L’entreprise antifragile

Dans cet épisode nous allons parler de l’entreprise antifragile et de ce que cela suppose comme qualité à développer.

L’agile contourne, le robuste encaisse, le résilient rebondit, « l’antifragile » s’améliorerait. A l’échelle personnelle, l’image est parlante.

On est tous confrontés aux événements, comme des crises par exemple, mais tout le monde n’en tire pas nécessairement des enseignements. Il y a plein de gens expérimentés qui n’ont pas appris grand-chose de ce qu’ils ont vécu. Hein chef !

Et des personnes plus jeunes donc moins expérimentées de fait mais qui ont su intelligemment mettre à profit ce qu’ils ont vécu… C’est ça ce que tu veux dire cheffe ? Bon, dit autrement, toutes les entreprises font face à des événements mais toutes n’en sortent pas nécessairement grandies. L’entreprise antifragile oui.

Et c’est une idée proposée par Nassim Nicholas Taleb en 2013. Alors, l’entreprise antifragile, c’est quoi l’histoire ?

Dans son ouvrage « Antifragile: Les bienfaits du désordre » Taleb dit en substance que l’entreprise antifragile c’est l’entreprise qui sort renforcée des événements auxquels elle est confrontée. Les chocs lui sont utiles.

Il distingue donc clairement ce concept de ceux d’adaptation ou d’agilité et de résilience. « l’antifragilité est au-delà de la résilience et de la robustesse. Le résilient résiste aux chocs et reste le même ; l’antifragile s’améliore » [1]

En d’autres termes, il affirme que le système agile s’adapte à la contrainte mais n’apprend pas, il est en quelque sorte condamné à s’ajuster en permanence, une sorte de transformation constante. Le système robuste lui encaisse les chocs et s’en remet mais c’est tout et enfin le système résilient, rebondit après les chocs mais n’apprend pas.

Là où, exposé aux chocs, le système antifragile s’améliorerait, conduisant à l’hypothèse qu’il a presque intérêt à y être confronté plutôt que l’inverse.

On peut d’abord noter qu’aucune de ces caractéristiques ne s’opposent vraiment et que l’entreprise qui réussit durablement les réunit toutes, au-delà des mots que l’on veut bien mettre dessus.

Evidemment que dans la pratique, la vie de l’entreprise est faite d’adaptation constante à un contexte qui change, qu’elle résiste lorsqu’elle subit des chocs et qu’elle doit en tirer des enseignements pour continuer à aller de l’avant, c’est-à-dire rebondir et s’améliorer.

Donc si l’on résume, ce que l’auteur baptise antifragilité ressemble bien à ce qu’on pourrait appeler une fonction d’apprentissage. On tire un enseignement de ce que l’on vit, donc on s’améliore.

Au-delà de l’idée en elle-même, cela invite à considérer un point : des enseignements à tirer des événements, oui, mais des enseignements sur quoi ?

L’entreprise, comme les personnes à titre individuel, tire toujours des enseignements de ce à quoi elle est exposée. Elle traverse des événements qui façonnent son histoire et sa culture. L’entreprise est un ensemble vivant par nature.

Or, pour que cet apprentissage permanent soit propice à une amélioration il faut qu’il porte sur l’entreprise elle-même. Pas sur ce qu’elle a vécu ou sur les événements mais bien sur elle-même, c’est-à-dire qu’elle apprenne sur ce qu’elle est.

Dit concrètement qu’elle sache se remettre en cause pour progresser faute de quoi elle n’apprend pas mais accumule simplement des connaissances sur son environnement. Or, se remettre en cause, c’est-à-dire questionner ce que l’on est n’est source de progrès qu’à la condition que cela soit sans fard.

Et c’est loin d’être une qualité facile à avoir car le propre d’un système est d’absorber ce qui le remet en cause. En d’autres termes, les questionnements de surface n’améliorent pas grand-chose, là où les questionnements de fond, source de réels progrès, font souvent mal.

Ce dont il s’agit en réalité c’est de culture, c’est-à-dire de ce qui définit l’entreprise, ses croyances, ses représentations, ses manières de travailler, son rapport au risque, sa gouvernance, bref un ensemble de thèmes non seulement profondément ancrés mais également toujours très délicats à questionner.

Parce que cela fait prendre des risques à celles et ceux qui viendraient les chatouiller, même avec la ferme volonté de faire progresser le bien commun. Peut-être est-ce là une des raisons d’ailleurs pour lesquelles l’entreprise apprenante qu’on appelle de nos vœux est souvent moins observable dans les faits.

On connaît ces réflexes qui consistent à tuer le messager plutôt qu’à entendre le message dont il est porteur, à n’entendre que ce qui renforce ce que l’on pense déjà, à trouver des coupables dehors plutôt qu’à s’interroger. Bref, en aucun cas l’exercice n’est naturel ni aisé.

On ne peut pas apprendre sur soi-même sans s’exposer à un risque. Or, l’aversion au risque est quand même l’un des facteurs les plus structurants de la vie des entreprises.

L’entreprise antifragile est donc peut être celle qui a su développer un terreau propice à l’esprit critique et à une culture du risque.

En résumé, l’antifragilité s’apparente à un apprentissage face aux événements, ce qui permet de s’améliorer. Cela signifie apprendre sur soi-même donc accepter de se remettre en cause et c’est un défi profondément culturel.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] Nassim Nicholas Taleb, Antifragile : Things That Gain from Disorder, Random House, 2012, p. 430