La suffisance est une insuffisance
Dans cet épisode nous allons parler de cette posture que choisissent certaines personnes en entreprise, la suffisance.
On les voit bien. Ils s’écoutent parler. Certains sont tellement forts en la matière qu’ils se regardent même en train de s’écouter parler. Tout un art.
Ils ne leur manquent que jabots et perruques, le regard hautain, celui de cette supériorité qu’ils pensent avoir, la supériorité des coqs de basse-cour, cette cour dont ils ont justement toujours rêvé.
On les retrouve dans toutes les professions, de tout âge, indépendamment du genre et de tout autre critère, si ce n’est celui d’une distinction, d’une médaille, d’une barrette ou d’un statut dont ils croient que cela fait d’eux une statue grecque à qui l’on doit déférence.
Il y en chez les médecins comme chez les professeurs – ces « chers collègues » – chez les « cadrillons » des grands groupes comme chez les chefaillons de l’administration, bref, partout…
C’est à leur crêtes et leurs ergots qu’on les reconnaît, parce quand on est petit dedans on a les talonnettes qu’on peut, pas celles qui grandissent physiquement celles et ceux qui en éprouvent peut-être le besoin, mais celles qu’ils aiment faire claquer pour rappeler aux autres de rentrer dans le rang, celui dont ils ne sont pas.
C’est évidemment ridicule et risible. Mais le problème, c’est que c’est assez fréquent. Alors, la suffisance est une insuffisance, c’est quoi l’histoire ?
Suffisance, condescendance, indifférence, arrogance, mépris, que de qualificatifs proches, l’un n’excluant malheureusement pas l’autre. Souvent la source de bombes à retardement en entreprise, comme ailleurs.
L’arrogance, c’est un étalage. La suffisance, c’est différent, c’est une attitude qui consiste à être satisfait de soi. Satis en latin ou « assez ». Juste assez. Pas besoin de plus ou de mieux.
La suffisance donc c’est se contenter de soi-même. Ce n’est pas très loin de la vanité qui montre la suffisance. Bref, on voit ce que c’est sans avoir besoin de jouer sur les mots.
Se croire arrivé, au point de se croire au-dessus, et de le montrer avec ce pincement de lèvres qui frise le mépris, avec détachement ou avec toute l’arrogance d’un influenceur qui vient de se payer sa première grosse bagnole rutilante,…
Une attitude qui, en effet, pourrait faire sourire. Mais allons un peu plus loin sur les conséquences, non pas de la posture en elle-même sur les autres mais sur ce qu’elle dit de celui ou celle qui l’adopte.
L’orgueil n’est jamais très loin de la suffisance. Ces attitudes ont évidemment des conséquences néfastes en entreprise comme dans la vie sociale en dehors. Au-delà du mépris à l’égard de l’autre on voit bien en quoi cela nuit, de fait, à toute forme de coopération.
Mais on le sait, arrivistes, mercenaires et autres individualistes ont souvent peu à faire de l’intérêt du bien commun, et coopérer en soi leur importe peu car cela ne leur rapporte pas.
On voit bien en quoi cela mine toute relation de confiance, mais, là encore, comme ils n’ont rien à faire ni de l’autre, ni du destin collectif, cela ne les affecte pas. Confiance et respect, autant te dire qu’ils s’en foutent.
On voit bien aussi à quel point ce type d’attitude, reposant sur la croyance qu’on est au-dessus et meilleur que les autres, cela n’aide pas à reconnaître ses erreurs. J’ai bon chef hein ? Puisque je suis chef.
Alors ces gens-là, ils trouvent toujours d’autres coupables qu’eux-mêmes. La faute des autres ou du système. Mais après tout, quand on croit être au-dessus des autres, pour quelle raison pourrait-on bien devoir reconnaître ses propres torts ?
Incapables d’apprendre et donc de progresser alors ? Après tout quand tu t’estimes au sommet, où pourrais-tu désormais grimper ? « Citius, Altius, Fortius – Communiter », devise olympique.
« Plus vite, plus haut, plus fort » j’y suis déjà et « ensemble » je m’en fous puisque je me suffis à moi-même ! Donc on peut résumer de la manière suivante.
Une attitude destructrice de confiance, qui nuit à la coopération, conduisant à ce qu’on reconnaisse peu ses propres erreurs et qu’on ne réunisse pas les conditions de son propre progrès. Voilà un joli portrait.
Qui appelle à nos yeux deux remarques.
La première remarque est la suivante. Tout ce que nous venons de décrire, c’est la parfaite liste des anti soft skills. Exactement tout ce qu’il ne faut pas être en entreprise précisément parce que ce ne sont pas les comportements qu’elle attend.
Une attitude de suffisance témoin d’une insuffisance professionnelle. Au sens littéral. Or, si on pousse le bouchon plus loin, cette insuffisance-là a une autre connotation en droit social, me semble-t-il ?
Je cite Le Dalloz « l’insuffisance professionnelle désigne l’incapacité du salarié, sans lien avec l’aptitude physique au travail, à remplir les fonctions ou les tâches qui lui sont confiées par l’employeur. Elle constitue un motif personnel de licenciement »
Or, la liste que nous avons faite est inhérente à certaines fonctions, notamment lorsqu’on dirige ou manage. Et hop, viré parce que tu pètes plus haut que ton cul. Je blague hein. Quoique.
Retenons simplement que suffisance rime bien avec insuffisance. Dit autrement, te croire complet, c’est qu’il t’en manque nécessairement un peu !
La seconde remarque, c’est que rien n’a de prise réelle sur celles et ceux qui sont suffisants. C’est souvent le propre des croyances aveugles d’ailleurs. L’argument ne s’y oppose pas, ils se le réapproprient à leur sauce.
Puisque tu te crois au-dessus, que tu as développé l’intime conviction de te suffire à toi-même, que tu y crois, comment pourrais-tu entendre la moindre controverse, quand bien même soit-elle argumentée ?
La suffisance rime donc assez vite aussi avec une forme de connerie… On connait la formule « jouer aux échecs avec un pigeon… »
La loi de Brandolini n’est jamais très loin et les réseaux sociaux l’illustrent bien. Une loi que l’on doit à un tweet d’un certain Alberto Brandolini sur Twitter en 2013 : « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter la connerie est d’un ordre de grandeur supérieur à celle nécessaire pour la produire. »
Alors, la prochaine fois que vous croiserez un suffisant, dans une réunion, gardez votre énergie !
En résumé, une attitude suffisante peut révéler des caractéristiques personnelles peu propices au progrès et à la coopération en entreprise. Elle est en cela un signe d’insuffisance. Mais un signe n’est pas une vérité et il faut toujours donner une chance aux gens de s’améliorer.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.