La bienveillance en mode pile ou face

Soyons bienveillants ! Bah oui quoi c’est gentil d’être gentil non ? … ou pas, en mode pile ou face.

Soyons bienveillants ! Bah oui quoi c’est gentil d’être gentil non ? … ou pas, en mode pile ou face.

Entre les « Ok pour moi » qui viennent ponctuer un échange de manière sibylline ou les « salut ça va ? » lancés à la volée sans laisser à son interlocuteur le temps de formuler une réponse et avant de lui imposer une « to-do-list » aussi longue que déshumanisante, … les règles élémentaires de savoir-vivre semblent avoir été oubliées de certains.

Alors on va nous dire que c’est la faute du digital ou du langage SMS, oubliant que les outils ne sont que des outils qui ne sont pas responsables de l’usage que nous en faisons. Ce qui semble manquer en réalité c’est la politesse, le respect ! Ou la réelle bienveillance. Mais c’est quoi justement cette bienveillance ? La bienveillance, en mode pile ou face, c’est quoi l’histoire ?

« Jamais la haine ne cesse par la haine, c’est la bienveillance qui réconcilie » disait Bouddha. Et la bienveillance constitue bel et bien un des 4 piliers du Bouddhisme.

A l’origine, en grec Agathosune signifie « bonté » mais aussi « faire le bien ». Il y a donc une idée d’action. Le Larousse désigne la bienveillance comme « une disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui ». Mais la notion anglo-saxonne du « care » traduit mieux l’origine Grecque du mot, également tournée vers l’action au-delà de l’état.

Alors qu’on soit Grec, Anglais et/ou bouddhiste, que vient faire la bienveillance en entreprise ? En fait, cette bienveillance s’apparente à l’idée de courtoisie. Ce sont les marques de considération que l’on adresse aux autres.

S’il te plait, merci… C’est simple comme bonjour, non ? Pas besoin de convoquer Bouddha ou la Grèce antique pour le comprendre.

Pour le comprendre oui, pour l’appliquer… visiblement c’est une autre histoire ! Combien de « chefs à plumes » sont fustigés dès leur dos tourné simplement parce qu’ils n’ont même pas pris la peine de saluer ?

Cette bienveillance aussi élémentaire soit-elle constitue un socle essentiel des rapports humains dans une société, et donc également dans un collectif comme celui de l’entreprise.

Alors oui, la bienveillance est nécessaire pour créer les conditions de relations saines, basées sur l’écoute, la confiance, le respect. Et lorsque cette bienveillance est sincère, elle est vertueuse.

La comtesse de Ségur écrivait que « la modeste et douce bienveillance est une vertu qui donne plus d’amis que la richesse et plus de crédit que le pouvoir ». Et c’est bien de crédit dont l’ensemble des managers et décideurs a besoin désormais. La bienveillance y contribue. Les décideurs ont tout à gagner à être bienveillants.

Tiens j’ai une anecdote pour illustrer ça. Un jour où j’anticipais beaucoup de boulot, j’arrive très tôt, les bureaux sont quasiment vides, je m’installe dans notre immense open space. Seule une personne est déjà installée et je le reconnais immédiatement, il s’agit du directeur adjoint. Après quelques minutes il se lève certainement pour aller se chercher un café, passe devant moi et constate que je suis là. Il s’arrête, me demande comment je m’appelle, et depuis combien de temps je suis dans la boîte. Je venais d’arriver. Il prend alors quelques minutes pour me demander si mon intégration se passe bien, si les projets sur lesquels je travaille m’intéressent. L’échange n’a pas duré plus de 5 min, il s’agissait simplement de quelques mots courtois mais qui m’ont marquée parce qu’ils étaient révélateurs de la culture de cette entreprise.

Révélateurs de la culture de l’entreprise, elle est là la clé. Cet échange bienveillant t’a marqué, même s’il était anecdotique, parce qu’il était sincère. A l’inverse, un jour où je déjeunais avec des ouvriers, un dirigeant que je connaissais traverse le réfectoire pour me dire bonjour et tend la main aux ouvriers présents. Et les ouvriers ont refusé de lui serrer la main. Ils m’ont expliqué après qu’ils avaient l’habitude de le croiser mais qu’il n’avait jamais eu le moindre regard pour eux.

Ces ouvriers n’étaient pas dupes en effet. Et cette bienveillance à leur égard n’en était pas, il s’agissait d’une mascarade, d’une convention, peut-être même de démagogie.

Et c’est justement le côté face de cette bienveillance que l’on clame à tout bout de champ. La manière dont on respecte les autres, qu’ils soient clients, fournisseurs, salariés ou candidats, en dit long sur ce qu’est une entreprise ! Si la bienveillance se transforme en rituels aussi systématiques qu’idiots, aussi faux-culs que calculateurs, si elle ne prend pas racine dans une réelle culture d’entreprise basée sur le respect, elle est inutile.

Et pire que ça ! Elle est destructrice. La bienveillance a cela de formidable qu’elle relève d’une forme de don. Et le don, comme nous le dit Norbert Alter n’est pas une théorie d’altruisme mais « une théorie de l’échange social ».

Et au fond, d’accord, nous ne faisons jamais rien sans finalité. Le don appelle le contre-don et tant mieux si parce que j’ai été poli ça invite mes collègues à l’être à leur tour. Mais le risque est dans l’instrumentalisation de ce don.

La bienveillance qui consisterait à penser « Ô beauseigne » comme on dit chez moi, c’est-à-dire « le pauvre » dans une sorte de pitié aussi faussement sympathique que méprisante n’est plus bienveillance si elle place l’autre en-dessous, si elle est employée à des fins d’asservissement. La bienveillance n’est bienveillante que si l’on considère l’autre pour ce qu’il est, c’est-à-dire un égal.

Et la bienveillance qui consisterait à tout aseptiser, à ne pas dire les choses telles qu’elles sont parce qu’il ne faut surtout pas vexer, surtout pas contredire, conduit là encore à une forme de destruction.

Nous ne sommes plus cohérents, nous ne sommes plus justes, ni équitables. La bienveillance qui inviterait à donner un bonus à quelqu’un qui ne le mérite pas sous couvert d’un « il ne faut pas le vexer, soyons indulgents et bienveillants » conduit à terme à une destruction du sens.

Or, absence de sens, sentiment d’injustice et d’impuissance sont les ingrédients du mal-être au travail.

La fausse bienveillance plaquée comme un filtre sur une réalité que l’on cherche à nier ne conduit alors pas à établir des relations saines mais au contraire renforce ce mal-être contre lequel nous cherchons a priori à lutter. Les gens ne sont pas dupes, le réel ils le connaissent parce qu’il se le cogne ! Ils s’y cognent, ce n’est pas la peine de leur raconter… des histoires.

En résumé, côté pile, la bienveillance, comme marque élémentaire de respect ou de savoir-vivre contribue à créer un climat sein dans l’entreprise. Mais côté face, si elle n’est que façade et sourire de faux-jetons ou qu’elle ne repose sur aucune équité ou justice, la bienveillance peut contribuer à abimer les relations interpersonnelles.

J’ai bon cheffe ?

Oui tu as bon, mais on ne va pas en faire toute une histoire !