Affirmer ou démontrer ?

Dans cet épisode nous allons parler d’argumentation.

J’ai raison parce que je le dis et je le dis parce que je le vaux bien. Bah voilà quoi. C’est cela mon argumentation. Circulez, il n’y a rien à voir, tout est dit et bien dit, puisque je te le dis.

J’ai raison parce que je le crois… C’est bien mon coco mais c’est un peu ras du bulbe. Peut-être qu’un raisonnement pour étayer ton propos ne nuirait pas à ta capacité à convaincre. Non ? Pose-toi la question.

Tu m’imposes un raisonnement ? Mais c’est un véritable arraisonnement ! Tu sais que la raison ment et tu me demandes un raisonnement pour te convaincre ?

Plutôt que de m’asséner tes opinions sous forme de vérités, comme on égrènerait un chapelet ! Oui en effet ! Alors, affirmer ou démontrer, c’est quoi l’histoire ?

Essayer de démontrer plutôt qu’affirmer. Montrer des liens entre les choses plutôt qu’une liste du genre c’est vrai parce que 1. j’ai raison 2. J’ai raison 3. J’ai raison Conclusion j’ai raison. Pourquoi ? Parce que c’est vrai.

C’est du logos dont il s’agit en effet. L’un des trois registres de la rhétorique selon Aristote. On les rappelle ici rapidement.

L’ethos, l’argument d’autorité, j’ai raison parce que je suis ton chef à plumes. Le Pathos, le recours à l’émotion. Les politiques en jouent à merveille, que ce soit la peur ou le désir. Et enfin le logos, l’appel à la raison.

J’en appelle à ta raison qui sera d’accord avec mon affirmation, parce que je l’aurais démontrée. Essayer d’avoir cette hygiène intellectuelle, c’est un exercice salutaire dans de très nombreux domaines. Cela revient à un exercice simple à décrire.

Une affirmation, c’est dire quelque chose de quelque chose. Le sujet et ce que j’en dis. Par exemple : « l’engagement individuel est source de performance collective ». C’est une affirmation.

Le raisonnement, lui, va plus loin. Le sujet, ce que j’en dis ET pourquoi ! C’est l’argument. « L’engagement individuel est source de performance collective » parce que « l’engagement individuel est source de performance individuelle » et que « la performance individuelle est source de performance collective ».

Ton argument, c’est donc ici « la performance individuelle ». L’argument qui relie les deux termes de ta proposition. Ta proposition c’est « l’engagement individuel est source de performance collective ». Ton sujet c’est « l’engagement individuel » et ce que tu en dis, ce qu’on appelle le prédicat, c’est qu’il « est source de performance collective ».

Pour établir le lien entre ton sujet et ce que tu en dis, tu avances en effet un argument ou une raison qui fait le lien entre les deux termes.

Donc tu te retrouves avec deux nouvelles propositions. La première : « l’engagement individuel est source de performance individuelle ». Et une seconde, « la performance individuelle est source de performance collective ».

C’est ce qu’on appelle des prémisses. Chaque proposition ici est une prémisse dont la réunion conduit à une conclusion. Le Larousse définit la prémisse comme « chacune des deux premières propositions, la majeure et la mineure, d’un syllogisme ».

C’est la première étape de ton raisonnement. Tu vas donc te demander si chacune de ces nouvelles propositions est solide. Si tes prémisses sont contestables ou pas.

Tu continues ainsi, pas à pas, jusqu’à ce que tu estimes que tu es arrivé au bout de ton raisonnement. C’est cela l’hygiène du raisonnement : ne t’arrêter que lorsque tu estimes que c’est incontestable.

Ce qui évite de dire des conneries en allant trop vite en besogne. Ce que disait Albert Camus : « La logique des passions renverse l’ordre traditionnel du raisonnement et place la conclusion avant les prémisses. »

En théorie donc on pourrait ne jamais s’arrêter. Or, beaucoup s’arrêtent à la première étape, celle de l’évidence. Comme ce que nous avons fait avec notre exemple. En pratique, il faut aller plus loin mais savoir où s’arrêter.

Il faut s’arrêter quand tu arrives à un fait constatable par tous ou à une théorie reconnue et démontrée. Là, tu peux te dire que tu as déjà fait un effort.

Savoir s’arrêter en effet là où il faut. Une expression image bien cela : est-ce que c’est plaidable ? Cela veut tout dire. C’est ce que disait l’écrivain Britannique Samuel Butler quand il affirmait que « la vie est l’art de tirer des conclusions suffisantes de prémisses insuffisantes. »

Si on reprend notre exemple, la proposition c’est « l’engagement individuel est source de performance collective ». La prémisse majeure c’est « l’engagement individuel est source de performance individuelle ». La mineure, « la performance individuelle est source de performance collective ».

Bon allez, la mineure on la démonte facilement non ? Les facteurs d’interactions entre les personnes et les inévitables comportements humains offrent bien des occasions que la somme des performances individuelles ne soit pas une garantie de performance collective. Toute la différence entre collaborer et coopérer.

La majeure aussi est plus que contestable. En quoi l’engagement individuel est-il source de performance individuelle ? Combien de fois des incompétents hyper engagés, bourrés de bonnes intentions, font pire que mieux ?

Bref, en substance, « l’engagement individuel est source de performance collective », on a du mal à le démontrer à ce stade… Encore une idée reçue et Dieu sait qu’il y en a dans la vie des entreprises.

On voit là toute la nécessité de formuler un raisonnement. Mais attention… C’est loin de suffire. Encore faut-il correctement nommer les choses… Car sinon de prémisses d’apparence justes on fera une conclusion fausse.

Tiens l’engagement, c’est quoi ? L’engagement dans quoi ? Dans ton travail ? Dans l’entreprise ? … On pose ça là…

Définir et raisonner ! Les deux clés.

En résumé, démontrer consiste à établir des liens les moins contestables possibles entre le sujet dont on parle et ce qu’on en dit. Cela demande de la rigueur dans la définition des termes et dans les arguments qui les relient et de trouver la juste profondeur du raisonnement dans son ensemble.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.