Bayer aux corneilles ou jouer à Bayes ?

Dans cet épisode nous allons parler du théorème de Bayes car c’est une clé pour mettre nos croyances face aux faits.

« Bayer aux corneilles »… Une expression dont chacune et chacun sait qu’elle signifie en gros rêvasser… Peut-être avec un air pas très inspiré, légèrement teinté d’ennui ou de désintérêt…

Qu’à cela ne tienne, l’expression a ceci de rigolo qu’elle ne s’écrit pas « bailler » comme celui qui ouvre sa bouche en technicolor pour inspirer de l’air mais « bayer » dont le Larousse dit qu’il s’agit d’un vieux mot qui signifierait « rester bouche ouverte ».

L’art d’avoir l’air intelligent… Ou pas. Mais il vaut mieux rester bouche ouverte que bouche bée, quoi. Enfin, rester coi de stupeur ou de peur. Quand, effaré devant le réel, tu ne sais plus quoi dire.

C’est parfois ce qui arrive lorsque nos croyances et nos préjugés se heurtent à un réel aussi douloureux qu’inattendu. Peut-on s’y préparer au mieux ? Peut-on s’ajuster ? C’est tout le sujet. Alors bayer aux corneilles ou jouer à Bayes ? C’est quoi l’histoire.

Bayes. Ce n’est pas la conjugaison de bayer mais un théorème. Le théorème de Bayes, un théorème important de la théorie des probabilités que l’on doit bien sûr à un certain Thomas Bayes en 1763.

Devons-nous tirer révérence au révérend Bayes, mathématicien Britannique, ou rappeler avec chauvinisme que Pierre Simon de Laplace l’aurait aussi trouvé en 1774. Bon, on ne joue pas le crunch du tournoi des 6 Nations.

En revanche pourquoi nous sortir ici ce pasteur Bayes et sa formule ? Pour plusieurs raisons…

La première c’est qu’elle fournit une formule mathématique pour calculer la probabilité qu’un événement soit vrai après avoir observé une information nouvelle. Dit autrement, comment mettre à jour ton idée de départ avec une nouvelle donnée.

C’est non seulement important dès lors que nous acceptons l’idée que l’esprit critique est plus que jamais nécessaire et que nous avons l’humilité d’être conscient de l’importance de nos biais.

Mais ça l’est aussi car l’intelligence artificielle en fait usage. Cela permet en résumé de raisonner dans l’incertitude. Or, l’intelligence artificielle il faut s’y intéresser concrètement, non ? C’est la deuxième raison.

La troisième vient du fait que si l’on estime que l’incertitude nous contraint alors nous avons besoin de nous outiller pour y répondre. On sait les avantages de la démarche prospective et des matrices de décisions.

Mais raisonner dans l’incertitude avec un théorème c’est pas mal non plus.

Allez, une dernière bonne raison pour la route. La fonction RH affirme là où on veut l’entendre qu’il faut s’intéresser aux données… bref. Leur analyse aussi.

Revenons donc, non pas à nos moutons ni au pasteur qui les gardent, mais au pasteur Bayes et son théorème. Que dit-il ?

J’ai une idée de départ sur quelque chose. C’est la probabilité a priori. Je dispose ensuite d’une nouvelle information. C’est ce qu’on appelle une preuve. Le théorème nous permet de mettre à jour notre idée de départ grâce à cette nouvelle preuve.

C’est pour cela que l’intelligence artificielle l’utilise pour apprendre ou prédire quand elle n’est pas certaine. Un peu du style : compte-tenu de ce que je savais avant et de ce que j’observe maintenant, quelle est la probabilité que telle chose soit vraie ?

En fait le théorème de Bayes c’est l’application même de l’adage « il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis ». Je crois savoir quelque chose, j’observe le réel et j’ajuste ce que je crois. On va prendre un exemple très concret pour illustrer le principe.

J’ai une boîte de bonbons rouges et verts. Je déteste les verts. En général, il y a la moitié de chaque couleur dans la boîte. J’en tire un, il est vert. J’en tire un deuxième, il est vert. J’en tire un troisième, il est encore vert. Mince alors. On tire quoi comme conclusion ?

Que tu n’as pas de bol. En vrai, tu te demandes simplement quelle est la probabilité que le prochain soit vert aussi. Avant tu pensais que tu avais une chance sur deux, mais le réel te montre que sur les 3 dernières fois, tu n’as pas eu de rouge.

C’est là où le théorème de Bayes t’aide à y voir plus clair. Si on suppose qu’on ne sait pas la proportion réelle de rouges et de verts au départ, ni le nombre. Mon idée de départ c’est 50% de rouges et de verts. L’expérience du moment ? 100% de verts.

J’ajuste mon estimation sur la proportion. Tiens, il y a peut-être plus de verts que ce que je croyais. Après tout imagine, ils se sont trompés en fabrication, et il y a en vrai 90% de verts dedans. Beurk

On ne va pas vous noyer avec la formule mathématique ni les calculs de probabilité qu’elle embarque, vous la trouverez facilement sur Wikipédia pour les plus assidus d’entre vous.

Mais retenez que c’est ce que vous permet de faire le théorème de Bayes. Ajuster une prévision de départ après avoir constaté de nouveaux événements. Comme dit l’adage, ce qui est arrivé est arrivé.

Peut-être que cela change donc le regard qu’on portait sur les choses avant que cela n’arrive. En substance c’est cela, mais avec une formule mathématique qui permet de mettre des chiffres dessus !

C’est utilisé très fréquemment. Par exemple, c’est utilisé dans les filtres anti-spams. On regarde les mots contenus dans un email (genre « gratuit », « urgent » etc.), on calcule la probabilité qu’un email soit un spam ou pas selon la présence de ces mots et Bayes met à jour la probabilité en fonction de ce qu’on observe dans chaque nouveau mail.

Il y a beaucoup de cas d’usage, dans le domaine médical par exemple. Quelle est la probabilité réelle d’être malade après un test positif quand tu sais que seulement 1% des gens ont la maladie et que le test n’est pas une certitude à 100%.

Oui, d’habitude il pleut un jour sur 3 ici… mais vu les nuages d’aujourd’hui, ça augmente les chances d’une bonne drache et je pense qu’aujourd’hui c’est 1 chance sur 2.

Simpliste comme exemple mais c’est le principe même. Tu sais bien que le bus arrive très en retard une fois sur deux. Mais quand tu arrives à l’arrêt de bus et que tu vois que son heure est passée de 3 minutes… la probabilité qu’il soit beaucoup en retard aujourd’hui augmente.

On peut voir cela comme une formalisation mathématique du bon sens. On la voit surtout comme une bonne illustration de la nécessité de se remettre en cause. Peut-être faut-il simplement apprendre à douter pour apprendre à apprendre ?

En résumé, le théorème de Bayes formalise le calcul de la mise à jour d’une hypothèse de départ en fonction d’occurrences réelles supplémentaires. C’est un plaidoyer intellectuel pour l’esprit critique et le doute raisonnable qu’il exige.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.