Portefeuille de carrière ou chemin tracé ?
Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur les parcours de carrières et nous demander s’il vaut mieux privilégier des carrières linéaires ou plutôt une logique de portefeuille diversifié.
Alors moi je vais te dire, ce n’est pas compliqué. Je sors de l’école et je suis assistant junior expert et ma voie est toute tracée : assistant expert, expert, assistant chef expert, chef expert, expert en chef, expert directeur.
Et après chef ? Expert empereur ? Empereur d’une expertise, qui n’en a pas vu la fin mais qui n’a vu que ça. Et après tu recruteras des jeunes de la même école, pour qu’ils deviennent assistants juniors experts c’est ça ?
C’est une carrière normale. On gravit les échelons, chef, jusqu’au sommet de l’échelle, en haut de l’affiche !
Et si tu privilégiais un parcours diversifié ? Avoir plusieurs échelles à ton arc ? Ça pourrait être bien aussi non ? Alors portefeuille de carrière ou chemin tracé, c’est quoi l’histoire ?
Gravir les échelons… on aime bien l’image. L’idée qu’on monte, pas à pas mais sûrement, donc inconsciemment qu’on grandit. Mais si l’échelle te fait monter plus haut, est-ce que, toi, tu grandis pour autant ?
Le premier débat pourrait être celui de l’expérience de spécialiste, qui n’est pas nécessairement un expert et qu’on oppose volontiers à celle de généraliste. D’une part, ce n’est pas ce qui nous intéresse vraiment ici et, d’autre part, c’est un faux débat.
Un faux-débat parce qu’on oppose les deux de manière binaire. Or, ce n’est jamais 100% spécialiste ou 100% généraliste. Même si tu vises une forme d’expertise dans un métier donné, ce qui compte c’est la cohérence de ton parcours, pas sa linéarité.
Multiplier des expériences différentes tout en nourrissant une perspective, celle d’un même métier par exemple. Il n’y a aucune raison, dans cette seule optique du débat spécialiste / généraliste, d’opposer carrière linéaire à parcours diversifié dès lors que ce dernier est cohérent.
La question de l’intérêt des portefeuilles de carrières, plus diversifiées, se pose autrement et sur un autre terrain. Celui de l’intérêt des parties, à commencer par celui de l’entreprise évidemment.
Du point de vue de l’entreprise, en tant que RH, la première des exigences c’est celle de l’optimisation la mieux anticipée possible des ressources. En substance, GPEC, GEPP ou workforce planning, tu mets les mots que tu veux là-dessus.
Ce qui invite inévitablement à approcher les sujets par deux biais, celui du poste, pierre angulaire de presque tous les processus RH, et celui des compétences pour les exercer, donc d’abord sous l’angle métier.
Si tu combines ces angles de vue avec une logique de grading, de classification pour la cohérence de ta politique de rémunération, tu as le parfait combo d’inspiration taylorienne. Et on en a besoin.
Tout un arsenal de processus et un socle culturel qui conduisent, par nature, à privilégier une approche des carrières plutôt linéaires. On réduit les risques, on anticipe plus facilement, notamment en volume. L’intérêt des voies tracées c’est justement qu’elles soient tracées, donc balisées, maîtrisées.
Mais si on se met dans la perspective du développement des personnes et de leurs compétences, rien n’est moins sûr. On l’a évoqué, le développement professionnel embrasse bien plus vaste.
En premier lieu, si on souligne de toutes parts l’importance des soft skills, alors on comprend vite le peu d’intérêt qu’il y a à enfermer une carrière dans un silo au lieu d’ouvrir à des expériences qui nourrissent ces compétences-là, ne serait que par la diversité de ce à quoi on est exposé.
Mais en deuxième lieu, privilégier des carrières linéaires c’est présupposer que les salariés vont rester dans la même filière. Or, on n’est absolument pas sûr que ce soit l’intention des intéressés.
Il vaut alors peut-être mieux, contribuer à servir leurs attentes aussi, même si c’est un équilibre à trouver avec la satisfaction des besoins de l’entreprise. C’est évidemment un des facteurs de leur engagement et de leur fidélisation.
Et puis c’est aussi l’intérêt évident de l’entreprise, lorsqu’elle fait face à une pénurie de main d’œuvre et des difficultés de recrutement. Ne serait-ce que pour une raison simple : c’est bien de constituer des filières métiers mais si le vivier dans lequel puiser est insuffisant alors il faut inévitablement ouvrir à des parcours plus variés.
Là, on se heurte souvent à deux écueils. Le premier c’est que les référentiels de compétences sont le plus généralement structurés par les compétences métiers et ne facilitent donc techniquement pas les passerelles inter-métiers.
Ces passerelles inter-métiers ou cet élargissement du spectre reposent alors bien plus sur l’expérience et l’audace des RH et l’ouverture d’esprit des managers. Sauf que, là, le second écueil arrive vite aussi.
Les managers sont précisément peu enclins à prendre des risques et leurs représentations sont souvent stéréotypées, puisque, justement la RH leur a souvent vendu les mérites des carrières linéaires et que c’est bien souvent ce qu’ils ont vécu eux-mêmes.
On a peut-être là au fond l’un des premiers arguments qui militent en faveur d’une plus grande ouverture de la gestion des carrières à des parcours plus diversifiés et moins stéréotypés. Du moins pour l’entreprise, pour répondre à ses besoins.
Peut-être peut-on aussi se mettre dans la perspective de l’intérêt des salariés aussi, car y répondre, on l’a dit, contribue bien sûr à leur engagement et leur fidélisation. Si on caricature, tout le monde n’a pas nécessairement envie de creuser le même sillon toute sa vie.
Embrasser la carrière qu’ils disaient. Oui mais laquelle ? Combien de personnes ont-elles simplement envie de multiplier les expériences parce qu’au fond elles ne savent pas tant que ça ce vers quoi aller et elles aimeraient bien se faire une idée…
Il y a aussi ceux qui s’emmerdent vite dans leur job, qui éprouvent le besoin de faire d’autre chose. Moins obsédés par la réussite verticale, ils peuvent privilégier autre chose. Des gens qui, plutôt que la progression de carrière, cherche le plaisir du chemin de carrière.
Ceux qui préfèrent l’expérience que l’on vit à celle qu’on accumule. Il n’y a pas que des fourmis, il y a aussi des cigales. Des nomades, pour qui le voyage compte plus que la destination, des butineurs des chemins de traverses, des papillons et des libellules…
Bref des gens dont les ressorts personnels ne s’inscrivent pas nécessairement dans les représentations dominantes et stéréotypées qui ont fait foi et loi dans les entreprises pendant longtemps.
Une fois de plus, en période de pénurie, soucieuses de l’expérience collaborateur, attentives à faire éclore des talents, à détecter des potentiels et les révéler, sans pour autant sacrifier la satisfaction des besoins des entreprises à court moyen et long terme, les entreprises ont tout intérêt à offrir un champ des possibles en matière de carrières bien plus ouvert et plus vaste que celui de la seule perspective d’entrer dans un moule qui ne sied pas à tout le monde.
Alors pourquoi opposer carrière linéaire et portefeuille de carrière ? Et si c’était une complémentarité que l’on devait chercher ? Il n’est pas question d’abandonner des filières métiers et les parcours dits linéaires. Il s’agit plutôt d’une question d’ouverture et d’équilibre. Elargir le champ des possibles. Offrir une gamme plus vaste.
Avec tout ce que cela suppose de travail sur les représentations et donc la culture. Celles des managers, on l’a dit. Donc celle des praticiens RH aussi. Et peut-être simplement celle de toutes et tous, pour que chacun comprenne que les chemins de la réussite ne sont jamais si tracés que cela.
En résumé, la gestion des carrières a souvent privilégié des parcours de carrière métiers linéaires mais de nombreux facteurs conduisent désormais à ce que proposer une perspective plus vaste avec des parcours plus diversifiés, dans une logique de portefeuille, soit bénéfique à la fois pour l’entreprise et pour les collaborateurs.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire