Un peu de mou, juste au cas où
Dans cet épisode nous allons envisager avec fermeté la possibilité de garder du mou dans une organisation, juste au cas où…
Du mou ? Tu rêves ou quoi toi ? Le mou c’est pour les chats. Ici non seulement on taille dans le gras mais aussi dans le muscle. Il ne reste que l’os je te dis : ici on optimise au max les ressources. Et toutes !
Je vois le genre, façon lean management poussé à son extrême, des projets gérés avec juste le nombre d’ETP ultra chargés qu’il faut, les rois du flux tendus, aussi tendus que les gens qui les gèrent.
Et même de temps en temps on enlève un petit os du squelette par ci par là… Après tout, ça passera inaperçu et ils absorberont bien la charge qui reste…
Sauf que ça ne marche pas toujours aussi simplement que cela… Alors, un peu de mou juste au cas où, c’est quoi l’histoire ?
Optimiser les ressources qu’on consomme pour obtenir un résultat donné, c’est sain bien sûr. C’est la base de la productivité sans laquelle la rentabilité d’une entreprise est mise à mal. La finalité poursuivie n’a rien de critiquable en tant que telle, elle est légitime.
C’est dans cette optique d’ailleurs que les organisations de type Taylor sont nées et on en a besoin parce qu’après tout c’est quand même le seul moyen connu de véritablement assurer cette productivité.
C’est aussi l’objet de nombreuses approches que ce soit dans le management mais aussi dans de nombreux domaines professionnels, chacun mettant en œuvre des méthodes et outils contribuant à cette même posture dans toute l’entreprise.
En gros, optimiser pour voyager léger. C’est par exemple le cas que tu citais, les flux tendus avec des stocks gérés au plus près du besoin. Ce qu’on appelle le just-in-time. Le principe est simple : le moins de stocks possibles car les stocks cela a un coût. On met en production quand on a la commande et on stocke le moins possible.
C’est aussi le sens du lean management, ou plutôt de ce qu’il est devenu dans de nombreuses entreprises, car sa philosophie originelle ne se limite pas à cela : chasser l’inutile. En anglais, lean veut dire maigre.
Mais une entreprise ne se limite pas à un enjeu de productivité. C’est aussi, dans le même temps, un enjeu d’agilité, et d’adaptation constante.
Or, si les méthodes tournées vers la productivité reposent sur une planification et des prévisions, elles s’accommodent moins bien des changements incessants et des imprévus. Tiens, on va prendre un exemple.
Le très gros projet informatique en cours de long déploiement… On gère les ressources au cordeau, chaque jour de délai supplémentaire dans le delivery du projet coûte un bras, les équipes sont au taquet.
Peut-être même un peu trop. On ne parle là de charge, réelle, mentale tout ce que tu veux. Mais il n’y a pas de back up, pas d’alternative quand une ressource manque. Et là, pas de bol, quelqu’un démissionne et il avait un poste clé.
Pénurie sur le marché, on ne recrutera pas si vite, les consultants sont ultra bookés, bref on va se prendre quelques semaines dans la vue dans le meilleur des cas.
Et l’on peut donc se poser la question s’il n’aurait pas été plus efficient in fine d’avoir un back up ou des effectifs un peu moins tendus…
Quand tu as des pics d’activité ou de commandes qui sont impossibles à prévoir, surtout lorsque tu es en période où les ressources, de quelque nature que ce soit, se font rare… peut-être aurait-il été mieux en effet d’en garder un peu sous le pied.
En substance, être au taquet c’est bien mais il ne faudrait pas avoir à accélérer trop vite et trop fort…
En gestion des stocks, c’est le principe du Just-In-Case qui s’oppose au traditionnel Just-In-Time. On a des stocks, peut-être un peu en surplus au regard de l’orthodoxie budgétaire de court terme, mais on peut répondre aux inattendus.
En gros un stock de sécurité pour éviter des ruptures dont les effets seraient plus coûteux que de porter un stock en surpoids.
En management, il en va de même, c’est l’approche du slack organisationnel de Cyert et March. Cela date de 1956 donc ce n’est pas nouveau.
Slack comme le concurrent de Teams ? Tu veux dire le flou artistique et plus libre du mur de messages qui s’oppose à la gestion normative des droits et des habilitations ? Il y a un peu de ça.
Le slack organisationnel, au fond, on pourrait y voir des coûts cachés, mais c’est aussi les petites marges de manœuvre que se donnent souvent les managers dans les budgets ou la ressource dont ils auraient pu se passer en rythme normal mais qui leur sauve la mise quand il y a un coup de bourre.
Mais encore faut-il en avoir les moyens. Quand tu as une activité qui fait 30% d’Ebit c’est plus facile que lorsque tu es ric-rac !! Un peu comme ceux qui vantaient les mérites des soi-disant 20% de temps libre chez Google comme super levier d’innovation…
C’est sûr que si tu ne fais que 2 points de marge brute, ce n’est pas fastoche. Le luxe des riches quoi. En fait on revient à l’éternel débat entre une exigence de productivité et d’agilité, la première appelant des méthodes aux propriétés vraisemblablement antagonistes à celles qui favorisent la seconde.
D’où des tentatives récurrentes d’ouvrir ou assouplir un modèle taylorien depuis qu’il existe et qui ont donné lieu à une litanie de tendances et de modes managériales sans pour autant qu’une d’entre elles mettent tout le monde d’accord !
Alors, en garder sous le pied c’est bien quand on peut et que cela n’alourdit pas la barque inutilement ou grève les coûts de façon exagérée. Une affaire de nuances, d’équilibre, de juste mesure entre du « juste ce qu’il faut » et du « au cas où ».
En résumé, optimiser les ressources dans une organisation est une nécessité de productivité mais lorsque le contexte l’exige il faut aussi parfois accepter de garder un peu de souplesse, donc de marge, pour répondre aux imprévus.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire
[1] Freeman, R. E., Wicks, A. C., & Parmar, B. (2004). Stakeholder theory and “the corporate objective revisited”. Organization science, 15(3), 364-369.