Faux concepts et idées reçues en RH

Dans cet épisode, nous allons parler de concepts… qui n’en sont pas vraiment et de toutes ces idées reçues qui rythment le monde professionnel RH.

Chef j’ai inventé un nouveau concept révolutionnaire. La killer feature de la RH ! Tu vas voir ce que tu vas voir ! Nous allons éclairer le monde, que dis-je l’univers !

Edgar Morin disait que « la vraie nouveauté naît toujours dans le retour aux sources. » Alors c’est quoi toi la source qui t’abreuve pour dire autant de conneries ?

L’air chef ! J’ai inventé le concept de l’air.

(sic)

Parfois, à observer le monde contemporain, j’ai du mal à ne pas me demander : mais comment diable en sommes-nous arrivés là ? Alors, faux concepts et idées reçues en RH, c’est quoi l’histoire ?

Eusèbe Salverte disait que « l’histoire de la crédulité est peut-être la branche la plus étendue, et, à coup sûr, l’une des plus importantes de l’histoire morale de l’espèce humaine »… Et bah en RH aussi !

C’est un formidable terrain de jeu à tous les faux concepts qu’on peut imaginer, comme aux évidences qu’on nous présente comme des nouveautés ou aux raccourcis qui font le lit des idées reçues.

D’abord les concepts qui n’en sont pas. Tiens l’expérience client ou l’expérience collaborateur par exemple, ce n’est pas un concept, ni un truc particulier. C’est juste une réalité, comme l’air que tu respires.

Quand les gens vivent quelque chose, ils en font de fait l’expérience et de cette expérience, ils tirent des enseignements, so what ? Les gens se font une idée de ce qu’ils vivent. C’est un concept ça ?

En fait ça pose une première question. C’est quoi un concept ? Tiens, les gens du marketing qui te parlent d’un concept store… C’est quoi le concept ? Juste une idée ? Une expérience nouvelle ?

Et en gestion, ce qui nous intéresse ici, c’est quoi un concept ? Il suffirait de prendre un truc qui existe, de le baptiser autrement et d’affirmer ensuite être l’auteur ou l’autrice d’un nouveau concept ?

Posons la question autrement. En quoi les notions que nous utilisons dans le langage managérial courant peuvent-elles être considérées comme des concepts ?

C’est vrai que dénommer une chose existante de façon immanente mais pas clairement identifiée ou « conscientisée » permet de le rendre plus tangible. On nomme les choses et elles apparaissent alors plus clairement.

Un peu à la manière des nuages dans le ciel, ce sont tous des nuages, ils existent. Mais quand l’enfant à côté de toi te dis « regarde, un lapin ! » alors le nuage devient lapin. Or, c’est là le premier problème peut-être, si le mot que tu emploies relève du langage commun, déjà porteur d’une signification, est-ce qu’il y a une autre signification qui émerge ?

Comme dans expérience… par exemple. Il faut donc leur donner une définition précise, compréhensible, pour prétendre devenir concept. Et que cette définition soit porteuse d’une singularité qui la distingue de son acception courante !

Et c’est là où la litanie des mots-valises revient comme une petite rengaine. Burn out, bore out, brown out fallait-il tous ces mots anglais pour désigner quelque chose de pas si différent, par exemple, de ça me stresse de me faire chier au taf ?

Ah quel ennui… en effet. Quoique ce soit aussi le charme des mots. Il paraît par exemple qu’il y a un nombre important de mots différents pour désigner la neige ou les rennes dans les langues sâmes (Magga, 2006).

Ça s’invente pas, tiens il y a par exemple Nammaláhpat qui désigne un animal non castré âgé de six ans et demi à sept ans et baggi « qui est petit et gras avec un gros ventre »… Mais est-ce que cela fait un concept pour autant ?

Dénommer et définir ne suffisent pas pour donner une réelle matérialité, à justifier que c’est un concept. Il faut aussi, peut-être, que cela soit fondateur d’autre chose, comme un socle. Une sorte de potentiel d’explication plus grand.

Et là on en arrive aux raccourcis qui deviennent des idées reçues. Parce que lorsque ce que tu manies intellectuellement est aussi flou que creux, tu ne risques pas de pouvoir conclure à quelque chose de solide.

Les idées reçues, issue de ce genre de processus réducteur, dans laquelle la démonstration a laissé la place à l’affirmation, il y en a des tonnes en RH. Alors, pour nous donner à toutes et tous un peu de grain à moudre pour exercer notre esprit critique… En voici quelques-unes.

L’engagement est source de performance… Ah bah c’est sûr ça ! Sinon pourquoi le Gallup t’expliquerait que les salariés sont tous désengagés, sans trop te dire de quoi au juste d’ailleurs.

J’aimerais bien qu’on me démontre cette affirmation, que l’engagement individuel est source de performance collective. Parce que c’est ça le raccourci. Le chemin de la démonstration entre deux concepts aussi difficiles à définir me semble aussi long que périlleux !

Et pourtant, intuitivement, la performance collective ne peut que pâtir d’une absence d’engagement individuel généralisée… Mais c’est un sophisme.

Dans la même veine, la diversité est source de performance. C’est démontré ça ? Même si on aimerait y croire dur comme fer et même s’il faut défendre l’idée de diversité autant qu’on le peut. Peut-être au mieux a-t-on démontré qu’une certaine forme de diversité était favorable à une certaine forme de performance ?

Pas plus. Mais le raccourci est là. Comme une évidence. Et des évidences qui sont tout sauf des évidences, il y en a pléthore.

« L’innovation comme finalité ». Tiens pourquoi ? On innove pour innover ou pour résoudre un problème ?

« Un salarié heureux est un salarié performant » ah la belle affaire. Parle-moi du bonheur et on en reparle.

« Le digital est source de coopération »… Ou il facilite la collaboration sous réserve qu’on ait envie de coopérer. Bref, on arrête.

Le bon sens a ceci de pernicieux qu’il est bon parce que je l’ai décrété comme bon, et s’il devient commun, il s’impose à toutes et tous… Sans autre forme d’argumentation puisqu’il est bon.

Et à force d’échapper à toute forme de démonstration un tant soit peu rigoureuse, on finit par gober les trucs qu’on veut nous vendre.

En résumé, la vie professionnelle est infestée de pseudo-concepts et d’affirmations non démontrées qu’on prend souvent un peu trop vite pour argent comptant au lieu d’exercer notre esprit critique, à nos dépends.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

Références

Magga, O. (2006). Les rennes, la neige et la glace : richesse du vocabulaire sâme. Revue internationale des sciences sociales, 187, 29-38. https://doi.org/10.3917/riss.187.0029