Recruter c’est un pari et un métier

Dans cet épisode nous allons parler de recrutement, interne ou externe

Bon alors, cheffe ça fait plus de trente ans de que je dirige, autant te dire que je sais qui il faut et qui il ne faut surtout pas. Moi, d’un seul coup d’œil je te les repère les œufs fêlés dont on ne veut pas chez qui tu sais.

Bah voilà, la rengaine du vieux con qui sait tout, qui met son nez dans tout et surtout de ce qu’il ne connaît pas. Parce que tu crois que tu es un bon recruteur toi ? Si tu en étais un si bon, chef, tu ne m’aurais jamais choisie.

On a tous un jour croisé un manager sur de son nez, de son intuition, qui sélectionne celles et ceux qui lui plaisent, parce que tu comprends les valeurs, l’esprit d’équipe “toussa toussa”… Bon, alors, recruter c’est un pari et un métier, c’est quoi l’histoire ?

On ne va pas parler ici de ce que suppose l’ensemble d’un processus de recrutement, de la marque employeur en tant que déclinaison d’un projet d’entreprise jusqu’à une intégration, pardon un onboarding, savamment pensée et mise en oeuvre pour que les conditions soient réunies pour que la greffe prenne au mieux…

Ni même ce que cela demande de stratégie de sourcing, de maîtrise dans les choix de canaux de communication, ou tout simplement de lecture pertinente d’une politique de rémunération pour que la pression inflationniste à l’embauche ne fasse pas voler en éclat une équité interne qu’on a mis des années à bâtir.

Bref, recruter c’est un métier un peu plus vaste et profond que de poster une annonce, faire passer des entretiens et choisir ! Surtout quand le marché s’inverse et que c’est à l’entreprise de montrer patte blanche.

Ce qui nous interpelle ici, c’est une question simple. Celle de la sélection, du choix. « Choisir donc exclure » disait Bergson. Et cela appelle deux remarques.

La première remarque est assez simple : qui dit choix dit donc risque d’erreur, et des deux côtés. Tout opérationnel devrait en être pleinement conscient. En aucun cas, le choix ne peut être totalement exempt de risque et cela vaut autant pour l’entreprise que pour le candidat.

On enfonce une porte ouverte là… Sauf que dans la pratique, connaissant l’aversion au risque qui peut parfois caractériser la vie de l’entreprise, combien de managers auront une posture ultraprudentielle sur le sujet, parce qu’au fond ce risque ils en seront directement affectés s’il se réalise.

Or, plus l’on est en période de pénurie de main d’œuvre, plus il faut ouvrir donc prendre des risques… C’est là où il faut alors certainement veiller à éviter deux dérives. La première on vient de l’évoquer, le manager aux idées bien arrêtées qui est réticent à s’ouvrir à des profils qui ne rentrent pas dans le champ de ses représentations.

D’où l’intérêt de croiser cette appréciation du risque avec le regard d’autres parties prenantes, en veillant bien sûr à ce que cela n’allonge pas les délais ni n’alourdisse trop le processus.

Et la seconde, celle du manager qui au contraire, s’immisce trop dans le sujet, avec passion certes, mais en privilégiant celles et ceux qui l’aime, avec qui il s’entend bien ou sur lesquels il projette ses propres représentations.

Parce que pour le coup, ce manager-là fait prendre des risques à l’entreprise et au candidat. Parce que si recruter est un art, notamment celui de la pédagogie auprès du manager pour éviter ses biais et ouvrir ses représentations, c’est aussi un métier.

Et c’est précisément parce que c’est un métier tu vois que moi, je suis tout sauf un bon recruteur. Je choisis les gens que je trouve bien dans l’absolu. Mais pas ceux qu’il faut. En d’autres termes je fais rigoureusement ce qu’il ne faut pas.

Même si parfois, tu as du bol, ça matche et ça se passe bien, parce que tu as du nez, et après tu t’en fais une règle générale. Et là, paf, ça ne marche plus. J’en connais des managers expérimentés, rompus à l’exercice de leur métier, qui se sont lamentablement fourvoyés, trop sûr de ce que leur expérience leur a livré.

Un peu comme le chef d’entreprise qui a réussi, et qui est convaincu de pouvoir faire des clés de sa propre réussite celle d’un modèle universel…

Comprendre ce qui va matcher, entre la culture de la boîte et la personne, la manière dont sa personnalité sera bénéfique à l’équipe et s’enrichira de ses caractéristiques, le projet qu’on veut mener et ses attentes, ses compétences mais aussi les comportements qui sont les siens, bref la liste est longue.

Penser ainsi que tu peux répondre à toutes ces questions en ne comptant que sur ton bon sens et ton intuition de manager expérimenté, c’est précisément manquer de bon sens et au demeurant avoir une bien piètre considération pour le métier de recruteur.

Il en va ainsi très régulièrement des choses humaines. Comme on y est confronté, on les vit, on en fait l’expérience, dont on tire nos enseignements, on se sent autorisé à savoir. On en oublie alors un peu vite que d’autres en ont fait un métier et qu’il doit y avoir des raisons !

Si ce métier de recruteur t’évite bien souvent de faire des conneries, comme tout domaine dans lequel aucune certitude ne peut être donnée à 100% – c’est-à-dire la quasi-totalité des domaines d’expertise – n’en oublie pas pour autant que ce n’est pas une science exacte.

Pour le manager, il faut donc travailler main dans la main avec les pros du recrutement, en leur faisant confiance puis assumer ses choix donc prendre un risque. Mais cela veut dire aussi que le professionnel du recrutement a tout un travail de pédagogie à faire.

Pour que le manager comprenne le champ des contraintes qui pèsent sur le recrutement envisagé, qu’il ou elle ne se fasse pas de fausses représentations de la réalité de la situation, que ce soit le marché ou les chances de l’entreprise, la rareté du profil souhaité, les alternatives raisonnables etc…

En un mot, comme pour tout expert, donner des clés aux managers opérationnels pour qu’ils ou elles puissent faire leurs arbitrages en connaissance de causes, et donc accepter la part de risque qui leur incombe dans les décisions qui en résultent.

En résumé, recruter constitue par nature un risque pour l’entreprise comme pour le candidat dont on ne peut pas s’affranchir. On peut néanmoins l’encadrer en comprenant que recruter est un véritable métier quand bien même ne s’agisse-t-il pas d’une science exacte.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire