500
Dans cet épisode au titre énigmatique, pour une fois, nous allons parler de nous, peut-être aussi de l’entreprise, et des femmes et des hommes qui la font vivre.
« Ecrire, c’est une façon de parler sans être interrompu » disait Jules Renard. La fable ajouterait qu’un podcast aussi… alors avec 500, on n’est pas loin du corbeau qui vous bassine sauf que là, c’est tout sauf anonyme.
À moins qu’il ne s’agisse du corbeau qui supporte les solives. Une pièce d’architecture, dont on préfère l’image, celle de construire, de bâtir, de soutenir, comme un étai soutient le mât.
« On établit le hunier au bas ris, une sorte de trinquette sur l’étai du grand mât, et la barre fut mise sous le vent » écrivait Jules Verne dans « Les enfants du capitaine Grant » chapitre V « Les colères de l’Océan Indien »…
Voilà, 500 épisodes et on l’a perdu, il dérive… Pourtant, c’est bien une aventure dont il s’agit. Ce n’est pas celle des 40èmes rugissants ni des 50èmes hurlants pour filer, non pas un mauvais coton, mais l’image marine. Mais 500, c’est toute une histoire.
On aurait pu longuement disserter sur ce que cela représente d’écrire, puis de dire. On aurait d’abord convoqué le poète Jean Genet qui disait qu’« écrire c’est lever toutes les censures ».
Et le monde de l’entreprise en a certainement quelques-unes.
Un monde parfois rythmé en effet par des auto-censures, des inconsciences, des naïvetés, des « entendements communs » pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze.
Un monde où le « dire vrai » pour l’intérêt du « Bien commun » se heurte à l’aversion au risque et aux intérêts particuliers, et immédiats.
Tout un voile qu’on a cœur à lever, parce que l’entreprise c’est aussi là où l’on entreprend. Et ça on aime. Alors faisons la grandir, fructifier, croître, pour le bien de tous. Il faut donc parfois dire donc écrire.
On aurait pu aussi convoquer un autre poète, philosophe, Paul Valéry lorsqu’il disait « écrire enchaîne. Garde ta liberté. »
Des textes écrits, posés, là, comme une parcelle qu’on délimite, qu’on essaye parfois de ciseler. Puis « dire », avec nos biais, un ton, un temps. Court. Des capsules de temps qu’on grave, non pas dans le vinyle, ni dans le marbre – ce n’est pas les tables de la loi quand même – mais qu’on grave.
Parfois d’un air grave, ou pas, mais on les grave et on comprend Paul Valéry. Quand ça grave, ça grève. Et de la RH à la grève… Bref, OK je sors.
D’aucuns se demanderont l’intérêt qu’il y a à s’imposer ce devoir constant d’écriture et de publication depuis des années – très exactement 296 semaines depuis le 1er épisode publié le 9 mars 2020.
Ce « devoir » qu’on s’impose nous-mêmes comme si nous étions nostalgiques des devoirs à la maison. Qu’est-ce que cela nous apporte demanderont les obsédés du KPI ? Quel est le retour sur investissement ?
Rien et tout à la fois. C’est justement cela le sujet. Rien d’identifiable comme on calculerait un Reach après avoir investi des euros. Tout, en vérité. De ce qui ne se mesure pas vraiment mais a de la valeur dans l’absolu, et à nos yeux aussi.
La valeur peut-être de ce qu’on apporte à celles et ceux qui nous écoutent. On l’espère. La confiance qui en résulte dont on a régulièrement des témoignages informels. Dans un monde de post-vérité, qu’est-ce qui a plus de valeur que la confiance, dans la vie des affaires comme ailleurs ?
Voilà donc un intérêt qui s’inscrit dans le long terme, dont on tire les fruits dans la durée. Certainement, c’est ce qu’on peut qualifier de « notre intérêt » au sens où on l’entend communément dans la vie de l’entreprise.
Cela appelle deux remarques selon nous.
La première, c’est précisément cette notion de confiance qui constitue peut-être le capital le plus important pour tout acteur économique, et ce à l’égard de toutes ses parties prenantes. Chacun sait qu’elle est précisément ce qui régit les relations, ce qui les forge, qu’elles soient amicales, marchandes, économiques ou financières.
Il suffit parfois d’un geste commercial oublié ou d’une contre-vérité évidente auprès du corps social pour la détruire et mettre des années à remonter la pente.
« Toute figure exemplaire est nourricière de confiance. » disait Alain Peyrefitte. La constance et le « dire vrai », au sens du parrèsiaste cher à Michel Foucault, y participent.
La seconde remarque, c’est celle du temps, celui qui est nécessaire pour faire du bon pain. Il faut le temps de la pousse. Or, l’entreprise est souvent régie par le culte de l’immédiateté qui nuit parfois à ses intérêts durables mais bien réels.
On a par exemple, bien sûr, besoin de promotion, de prospection dans le dur et d’actions commerciales dont on attend des résultats à court terme. Mais il y a aussi la terre qu’on sème, qu’on entretient, qu’on cultive et qui devient durablement fertile.
Pour ces deux raisons qui nous semblent essentielles à appréhender dans la vie des affaires, écrire avec constance c’est aller à contre-courant des idées de réussite à tout prix, de succès sans foi ni loi, d’apparence et de gesticulations. Mais c’est aller dans le bon sens. Durablement.
Mais est-ce bien là notre intérêt profond ? La raison d’être qui nous motive en notre for intérieur ? C’est en effet cela notre intérêt au sens de ce qui nous est utile. Mais le moteur, il est où ?
Peut-être simplement dans l’envie de partager, de transmettre, de croire humblement apporter quelque chose d’utile à la communauté, de donner au collectif, sans attendre de retour immédiat mesurable, juste parce qu’on trouve que c’est bien de le faire.
C’est là notre moteur réel. Le sentiment de faire quelque chose dont on espère humblement que c’est utile, en l’occurrence à des professionnels en entreprise ou à celles et ceux qui se préparent à l’être.
La pratique d’un métier RH, si l’on est attentif, l’enseigne régulièrement : les gens font parfois les choses non pas parce que cela leur rapporte quelque chose immédiatement mais simplement parce qu’ils pensent que c’est bien de le faire.
C’est ainsi par exemple que certains experts aiment à transmettre leur expertise, que des professionnels RH sont soucieux de l’employabilité des collaborateurs ou que certains partenaires sociaux jouent leur rôle de contre-pouvoir.
C’est aussi les enseignements des théories de la motivation, qu’on aurait bien tort de circonscrire à la seule rémunération, et qui ouvrent une perspective d’engagement puissant pour le collectif.
Alors après 500, il y en aura d’autres. « 20 fois sur le métier remettez votre ouvrage »… Quand on parle de travail, comprendre cela, c’est aussi essentiel.
En résumé, circonscrire la question de la motivation des personnes à leur seul intérêt, qui plus est immédiat, c’est non seulement une erreur mais c’est surtout se priver d’un formidable moteur pour l’intérêt du collectif.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.