Deux petites histoires de pression
Dans cet épisode nous allons raconter deux petites histoires qui témoignent, ou pas, des pressions systémiques qu’un salarié peut subir et en tirer un enseignement.
La pression, moi, je l’aime bien fraîche. Cette ineffable joie de la première gorgée. De bière.
Mais de ce qu’on doit avaler, parfois ça ne passe pas. Ça reste coincé dans le gosier. La couleuvre est trop grosse.
Alors, pudiquement on appelle cela expérience collaborateur, quête de sens, crise des vocations. Parfois, plus lucidement on appelle cela des injonctions contradictoires, des conflits de valeur, un besoin d’alignement.
En d’autres termes un réel qu’on n’aime parfois ne pas trop voir en face. Mais ce qui est marrant avec le réel, c’est qu’il est réel. Il est là qu’on le veuille ou non.
Parfois ce réel n’est qu’anecdotique. On ne va pas en faire toute une histoire. Mais parfois, c’est aussi – peut-être – un révélateur, le témoin d’un truc plus profond. Alors, c’est quoi les deux petites histoires de pression ?
La première histoire, vécue sinon ce ne serait pas drôle, nous ne dirons ni où, ni quand, ni qui, si ce n’est que cela se passe dans un village de quelques milliers d’habitants en France.
Toute l’histoire commence par un courrier de la mairie du village qui informe aimablement ses administrés qu’elle a mandaté la société privée « bidule » – celle qui en l’occurrence fournit un service fort utile aux habitants du village – pour faire une vérification des installations des particuliers et qu’ils seraient bien aimables de leur ouvrir leur porte.
Mais il faut dire que la société « bidule », c’est une grande entreprise, plus habituée à donner des ordres qu’à servir aimablement. S’en suit donc un courrier au ton comminatoire dans le genre « nous serons chez vous tel jour à telle heure et nous vous demandons d’être présent, faute de quoi au second report nous vous facturerons je-ne-sais-quoi ».
« Je m’invite chez toi quand je l’ai décidé et si tu n’es pas là, tu payes ». L’arrogance ne doute jamais de rien. Courrier directement mis à la poubelle.
Passons les relances, sur un ton toujours aussi aimable de celui qui a oublié qui était le client et qui était le fournisseur, à qui il doit un service en échange de l’argent qu’il lui verse.
Passons aussi les tentatives de joindre un être humain par le biais d’une plateforme téléphonique dont chacune et chacun d’entre vous connaît les charmes.
« Tire la chevillette, la bobinette cherra » et le loup finit par entrer de guerre lasse car il n’y avait pas d’autre choix. Place donc à l’inspecteur des travaux finis, garde-chiourme armé de sa tablette, qui pointe sa truffe fouineuse.
Quelques semaines plus tard, nouveau courrier expliquant qu’un truc n’était pas conforme et qu’il fallait y remédier pour une somme proche d’un petit SMIC. La belle affaire, le courrier est parti directement à la poubelle. Mais combien dans le voisinage se délestèrent de la modique somme ?
Jusqu’au jour où la mairie informa ses administrés que ladite société avait un peu exagéré et que, bien sûr, nous n’avions aucune obligation à payer quoi que ce soit si elle nous y invitait.
Plusieurs années après. Même objet, même visite. Mais cette fois-ci, l’expert était sérieux, validant l’installation et avouant à demi-mots que le précédent directeur d’agence mettait une pression telle sur les indicateurs que parfois, vous comprenez, ça a un peu dérivé.
Pauvre directeur ou directrice d’agence qui a dû sauter parce qu’il ne faisait pas son chiffre malgré tous ses efforts et la pression qu’il redégueulait sur son équipe. À moins que lui aussi ne subissait la même pression venant de plus haut.
Rien de systémique dans tout cela. Juste un salarié isolé dont le comportement n’est évidemment pas conforme aux normes internes de la société et encore moins à ses valeurs affichées.
La seconde histoire, c’est celle d’un grain de sable. Non pas celui qui grippe les rouages, si ce n’est ceux de la satisfaction des clients, mais le grain de trop. Celui qu’on te facture 100 balles.
La scène est simple, retour à l’aéroport en toute confiance d’un véhicule de location dont on a pris soin et qu’on ramène le plein bien fait comme il se doit. On est en confiance, pas de rayures, ni de bignes, on ne regarde pas trop ce qu’on signe et on s’envole.
Mais on avait oublié le grain de sable. Bon, soyons honnête, il y en avait plusieurs sur le tapis de sol conducteur. Oui, peut-être fallait-il les enlever, bien que ce ne soit pas plus que de l’usage normal quand on marche avec des chaussures, mais bon, admettons.
Mais 100 balles pour aspirer trois grains de sables, tu es sérieux ? À ce prix, on aurait fait un château de sa mère, celui qui fait la gloire de mon père !
Ce qui est intéressant, c’est que relatant l’histoire à un DRH, son premier réflexe fut de pointer du doigt les bas salaires du pays où cette histoire s’était déroulée. Il faut croire qu’on est voleur parce qu’on est pauvre.
Mais alors pourquoi étions nous content des services de cette agence avant. Puis après ? Sans jamais constater quoi que ce soit d’anormal sur plusieurs années, si ce n’est cette fenêtre au grain de sable.
Peut-être ce DRH avait-il raison. Peut-être là encore une affaire de pression, d’indicateurs et tout le toutim. Va savoir.
Allez, ce ne sont que de petites anecdotes dont on ne tirera pas conclusion.
Que dire de l’affaire Volkswagen, celle qu’on a appelé le « Dieselgate » ? Que dire de « l’affaire des eaux minérales » chez Nestlé Waters plus récemment, si ce n’est que ça lui aurait rapporté plus de 500 millions d’euros, selon les estimations de la commission d’enquête sénatoriale.
Cela vaut d’ailleurs le détour de visionner l’audition de la PDG de Nestlé Waters devant la commission d’enquête, le 19 mars 2025, pour forger son propre avis.
On peut naturellement être tenté de donner le bénéfice du doute et entendre que tout cela ne résulte que de décisions personnelles et isolées de la part de quelques brebis galeuses dans une entreprise vertueuse.
On peut aussi émettre d’autres hypothèses comme, par exemple, celle d’une pression systémique sur les résultats de court terme qui, dégoulinant sur une organisation, conduit à ce que certaines et certains, pour y échapper comme ils peuvent préfèrent contourner les règles.
C’est une hypothèse qui mérite d’être creusée non ? Peut-être même qu’un excès de financiarisation de l’économie y contribue mais c’est un autre sujet.
En résumé, les dérives de quelques collaborateurs sont aussi parfois des alertes sur de potentielles dérives systémiques auxquelles il conviendrait de s’atteler si l’on veut sincèrement résoudre les problèmes réels en profondeur.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.