Négocier c’est sans condition
Dans cet épisode nous allons parler de négociation ou de ce qui n’en n’est pas vraiment une.
Je te le redis, en toute transparence, je suis prêt à aller à la « table des négociations ».
Et moi aussi, donc des négociations vont s’ouvrir et nous trouverons un terrain d’entente, fruit d’un dialogue ouvert sain et constructif. En tout bien et tout honneur.
Oui enfin je te préviens, en tout bien pour moi et tout honneur pour toi. Moi, je pose une condition avant : je ne veux ni noir, ni blanc, ça n’est pas négociable. Mais sinon, t’inquiète, pas de souci, je suis en mode « on négocie ».
Et moi, je pose une condition aussi : pas de nuances de gris. Ce n’est pas négociable non plus. Mais t’inquiète, je suis ouverte au dialogue, en mode tout ouïe mais pas non.
La table des négociations est donc dressée, le dialogue va s’ouvrir, mesdames et messieurs, les 3 coups sont donnés, jouons la pièce avant que le rideau ne tombe, tel un couperet. Négocier, c’est sans condition, c’est quoi l’histoire ?
Au début de la pièce, il faut poser le décor. Et respecter un minimum de classicisme. Unité de lieu d’abord : l’entreprise ! Tu ne me parles pas de politique. Unité de temps : là maintenant ! Pas de retours en arrière, le passé c’est du passé, ou de voyage dans le temps, genre « demain on rase gratis ».
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, tu as raison. Et n’oublie pas : unité d’action. Une intrigue simple (sinon tu ne vas pas la comprendre hein chef ?) qu’on a résolue à la fin de la pièce.
Oui bah je sais c’est quand on dit « en résumé blah blah J’ai bon chef » ?
Bon alors c’est quoi l’histoire on a dit. Qu’est-ce que tu es lente ! L’histoire, c’est qu’on est partis pour négocier. Négocier : on est d’accord ? C’est justement quand on n’est pas d’accord !
Oui le désaccord qu’on a décidé de résoudre par la négociation avant de se foutre sur la gueule. Et c’est là le début de l’histoire.
Cela veut dire clairement qu’on entre en négociation avec la volonté d’essayer de trouver un accord pour résoudre le désaccord. Il y a une volonté mutuelle d’essayer d’y arriver. Ça ne veut pas dire qu’on va y arriver mais si c’est le choix qu’on fait, on essaye.
Donc on arrive avec une disposition qui le permet. Or, si tu commences en arrivant moi je veux bien négocier sauf ça ou ça, c’est mal barré.
Si le cadre préalable que tu poses à la négociation, ou plutôt que tu imposes de fait, relève précisément de l’objet de notre désaccord, comme sur le blanc, les nuances de gris et le noir de notre introduction, cela veut dire que tu fermes la porte à la négociation.
Cela signifie que tu imposes un rapport de force préalable qui n’est plus de la négociation. Tu imposes à l’autre de se soumettre avant discussion, là où précisément nous étions d’accord pour chercher un compromis.
Et si jamais la condition que tu poses avant la négociation ne porte pas sur l’objet de la négociation alors c’est autre chose. Et on s’en fout. Revenons donc à ce qu’on disait.
Poser une condition sur l’objet de la négociation avant qu’elle n’ait lieu est-ce bien une négociation puisque justement la négociation a pour objet d’essayer de parvenir un accord ? On va prendre un exemple simple.
Sur une échelle de 1 à 10, on n’est pas d’accord. Je veux 7 et tu veux 4. Deux cas de figures peuvent se présenter dans ce fameux cadre préalable ou condition que chacun pose à la négociation.
Si je dis avant la négociation : « je te préviens, je veux 4, on n’est pas d’accord, on négocie mais soyons clair, je ne négocie qu’entre 4 et 5 ». Ce n’est pas jouable. Si je te dis : « je te préviens je n’entre pas en négociation si tu commences à 8 », c’est autre chose.
Cela veut dire que l’on peut poser des conditions pour que la négociation reste dans le cadre de ce que nous avons à négocier donc 4, 5, 6 ou 7 ça va. Donc l’un peut dire « je te préviens j’exclue 8, 9 et 10 donc ne tente pas le coup » ou l’autre » j’exclue 1, 2 et 3, ne tente pas le coup non plus ».
Mais sinon, c’est instaurer un rapport de force avant la discussion et ce n’est plus une négociation. Même s’il y a toujours un rapport de force dans une négociation, l’intention ne peut être celle-ci sinon elle dit à l’autre : je ne veux pas négocier mais t’imposer mon point de vue.
Parce que négocier au fond cela demande toujours des compromis de la part des deux parties, donc ce n’est pas compatible avec ce genre de postures. Le registre « je te préviens, si je te lâche ça ou ça, alors voici ce que je veux en échange », ce n’est pas la recherche d’un compromis mutuel mais c’est du chantage.
Je veux bien négocier pour éviter le conflit mais je te colle un coup de boule avant… Positioning ! Si on veut, j’annonce la couleur ? Ce n’est pas ça. Ça, c’est essayer d’entrer en mêlée pour faire mal ou marquer son territoire avant l’instruction de l’arbitre…
En fait, pour négocier il faut que la volonté de négocier des deux parties soit réelle et sincère sinon rien de bon ne peut en sortir. Et toutes les postures ou jeux de rôles qui témoignent de façon flagrante de l’inverse tuent de fait dans l’œuf l’idée même de négociation.
Entrer en négociation c’est donc accepter l’idée qu’on va devoir accepter un compromis sans savoir à l’avance ce sur quoi on va céder. C’est cette incertitude qui rend l’exercice difficile, louable et incertain. Peut-être n’y aura-t-il pas de compromis possible d’ailleurs et la négociation aura échoué. Il sera temps alors de se foutre sur la tronche.
Mais négocier c’est au moins tenter de l’éviter.
En résumé, poser une condition sur l’objet d’une négociation avant la négociation c’est refuser l’idée même de négociation, car celle-ci résulte du commun accord des parties à résoudre un désaccord en essayant de trouver un compromis par la négociation. Poser une condition préalable c’est refuser d’essayer.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire