela, c’est une modélisation du réel.
Donc forcément fausse ou du moins, par nature, non conforme à ce que le réel exige. C’est une critique qui a été très vite formulée à l’encontre des principes tayloriens. Un modèle est nécessairement un peu hors sol puisqu’il n’est pas empreinte du réel mais représentation intellectuelle.
Regarde comment un template Powerpoint, celui que certaines institutions t’imposent dans un souci d’uniformité de leur image, ne colle pas bien à ce que tu as fait ou veux faire. Surtout si t’utilises Prezi… Je rigole.
Donc il faut adapter le modèle à la réalité des situations, ce qui pose la question des marges de manoeuvre qu’on laisse à celles et ceux qui les utilisent. Tout le problème de l’autonomie au travail. Parce qu’un modèle ne s’adapte pas vraiment de lui-même.
Oui, quand on imite ça limite. D’où la profusion de tout un tas de tendances managériales depuis des lustres qui, finalement, témoignent presque toutes de cette nécessité.
On voit bien l’intérêt d’avoir recours à un modèle. Par nature, cela standardise, normalise, donc favorise une certaine forme de constance dans ce qui en sort. C’est surtout un levier de productivité. L’intérêt du modèle, en ce sens, n’est plus à démontrer.
Utiliser un modèle pour répondre à une situation c’est recourir à une solution sur-étagère, que l’on peut ajuster bien sûr, mais relève par nature du domaine de l’appris. On pourrait alors être tenté de penser qu’à mesure que les choses sont plus complexes, le recours au modèle est moins efficace.
Lorsque le problème à résoudre est inédit par exemple, on ne peut recourir au domaine de l’appris, il faut inventer. Le modèle n’est alors plus qu’une solution toute faite plaquée sur quelque chose qui demande autre chose.
À mesure que les choses sont plus complexes, ou que nous prenons conscience de leur complexité, le recours à une réponse normalisée, standardisée est peut-être en effet moins efficace et c’est ce que les temps modernes nous laissent entendre.
Pourtant lorsque tu observes les progrès considérables de l’intelligence artificielle, tu peux formuler un autre raisonnement. Les LLM, Large Language Models, sur lesquels reposent par exemple les robots conversationnels permettent une réelle adaptation.
De la même manière, le deep learning t’enseigne qu’un modèle peut finalement apprendre de ce qu’on lui donne à voir et donc se perfectionner. En ce sens donc, on est loin de la fin des modèles. Ce serait même l’inverse.
Si l’intelligence artificielle prend une part de plus en plus grande dans ce qui régit nos manières de penser et d’agir en entreprise, ce sont d’autres modèles, car l’IA repose sur des modèles, qui auront pris le pas.
Ce n’est donc pas la fin des modèles mais le début alors ? C’est à ne rien y comprendre !
En fait, si la complexité des problèmes à résoudre augmente, ou si notre conscience de la complexité est plus aiguë, ce n’est pas la fin des modèles mais la fin des modèles simplistes qui ne s’améliorent pas d’eux-mêmes, c’est-à-dire les modèles simplistes et figés.
Pourtant, le modèle, même le plus évolué, même s’il peut apprendre, voire composer donc imaginer, ne remet pas en cause les principes fondamentaux qui le régissent. Il ne crée poas vraiment. Il peut sortir du cadre qui lui est imposé par sa conception mais il y fera toujours référence. Il s’appuiera toujours dessus.
C’est en cela que l’intelligence artificielle n’est pas intelligence créatrice donc pas vraiment intelligente au sens propre.
On aura toujours besoin de modèles c’est-à-dire de choses dont on s’inspire. C’est peut-être en revanche, en matière d’organisation et de management, la fin d’un excès de conformité et de réduction de l’autonomie. On retrouverait alors les fondamentaux du management.
Comme quoi, entre un copié-collé conformiste et s’inspirer de quelque chose, entre reproduire mécaniquement et ajuster les choses à ce qu’exige la réalité, il n’y a qu’un pas, celui de la connerie à l’intelligence de situation.
En résumé, l’évolution de l’environnement des entreprises pourrait conduire à penser que le recours à des modèles organisationnels et managériaux n’est plus possible. En vérité, nous avons toujours besoin de modèles mais le temps où il suffisait de les dupliquer sans réfléchir est sans doute révolu.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire