Les congés pour « santé mentale », une mascarade ?

Dans cet épisode, nous allons parler de congés accordés pour « santé mentale », et nous demander si c’est une bonne idée ou pas.

Hey chef j’ai besoin de congés pour préserver ma santé mentale parce que la franchement je suis pas loin de péter un boulon !

Bah alors on ne tient pas la route, y’a une roue qui dévisse ? Les boulons plutôt que de les péter tu ferais mieux de les serrer, allez va faire ta pause psychologique si tu en as besoin et dis moi merci !

Mais non je n’ai pas besoin de te dire merci puisque j’y ai le droit. Un quota de jours que je peux me prendre dans l’année quand j’en ai besoin pour ma santé mentale… sans avoir besoin de me justifier. Alors je les prends. C’est ce qu’on appelle le congé pour santé mentale…

En effet, c’est une pratique de certaines entreprises américaines mais est-ce une bonne idée ?  Les congés pour « santé mentale », une mascarade, c’est quoi l’histoire ?

Vous avez compris le principe, un stock de jours dans lequel tu peux puiser parce que tu estimes que tu en as besoin et sans avoir à te justifier… Et on appelle cela congés pour santé mentale. Selon Forbes, ce serait une pratique par exemple des sociétés LinkedIn ou Bumble.

Pêle-mêle on nous met en avant tout un tas d’avantages. Dans le genre on prend soin de votre santé, on fait du préventif plutôt que du curatif, on limite les burn out en ayant pris la pause suffisamment tôt et puis pas besoin de se justifier… Donc cela te déstigmatise…

Ouais sauf qu’on appelle cela congés pour santé mentale… Genre sors du bois et affiche toi comme ayant besoin d’un break pour santé mentale…

Bon en même temps, quand on nous dit que 44 % des salariés français interrogés dans un baromète OpinionWay pour la société Empreinte Humaine en mars 2023 seraient « en situation de détresse psychologique » c’est peut-être une bonne idée.

C’est vrai que le baromètre santé mentale Malakoff Humanis 2022 montre que 20% des arrêts maladie sont liés à la santé mentale (contre 11% en 2016) ce qui en fait le 2ème motif d’arrêt maladie derrière les maladies ordinaires mais devant les troubles musculosquelettiques. Cela donne une idée de l’ampleur du sujet.

Ce n’est pas cela que nous questionnons. Il y a suffisamment d’indicateurs pour savoir à quel point c’est un sujet qu’il faut prendre à bras le corps. Ce qui questionne c’est cette réponse de congés pour santé mentale qui serait en vogue dans les entreprises américaines.

Et avant de s’ébahir devant tout nouveau truc américain, on aimerait s’interroger en soumettant 3 éléments de réflexion.

Le 1er élément de réflexion pourrait être résumer ainsi, avec provocation… c’est donc des « congés pour les plus fragiles » ? Expliquons le point.

Si c’est pour « celles et ceux qui ressentiraient le besoin de souffler » alors on ne l’accorde pas à tout le monde. Il faut venir dire à quelqu’un « coucou, j’ai besoin de souffler psychologiquement »

Donc prendre le risque d’être vu comme fragile. On sait à quel point, même avec un anonymat soi-disant garanti, sortir du bois a parfois des retours de bâtons quand la bienveillance n’est que de façade.

Combien de personnes pouvant légitimement bénéficier d’une RQTH font délibérément le choix de ne pas se déclarer par crainte des conséquences discriminatoires potentielles ?

En 1ère lecture, accorder un congé à celui ou celle qui en a besoin c’est logique et normal puisque -tout le monde n’a pas de fait la même résistance au stress. Mais cela reste un sacré paradoxe si on veut « déstigmatiser »

Surtout quand on doit se préoccuper de TOUS les salariés car ce n’est pas toujours ceux qu’on croit ou qui le disent qui en ont besoin !

Le 2ème élément de réflexion c’est pourquoi appeler cela congés « santé mentale » si finalement il ne s’agit que d’un congé auquel tout le monde aurait le droit ? Si ce n’est peut-être pour s’assurer justement que personne ne le prenne…

Et oui comme celui qui à la cantoche voit du poulet arriver et dis à la cantonnade que c’est du chat en se disant qu’il y en a bien quelques-uns qui vont le croire et vont bouder leur part de poulet…

On ne dit pas que c’est calculé. On dit que c’est une hypothèse. On peut aussi la mettre en perspective avec les personnes qui font des burn-out et qui partent pour s’en remettre avec un solde de congés positif…

Beaucoup de personnes vraiment en surmenage, ne se rendent pas forcément compte… et puis si 2-3 jours pour souffler auraient suffi… tu les aurais pris ces 2-3 jours de congés.

Mais non tu ne l’as pas fait parce que tu ne vas pas laisser l’équipe dans la merde, ou parce que tu anticipes avec angoisse la masse de boulot en rentrant…

Et puis la 3ème réflexion, la plus importante à nos yeux, c’est que cela en dit long sur le degré de réflexion, d’analyse, de compréhension sur le sujet de la charge de travail, prescrite, réelle et ressentie.

Est-ce qu’il y a quelque chose de mis en place pendant qu’un salarié est en congé pour santé mentale ou est-ce qu’il retrouve la pile qu’il a dû fuir encore plus grosse sur son bureau en rentrant ? Il y a des flux et des flots qu’on n’endigue pas avec un robinet qui se ferme. Ils te submergent.

Et si rien n’est fait en ce sens alors ? Ces congés dits de « santé mentale » ce sont juste des congés… Et au lieu des 5 semaines, on n’a qu’à dire qu’on a 5 semaines + X jours.

Et cela devient un argument de recrutement et de fidélisation. On n’est pas loin du washing non en appelant cela santé mentale ?

Ce qui est frappant dans le bruit qui a pu être fait ici ou là sur le sujet en France, c’est que l’on voit peu de réflexions sur les causes racines. Or c’est précisément là où il faut agir, le sens, la destruction de l’autonomie, les injonctions contradictoiresLa petite histoire du mal-être au travail, le déni de réel qui nourrit un sentiment d’impuissance, bref ce n’est pas les sujets qui manquent.

Alors dire qu’il faut se préoccuper de santé mentale, bien sûr c’est une évidence. Même si ce n’est peut-être pas le cas de toutes les entreprises. Mais en revanche ne nous trompons pas de cible.

Là la conséquence c’est finalement d’inverser les rôles. On fait des trucs pas bien, on ne les corrige pas, mais on est gentil si ça te fait mal tu as le droit de faire un break…

Où le congé pour santé mentale comme un arbre qui cache une forêt de responsabilités que les entreprises ne sont, au fond, pas toutes prêtes à assumer.

En résumé, les congés pour santé mentale peuvent paraître une solution attrayante face au mal-être au travail mais cela ressemble surtout à un pansement sur une jambe de bois et une occasion ratée de traiter le sujet à sa racine.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire