Les petits signes qui trompent ou pas

Dans cet épisode nous allons nous demander si certains petits signes en entreprise sont révélateurs ou trompeurs.

Tu te souviens de cette entreprise dans laquelle les rideaux des salles étaient mal montés et de travers ? Révélateur de sa culture ou d’un de ses traits distinctifs : tout est dans l’à-peu-près chez eux…

Un rideau de travers et toi tu en conclues que globalement ils sont dans l’à-peu-près ? Continue comme ça et tu me diras que les gens qui ont une poignée de main molle sont des gens mous qui ne décident pas.

Alors qu’en effet cela n’a rien à voir. Tu as une poignée de main molle permet en effet de conclure… que tu as une poignée de main molle. Point barre.

Mais alors, quand faut-il accorder une signification aux signes qu’on observe ? À l’instar de l’expérience collaborateur, nous nous faisons une idée des choses à partir des expériences que nous vivons.

Or, cette expérience se nourrit aussi de signes que nous percevons, avec tous nos biais. Alors, les petits signes qui trompent ou pas, c’est quoi l’histoire ?

Commençons par une précision. Nous ne parlons pas ici de ce que d’aucuns appellent les « signaux faibles » c’est-à-dire les signaux peu perceptibles auxquels on ne prête pas nécessairement attention mais qui sont potentiellement annonciateurs de quelque chose d’important à l’avenir. C’est un autre sujet.

Nous parlons, là, maintenant, des signes que nous observons, dans une entreprise par exemple, dont nous nous disons, ou pas, qu’ils sont révélateurs de quelque chose. De ce qu’est l’entreprise, sa culture, son identité, ses manières de faire, ses pratiques professionnelles, etc.

Si on prend le sujet dans l’autre sens, ce qu’est l’entreprise, son identité comme tu dis, sa culture, ce qui l’a forgé dans le temps conditionnent inévitablement ce qu’elle fait, certains des comportements des collaborateurs etc.

Il y a donc par définition des signes qui en témoignent. La question qui se pose alors c’est comment distinguer ces signes-là, marqueurs de quelque chose, des signifiants, de tous les autres, qui existent tout autant, sans pour autant qu’ils disent quoi que ce soit sur ce qu’est l’entreprise.

Je repense à cette entreprise que nous citions en introduction. Pour quelle raison avions-nous tirer de ce signe, en l’occurrence le rideau bancal, une sorte de généralisation ? Le rideau devenu le symbole d’une conviction.

Peut-être parce que ce signe est venu s’ajouter à d’autres, dont nous avions tiré le même genre de conclusions. Dit autrement, un sentiment diffus d’à-peu-près s’était insidieusement installé en nous en fréquentant cette entreprise.

De signes en signes, cela devient un faisceau de présomptions jusqu’au moment où tu te fais ton intime conviction. En l’occurrence, nous avions le sentiment, d’abord diffus puis exprimé, puisque nous en parlions ensemble, qu’à chaque fois qu’on les voyait il y avait un petit truc qui merdait.

Ici, un badge qu’on a oublié, là une même salle attribuée à deux formations différentes en même temps, sans parler de l’organisation de la cantine, de la climatisation branchée à l’envers qui souffle du chaud quand tu demandes du froid…

Petit à petit, exposés à des signes auxquels nous ne prêtions d’abord pas d’attention, nous avons forgé notre intime conviction. Or, cela appelle de nombreuses remarques, notamment pour celles et ceux qui s’intéresseraient à ce concept qui n’en est pas vraiment un : l’expérience collaborateur.

La probabilité qu’un signe unique soit signifiant est de 1 chance sur deux. Il l’est ou ne l’est pas. Sa répétition augmente cette probabilité. Un peu à l’image de la pollution ou de la connerie, tout est une affaire de seuil.

Cette répétition est supposée en réalité. Puisqu’à chaque signe, l’observateur attribue une signification probable. Il fait pareil le signe d’après. Or, la probabilité que tu attribues la même signification au second signe qu’au premier augmente parce qu’il arrive après.

Le biais de répétition, de confirmation… Dans le genre, « je te l’avais bien dit »… Tu arrives à l’accueil, tu n’as pas ton badge. Tu arrives dans la salle qu’on t’a attribuée, surbooking… Le rideau bancal de la semaine d’avant, maintenant ils sont deux. Or, il n’y a peut-être absolument aucun lien entre ces faits.

Et pourtant, c’est tellement humain et naturel de se dire… « Ah bah tu vois ». Comme disait le philosophe Georges Canguilhem « le précurseur est celui dont on sait seulement après qu’il venait avant »…

Un biais de confirmation a posteriori. On fréquente une entreprise, on se fait une idée de ce qu’elle est parce qu’on la vit, puis un jour, tous ces petits signes viennent constituer des preuves a posteriori. Tu les cites parce qu’ils corroborent ce que tu penses.

Le sujet est posé : quelle valeur prédictive accorder à un signal ? Quelle signification donner à un signe ? Quels biais personnels viennent orienter l’interprétation d’un signe ?
Vous avez 4H pour plancher là-dessus. Mais trois autres remarques sont à formuler ici.

La première, c’est qu’en toute hypothèse, biaisées ou pas, ces interprétations sont inévitables. C’est le principe même de ladite « expérience » dont on tire des enseignements. Rien ne dit en effet que ce soient les bons mais ils sont là.

La deuxième, c’est que ces enseignements sont de toute façon entachés de biais, qu’ils sont inévitablement parcellaires, qu’ils sont de toute manière une déformation des choses.

La troisième, c’est qu’ils forment aussi l’intime conviction de chacun. Et si certains n’en font que des convictions soumises au doute critique, d’autres ne manqueront pas d’en faire des certitudes.

On pourrait donc ajouter une question : lorsque plusieurs personnes se forgent la même intime conviction, celle-ci devient-elle pour autant plus solide ? On pose ça là comme matière à réflexion, car la réponse est loin d’être triviale.

En résumé, l’expérience – qu’elle soit collaborateur, client, visiteur, que sais-je – se forge à l’aune de signes que nous interprétons. Il convient de donner à chacun d’entre eux la signification qui lui sied et d’être particulièrement vigilant dans la conclusion que nous en tirons. C’est le principe même de l’esprit critique.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.