Demain, on rase gratis
Dans cet épisode, on va parler de business plan, de retour sur investissement et autres projections sur le futur et nous demander quoi en penser.
On adore ces start-ups et leur business plan tout sauf réaliste. C’est bien « cher ami », toi qui as fait ton business plan avec chatGPT, tu es certainement un visionnaire mais il ne faudrait quand même pas nous prendre pour des truffes.
Leader en 3 ans qui génère des millions de profit avec sa nouvelle app révolutionnaire… En automatisant son tunnel de prospection qui finit par t’envoyer des emails du genre « salut mon pote tu es dispo quand ? file-moi ton 06 je te call asap ».
Mais les business plans des start-up, pour caricaturaux qu’ils soient, n’ont pas le monopole du genre. Alors, demain on rase gratis, c’est quoi l’histoire ?
« And pigs will fly » disent les anglosaxons, jamais avares de bonnes images, en l’occurrence une image qui vient des cochons volants dans les aventures d’Alice de Lewis Carroll.
Des cochons volants aux cochons payants il n’y a qu’un pas pour illustrer comment celles et ceux qui croient que les poules auront des dents deviennent les dindons de la farce. Celle qui ne les fait pas rire en l’occurrence.
Pour arrêter de filer la métaphore animalière, on connaît l’adage : les promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient et l’entreprise est un terrain de jeu qui n’y échappe pas.
Le principe est vieux comme le monde. Jouer sur les peurs pour obtenir ce que l’on veut ou jouer sur les désirs. Là, c’est ce dont il s’agit. Le désir du futur.
Cela tombe bien, personne ne sait ce qu’il sera, alors on peut dire ce que l’on veut. Et les gens y croient encore plus lorsqu’on enrobe le tout de l’apparence de la rationalité. Tu sais façon grand tableau Excel avec plein de paramètres partout.
Excel, contrairement à l’apparence de la rigueur de ses colonnes et de ses lignes bien droites et de ses formules, c’est le meilleur allié des bonimenteurs du moins ceux qui te promettent un futur mirobolant.
Une case à la fin, celle du retour sur investissement de ton projet informatique, celle du business plan de ta start up, celui de tes prévisions en entreprise. Une case qui se met à jour avec une formule qui implique plein de paramètres.
Ces paramètres ce sont juste des hypothèses. Ce qui est rigolo c’est l’effet de levier. Tu changes un petit truc dans un paramètre et hop le résultat à la fin qui se met à briller de mille feux.
Achetez mon produit miracle, il vous fait gagner une minute par salarié par heure de travail ! Rendez-vous compte à raison de 1 minute pour 60, soit 1,67% du temps de travail économisé cela représente un gain d’un peu plus de 584 euros par an pour un salaire moyen de 35000 euros.
Vous avez 10 salariés vous voyez le gain tous les ans ? 5840 euros ! Notre produit ne coûte que 4000 euros, c’est tout bénéfice pour vous. Un ROI de malade ! Ah pardon vous n’êtes que 5 salariés ?
Mais en vrai notre produit fait gagner 2 minutes par heure travaillée, pas une mais deux, ni une ni deux, je change le chiffre dans ma petite cellule Excel et Ô miracle, le ROI, dont on sait qu’il est roi quand il s’agit de vendre, reprend les bonnes couleurs.
Que dire en interne, quand on te demande de faire tous les mois des prévisions de vente à 3 ans sur des produits qui existent à peine. Ce n’est pas grave, c’est comme les budgets, on sait que c’est faux.
On met à 3 ans le chiffre qu’ils veulent voir, et à horizon plus court, pour la fin d’année – le résultat dont l’évaluation conditionnera ma prime – et bien là on prévoit quelque chose de beaucoup plus réaliste. Je ne vais quand même pas prendre le risque de ne pas avoir mon bonus.
Entre les deux, une courbe miraculeuse, à la croissance exponentielle qui crève les plafonds. Mais pas aujourd’hui. Demain. Et demain ? Pas demain. Après demain. Un principe vieux comme le monde disions-nous.
Le pire c’est que cela marche ! Henry de Montherlant ne disait-il pas « Une menace, une promesse, une insolence, une courtoisie : cette balance est celle des affaires. »
Alors, à quoi bon se priver puisque ce sont les affaires ?
Les grands cabinets de conseil mondiaux, qui t’annoncent la promesse d’une révolution à venir, celle de la vague déferlante que tu ne dois pas rater au risque de sombrer, n’ont pas grand-chose à envier aux démonstrateurs de râpes à légumes des foires de campagnes sur le parking en face du terrain de foot à côté du bar de la place qui fait l’angle.
La différence c’est le prix. Mais on en revient toujours aux mêmes ressorts, celui d’une promesse superfétatoire quant à ce que sera l’avenir, qu’on enrobe d’études et de formules, aussi mirobolantes que magiques.
Entre les deux, peurs et désirs, croyances et tentations. En vérité, il n’y a rien de bien grave là-dedans si ce n’est un point, qui nous titille, en particulier lorsqu’on est en interne en entreprise, avec nos prévisions de vente ou nos budgets.
Si tout le monde joue ce jeu, comprenant qu’il faut dire ce que les autres ont envie d’entendre, qu’on y croit ou pas, que ce soit réaliste ou pas, cela a des effets délétères
Le premier effet s’apparente à celui de la mascarade, dont on peut aisément comprendre qu’elle n’est pas de nature à poser les fondations d’un édifice social solide. Quel crédit donner ensuite à tous ces exercices sur lesquels repose pourtant la gestion d’une entreprise ?
S’il en est ici comme ailleurs quel crédit donner alors aux dires des autres ? Concernant, leurs engagements par exemple. Pour peu qu’on comprenne aussi l’habileté de certains dans l’exercice de conformité, les effets vont se cumuler.
Le second effet s’apparente à une insulte. Partir du principe que les promesses n’engagent que ceux qui y croient c’est croire que ses interlocuteurs sont des gogos naïfs. Parfois c’est possible. Parfois ça ne l’est pas.
C’est alors les prendre pour des idiots et ce n’est pas sûr que cet irrespect-là contribue à poser les bases d’une relation saine et de confiance. Le « pas vu pas pris » n’est jamais très durable.
Or, la confiance reste le socle sur lequel repose toutes formes de relations, qu’elles soient commerciales ou pas.
En résumé, le jeu qui consiste à promettre un futur mirobolant dont on a parfaitement conscience qu’il a bien peu de chance d’advenir c’est prendre ses interlocuteurs pour des idiots et saper la relation de confiance qu’exige toute relation, commerciale ou pas.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.