Fonction support ou le faux-ami
Dans cet épisode nous allons parler de l’expression « fonction support » et nous demander si cette formulation n’est pas un faux-ami.
Soyons clair, la RH, la comptabilité, tout cela ce n’est pas le business. Je ne te dis pas que cela ne compte pas, mais quand même c’est annexe. L’important ce sont les opérations !
Pourtant, on me dit ici ou là que la fonction RH, par exemple, est stratégique ? C’est à ne rien y comprendre. Donc c’est un support stratégique mais ce n’est pas important ?
Les mots sont parfois joueurs mais ils peuvent aussi être révélateurs d’une certaine conception des choses. Alors, fonction support ou le faux-ami, c’est quoi l’histoire ?
L’opposition un peu manichéenne entre, d’un côté les fonctions dites opérationnelles, les opérations, et de l’autre, celles qui sont en soutien de ces mêmes opérations, qualifiées de fonctions support, ce n’est pas nouveau.
Chacun y va de son couplet, expliquant que son métier est plus important que celui des autres, qui de la RH t’expliquant que sans les personnes l’entreprise n’existe plus, qui de la finance que sans capital pas d’entreprise ou les commerciaux que sans client ça ne marche pas non plus.
On enchaîne ensuite les confusions. « C’est stratégique » pour exprimer le fait que c’est « important », au lieu de parler de la contribution de la fonction, RH par exemple, à la stratégie de l’entreprise, qui est un domaine clairement identifié.
Entre abus de langage et représentations manichéennes, il n’est pas étonnant que les confusions s’installent en effet. Mais revenons un instant sur cette notion de « support ».
D’un côté, donc, les opérations, c’est-à-dire une série d’actes qui produisent un résultat. De l’autre, ce qui est en soutien de ces actes, les fonctions support.
On a d’autres représentations qui existent et qui ne sont pas exactement les mêmes. Back office qu’on oppose à front office par exemple. La salle de restaurant et l’arrière-cuisine. Les militaires qui vont au front et ceux qui les soutiennent derrière les lignes.
Il faut toujours lire entre les lignes, c’est parfois là qu’on trouve le sens caché. On peut aussi faire référence concernant une de ces fonctions support, en l’occurrence la fonction RH, a une expression popularisée à la fin des années 90 : le business partner.
Human Resources Business Partner. Le « partenaire » du business. Notion popularisée par Dave Ulrich, un auteur américain, qui présentait le rôle de la fonction RH avec une matrice à 4 cases.
Le support c’est un soutien. Les supporters par exemple. Ils sont dans la tribune et ils encouragent leur équipe. Le 12ème joueur dit-on au football. Les supporters, c’est un soutien.
Inconsciemment, cela véhicule un imaginaire. Celui qui est « à côté de », pas « avec ». Ils ne jouent pas sur le terrain. On y reviendra mais c’est là le sujet. Car en vérité, fonctions support ou opérationnelle jouent bien sur le même terrain et avec la même finalité.
Le terrain c’est bien celui de l’entreprise et de sa mission. Que dire donc de l’expression Business Partner ? Le partenaire. Celui ou celle avec qui tu t’associes dans une situation donnée. Un jeu par exemple.
L’image est alors plus parlante en effet : associés donc supposés être unis pour une même cause. Des alliés.
Paradoxalement un support c’est précisément ce sur quoi repose quelque chose. La toile en peinture c’est un support. Un socle. Donc c’est la base non ? Comme quoi, une fois de plus, on peut jouer avec les mots.
Derrière ces différentes formules et les représentations qu’elles portent ou pas, il y a un sous-jacent, issus d’une pensée taylorienne dont l’un des principes est celui d’un découpage horizontal de la chaîne de valeur.
« Diviser chacune des difficultés en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre » écrivait en effet Descartes. Ce découpage, c’est précisément les opérations, c’est-à-dire la succession des actes qui sont commis pour produire un résultat.
Le reste est donc support, c’est-à-dire ce qui soutient ou permet la réalisation des opérations dans les meilleures conditions. Employer cette expression c’est donc refléter ce découpage entre le processus et ce qui le soutient.
Or, c’est toute la critique de longue date du taylorisme qui resurgit-là : parcellisation exagérée du travail, dissociation entre « bureau des méthodes » qui pensent le travail et ceux qui le réalisent, dissonance entre travail prescrit et travail réel, etc.
On peut donc appréhender les fonctions support de deux manières.
D’abord les voir en quelque sorte comme de la simple logistique, sans que cela ne soit péjoratif pour ces métiers. Mais en substance les voir comme le carburant de la machine. On les cantonne alors dans une vision réductrice. L’informatique c’est de l’intendance au service du business, la RH c’est de l’administration du personnel.
On peut aussi les voir, non pas comme l’essence de la machine, mais comme l’huile dans les rouages qui, par nature, sont silotés. Donc une source de performance.
Puis une troisième voie peut-être, non pas celle de ce qui permet d’obtenir le résultat visé mais celle d’une opportunité de valeur supplémentaire, un potentiel, une richesse nouvelle.
Derrière ces expressions pour qualifier telle ou telle fonction, il y a souvent une culture et donc une certaine représentation de l’entreprise, ses modes de fonctionnement et des rôles de chacun.
Gageons que l’expression fonction support ne soit pas le meilleur supporter de ces mêmes fonctions
En résumé, l’expression « fonction support » est porteuse d’une image réductrice. Elles ne sont pas « à côté » de ce qui est important mais bien « avec », contributrices à la création de valeur, parfois sources d’une valeur nouvelle et en toute hypothèse parties prenantes d’un seul et même projet, celui de l’entreprise.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.