Ils aiment leur travail mais pas qu’on le saccage

Dans cet épisode, nous allons parler du rapport que les salariés entretiennent avec le travail, et dont on dit ici ou là qu’il aurait changé.

Dans cet épisode, nous allons parler du rapport que les salariés entretiennent avec le travail, et dont on dit ici ou là qu’il aurait changé.

C’est une évidence non ? Les gens maintenant ils « big quitent » pour les plus hardis d’entre eux et ils « quiet démissionnent » pour les plus sages. Le rapport au travail a clairement changé depuis le Covid !

Bah oui, ils se seraient mis à cogiter puisqu’ils n’avaient rien d’autre à faire pendant les confinements successifs. Et en cogitant, ils ont relativisé la place du travail et ils l’expriment. Tiens, à tel point que, pour certains métiers, on ne trouve plus personne, c’est te dire.

Mais si ce n’était pas aussi simple que cela. Et s’ils aimaient leur travail mais pas qu’on le saccage ? C’est quoi l’histoire ?

Cela ne fait aucun doute que les confinements successifs ont été propices à l’introspection et à la réflexion pour beaucoup de gens. Sur la fragilité de la vie, sur la vie en elle-même, le sens qu’on lui donne et bien sûr la place qu’y occupe le travail.

Comme toutes les crises, la crise sanitaire de la covid a été le catalyseur de prises de conscience. Mais ce qui semble intéressant à souligner c’est que, pour prendre conscience de quelque chose, il faut que ce quelque chose existe. Ce dont on parle ici n’est en effet vraisemblablement pas nouveau.

On peut d’abord distinguer deux choses, qui ne relèvent pas des mêmes logiques. D’un côté, la difficulté à rendre attractif des métiers qui sont jugés comme pénibles et de l’autre une forme de désengagement jusqu’à la démission.

Le premier phénomène relève de ce qu’on appelle classiquement le marché secondaire du travail. Bref, les métiers précaires, aux conditions de travail pénibles et pour lesquels la nécessité fait malheureusement loi.

Or, sur ce plan, ce ne sont vraisemblablement pas les prises de conscience lors des confinements qui change en profondeur les choses. Peut-être il y a-t-il combinaison de plusieurs autres facteurs, démographiques notamment, ou liés aux évolutions socio-économiques.

Cette histoire-là est autre et reste liée à la question de la nécessité. Bref, on ne creusera pas plus loin le sujet ici mais on parle de ces jobs que les gens prennent quand ils estiment qu’ils n’ont pas le choix.

Peut-être acceptaient-ils de les prendre pendant un temps, ce n’est manifestement plus le cas. Mais on ne peut pas parler ici, selon nous, d’une évolution du rapport au travail. C’est plutôt une évolution des contraintes et des nécessités.

Il y a ensuite le second phénomène dans lequel on va mettre pêlemêle une certaine forme de désengagement suffisamment grand pour que les gens démissionnent ou se mettent en roue libre.

Or, là où on parle de grande démission, dans les faits en France, ce n’est pas ce qui a été observé dans les statistiques. Deux constats à formuler sur ce plan, issus d’une étude de la DARES. Le premier réside dans le fait que le taux de départ observé après la covid n’a rien d’inédit.

Un niveau certes élevé, grosso modo 2,7 % des salariés en France au 1er trimestre 2022, mais il était de 2,9% début 2008 par exemple. Et même sur les entreprises de plus de 50 salariés où il était parmi les plus élevés depuis 1993, il est moindre que celui du début des années 2000.

Seconde remarque, le taux de démission est classiquement plus élevé lors d’une phase de reprise post-crise et en tenant compte de cet aspect cyclique, tout est normal.

Je cite le rapport de la DARES : « Dans le contexte actuel, la hausse du taux de démission apparaît donc comme normale, en lien avec la reprise suite à la crise du Covid-19. Elle n’est pas associée à un nombre inhabituel de retraits du marché du travail. Des indicateurs complémentaires sont d’ailleurs rassurants de ce point de vue ».

Alors posons-nous la question de l’engagement, tu sais ce sujet si souvent mesuré à l’aune de la société Gallup aux intérêts bien sentis… Bah prenons leurs propres études. Même aux Etats-Unis où la grande démission a pris des proportions statistiques qu’on n’a pas connues en France, et bien le taux de salariés dit engagés après la covid était de 21%. Or, de 2009 à 2018 il n’avait jamais dépassé 20%…

Alors peut-être faut-il chercher des explications ailleurs. Au fond, qu’est-ce que la crise de la covid a montré dans les faits ? Que les entreprises ont continué de fonctionner, à délivrer leurs services, même dans des conditions très difficiles. Et pourquoi, alors même que la grande mécanique des processus était chamboulée ?

Et bien, parce que les gens ont compensé. Ils ont fait le taf. En première ligne, en deuxième et en troisième. Ils ont témoigné d’un engagement sans faille pour une grande majorité d’entre eux. Pas parce qu’ils en tiraient un profit immédiat, mais parce qu’ils pensaient que c’était ça qu’il fallait faire.

Et on va nous dire après qu’ils n’aiment pas leur travail ? En réalité si ! Dès lors qu’ils y trouvent un sens, et qu’ils peuvent apporter leur contribution avec un minimum d’initiative et d’autonomie, ce qui a clairement été le cas pendant la crise de la covid tant la mécanique bien huilée de la grande horloge était secouée.

C’est peut-être même un phénomène accentué par le travail à distance, dont la crise a révélé qu’il était possible sans heurts à celles et ceux qui en étaient des détracteurs par principe. Peut-être cette distance, obligeant à une plus grande rigueur managériale dans les objectifs mais aussi à une plus grande confiance a-t-elle participé à ce qu’ils goûtent à une plus grande liberté.

En réalité on assiste peut-être à l’expression d’un désaccord profond qui était tacite auparavant et qui n’a cessé de s’amplifier depuis 30 ans. On ne va pas tout citer ici mais voici quelques pistes …

Le sentiment d’une entreprise dont le projet est dénué de sens, le fait que les salariés ne sont pas dupes face aux mascarades des affichages de circonstances, genre « je suis une entreprise à mission parce que j’ai senti le filon », ils ne sont pas dupes non plus des washings en tout genre

Ou encore la réduction de l’autonomie et de l’initiative à un espace contraint par des processus de plus en plus standardisés, comme la non-reconnaissance de la réalité du travail et le sentiment d’injustice qui en résulte, ou ces managers de proximité tiraillés entre le marteau de l’injonction et l’enclume du réel, …

La liste est longue et elle n’est pas nouvelle. Seulement, maintenant, le nombre de celles et ceux qui n’acceptent plus et le disent est plus importante.

Ce n’est pas le rapport au travail qui a changé mais le fait que les personnes n’acceptent plus qu’on l’abîme. L’évolution majeure qui se déroule lentement devant nos yeux, depuis 30 ans, c’est une remise en cause d’un des principes de découpage issu du taylorisme, entre ceux supposés penser le travail et les autres, supposés l’exécuter…

Peut-être parce que ceux qui l’ont pensé, l’ont précisément exécuté, obligeant ceux qui l’exécutent à en panser les plaies.

Ce n’est pas le travail qu’on rejette mais une entreprise qui en oublie les conditions réelles. Ce n’est pas un rapport au travail qui change mais un contrat social à revoir, en revenant aux fondamentaux.

Un projet auquel tu adhères et qui donne sens aux efforts que tu consens, un minimum d’autonomie et de place à l’initiative pour pouvoir apporter ta contribution et une reconnaissance, morale et financière, que tu estimes juste au regard de ce que tu as donné.

Comme quoi le problème ce n’est pas le travail mais ce qu’on tire de l’équilibre contribution / rétribution. Et à dire que le rapport au travail change on fait implicitement passer les salariés pour des mercenaires ou des fainéants.

Or, même si l’individualisme se développe, ils n’en sont pas. Au fond, la critique ici faite, on la retrouve depuis des années. La parole s’est en revanche peut-être libérée et les rapports de force ont peut-être changé, ne serait-ce que pour des raisons démographiques et socioéconomiques là aussi.

En résumé, les salariés n’aiment pas moins le travail qu’avant mais ils n’aiment pas qu’on le dénature et le rende dénué de sens et, pour certains d’entre eux, ils l’expriment en refusant de faire certains jobs, en se désinvestissant ou en démissionnant.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.