Santé mentale et causes systémiques
Dans cet épisode nous allons parler des causes systémiques potentielles en matière de santé mentale.
« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent ! » disaient le Docteur Knock dans la pièce de théâtre de Jules Romains qui, à l’époque, dénonçait les manipulations notamment de l’autorité.
L’autorité des « autorités » autorisées à te dire ce que tu dois croire. Le Dr Knock des temps modernes… Mais vous n’êtes pas en bonne « santé mentale », mon bon monsieur, je vous vois-là tout palot et tremblant comme une feuille, en voilà une idée.
C’est le travail Docteur, il me stresse trop. J’en ai mal au ventre dès que je prends le métro. Pourtant je l’aime mon travail vous savez et je fais de mon mieux.
Mais vous n’êtes pas en bonne santé mentale vous dis-je. Dois-je vous le dire autrement, vous êtes malade. Je n’ai pas dit que vous étiez un « malade » mais vous êtes bien malade. Donc il va falloir vous soigner.
Mais si ce n’était pas moi « le » malade Docteur ?
Voilà peut-être toute l’affaire. Ou pas. Alors, santé mentale et causes systémiques, c’est quoi l’histoire ?
Toute l’histoire qui va de la conséquence à la cause. Du symptôme, ce brave monsieur qui souffre et c’est indiscutable, à la cause de ce symptôme. Une affaire de diagnostic donc d’investigation.
On se rappelle aussi de cette autre perle de la littérature. Pierre Dac, dans « Essais, maximes et conférences » je crois, où le patient dit au médecin « Docteur, j’ai mal là quand j’appuie » et ce dernier de lui rétorquer « et bien arrêtez d’appuyer-là »…
Commençons donc par ce terme de « santé mentale » décrit par l’OMS comme « un état de bien-être mental qui nous permet de faire face aux sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté ».
On comprend donc déjà là deux choses. La première c’est que ce n’est pas une absence de maladie mais de bien-être. L’inverse étant donc un état de mal-être. La seconde, on parle de la personne dans tous les aspects de sa vie qui sont par nature indissociables.
Donc ne pas avoir une bonne santé mentale, ce n’est pas être malade, contrairement à ce que laisse croire le dialogue d’introduction à la Knock. Mais on pourrait peut-être formuler une remarque.
La personne qui souffre d’une mauvaise santé mentale, bien que n’étant pas malade, a une forme de mal-être par définition multifactoriel, et c’est elle qu’on désigne. Pas ce qui cause son mal-être.
On formule une hypothèse ici. Lydia qui arrive au travail le matin, avec sa petite valise de mal-être à la main qu’elle ne pose pas à la porte de l’usine avant de la reprendre le soir, elle dit à ses collègues :
« Salut les collègues, je vous préviens, je ne suis pas en bonne santé mentale ».
« Ouh la vilaine » c’est plus Lydia la bonne collègue mais c’est Lydia du Villoge, la personne qu’on pointe du doigt et qu’on met à part. Elle est fragile la petite Lydia Hein. Ça ne tient pas la route tout ça. Il ne faudrait pas que ce soit une femme et jeune en plus on aurait le droit à tous les poncifs.
Michel Foucault, dans son ouvrage « Histoire de la folie à l’âge classique », développe l’idée selon laquelle l’assignation du statut de « malade » participe d’un processus de stigmatisation et de mise à l’écart, assimilable à une accusation sociale ou morale (Foucault M., 1961).
Mais tu es fou ! Ce n’est pas de maladie mentale là dont il s’agit puisqu’on dit bien que la santé mentale ce n’est pas être malade.
Mais est-ce bien ce que les gens entendent ? Dans un autre ouvrage, « Maladie mentale et personnalité », le même Foucault affirme que « la maladie n’a sa réalité et sa valeur de maladie qu’à l’intérieur d’une culture qui la reconnaît comme telle. » (Foucault M., 1954) On ferme la parenthèse ici, c’est juste pour aider à réfléchir.
Si tu es malade, c’est suspect non ? Tu n’as peut-être pas fait tout ce qu’il fallait ?… Bref on arrête-là, ce n’est pas une maladie.
Donc on ne dira pas qu’en désignant un autre coupable, en l’occurrence la victime, on détourne implicitement les regards du véritable coupable. Ce qui cause le mal-être au travail.
C’est un peu comme celles et ceux qui te disent que ton bonheur ne dépend que de toi, du regard que tu portes sur les choses et les événements de la vie. La belle affaire. Quand tout ne va pas trop mal, d’accord, mais quand tu es confronté à des choses qui font vraiment mal… C’est toi le problème ou c’est ce qui fait mal ?
Quand tu prends un pain dans le pif, ça fait mal. Le problème ce n’est pas le vilain blair qui saigne. C’est le sale type qui t’a filé une beigne. C’est lui la cause. Prendre une châtaigne dans le tarin, tu le sens bien, tu le vis ce bourre-pif dans le tarbouif. Serait-ce ce qu’on appelle une expérience ?
Concernant cette question du mal-être au travail, pour ne pas dire mauvaise santé mentale, qu’on désigne pudiquement par le terme d’expérience collaborateur, on l’a dit les causes sont multifactorielles.
Cela signifie qu’elles prennent corps dans la vie personnelle, dans la vie dans la société et dans ce que tu vis au travail en plus. Mais sur cette seule dernière cause potentielle, qui engage la responsabilité de l’entreprise, il y a beaucoup à dire.
Or, c’est sur ce point, à nos yeux, qu’il conviendrait ne pas nier l’existence de potentielles causes systémiques.
Une cause systémique c’est une cause qui est ancrée dans les structures, les règles, les habitudes, les dynamiques d’un système dans son ensemble – et non dans une action ou un élément individuel.
Le terme « santé mental », là encore, détourne peut-être le regard de cette hypothèse. C’est la personne qui a un problème de santé mentale. Donc on focalise implicitement l’attention sur des causes personnelles.
Comme le dit justement Renaud de Kergolay « l’alibi parfait pour éviter les vraies questions ? ».
Or, des causes systémiques, on peut pourtant en soupçonner quelques-unes.
On va donner des exemples, pour formuler des hypothèses. Quels sont les effets de la financiarisation des entreprises et son corollaire de pression, donc de risque de déséquilibre entre parties prenantes ? Cela n’a rien à voir bien sûr avec ce qui est perçu comme une perte de sens et une réduction de l’autonomie ?
Quid de dirigeants d’entités du secteur public ou parapublic, affairés à satisfaire aux injonctions de leur tutelle car ils visent un poste de je-ne-sais-quel directeur de cabinet de ministre et qui asservissent toute une organisation à quelques indicateurs de surface au détriment de la mission publique ?
Mais ça n’existe pas tout ça bien sûr. Ce sont des cas tellement isolés ! Non ?
Que dire des conséquences sur la santé mentale du personnel de soin, à qui l’on reproche une crise des vocations, dans un établissement de soins dans lequel le poids des contraintes imposées par les autorités conduit à ce que le soin soit subordonné à la seule logique financière ?
Ou d’une institution qui n’accepte plus de prendre le moindre risque et préfère faire peser sur le lampiste de terrain l’écart entre la prescription du processus et la réalité de la vie, sans qu’il ne dispose de la moindre autonomie pour résoudre l’écart.
Quand le risque de l’un, loin du réel, devient la souffrance de l’autre, qui le vit quotidiennement.
Des exemples de causes profondes, potentielles disons-nous, certes, mais dont on peut imaginer, et là encore ce n’est qu’une hypothèse, qu’elles expliquent bien mieux un absentéisme de courte durée par exemple qu’une propension des intéressés à tirer au flanc.
En résumé, le terme de « santé malade », même s’il ne désigne pas une maladie, présente le risque d’être mal interprété en stigmatisant la victime et contribuer ainsi à détourner le regard de l’hypothèse de causes systémiques plus dérangeantes.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.