Les devins de pacotille
Dans cet épisode, nous allons parler de cette tendance marketing qui consiste à toujours vouloir nous prédire ce que sera demain.
Avec la révolution digitale, nous ne connaissons pas 65% des emplois qui existeront en 2030…
Bah comment sais-tu que ce sera 65% puisque tu ne les connais justement pas. Dis Monsieur Soleil que lis tu encore dans tes boules de cristal ?
L’IA générative, dans le sillon de ChatGPT, va détruire 35% des emplois, le marché de la réalité virtuelle pèsera 100 milliards de dollars en 2030, et Noël… sera en décembre.
C’est fou tout ce que tu sais ! Comme quoi entre prévisions et prédictions, il y a tout un monde… alors, les devins de pacotille, c’est quoi l’histoire ?
L’histoire est vieille comme le monde. De tout temps, les êtres humains ont bien aimé savoir à quelle sauce ils allaient être mangés et comme ils ne peuvent pas le savoir alors ils cherchent à l’imaginer.
Et comme cet inconnu inconnaissable est à la fois source d’espoirs et de peurs, d’autres en jouent habilement pour orienter leurs comportements
Au mieux pour attirer l’attention sur eux, vendre un truc, et au pire asservir. Deux leviers vieux comme le monde : le désir ou la peur.
C’est ainsi que l’assureur t’assure qu’il peut t’arriver le pire pour mieux t’assurer, que la figure publique te promet que demain on rase gratis parce que tu as envie d’y croire, que le consultant brandit le spectre d’un monde incertain qui t’impose une transformation d’autant plus permanente que les services qu’il te vend sont d’autant mieux valorisés s’ils sont récurrents
Bref, une technique marketing bien ancienne : prédire et te promettre de te servir ou… de sévir.
C’est là où la distinction entre prévision et prédiction est utile à comprendre. C’est vrai qu’en première lecture, on pourrait penser que c’est à peu près la même chose.
Prévision : ce que je vois arriver avant que cela n’arrive ; prédiction : ce que je dis qu’il va arriver avant que cela n’arrive.
Des oracles à Madame Soleil, on pourrait résumer les deux à la figure d’un tiers qui te décrie ce qui peut arriver.
Et donc ce tiers tu t’en remets à ses visions et donc à ses dires à la mesure de la confiance que tu lui prêtes. Tu le crois – on est bien dans le domaine de la croyance – par exemple parce qu’il est expert ou parce qu’il t’impressionne.
Comme écrivait Diderot dans ses Pensées philosophiques : « L’incrédulité est quelquefois le vice d’un sot, et la crédulité le défaut d’un homme d’esprit. ». Personne n’est donc à l’abri !
Et certains jouent de cette crédulité à merveille. Car entre prévision, formulée par un modèle scientifique éprouvé et reconnu, comme le sont des prévisions météorologiques par exemple et prédiction fondée sur des hypothèses et des intuitions, surtout quand elles émanent de charlatans et de gourous, le second confine vite à la manipulation.
Genre certains influenceurs par exemple, pas trop difficiles à repérer, ou parfois même des figures publiques qui ont tous les atours du sérieux et de la bienséance, plus difficiles à démasquer. Ils font illusion. Au moins un temps. Tout le problème du bon Dieu qu’on te donne sans confession !
Alors évidemment, quand on fait de la prospective sérieusement on interroge bien sûr des experts d’un domaine sur ce qu’ils imaginent de ce que demain pourrait être.
Et leurs avis, qui ne sont que des hypothèses, sont vraisemblablement plus éclairés que ceux de madame Michu ou monsieur Ducomptoir qui se sont autoproclamés expert d’un truc qu’ils connaissent comme moi je connais la liturgie du 13ème siècle.
Quand monsieur Ducomptoir reste accoudé au bar du village à pérorer comme un coq, verre à la main… à affirmer d’un ton ferme et définitif en le claquant sur le zinc que « tu verras ce que tu verras et qu’il l’avait bien dit » on s’en fout… parce que ça ne dérange que les clients du bar et que c’est pittoresque.
Comme quoi, tu vois, le confinement a peut-être des vertus… bon OK je sors ! Mais quand le même ou presque endosse les habits du Coach consultant spécialiste du je-sais-pas-quoi avec un mot anglais branchouille et dispose d’une tribune sur les réseaux ce n’est plus la même histoire.
Ras le bol en effet de tous ces gens qui t’expliquent avec force et certitudes leurs représentations aussi simplistes que démagogiques de ce que sera demain.
La seule chose dont tu es certain c’est qu’ils n’en savent rien. Et après tout, on pourrait s’en foutre et même se dire que la liberté d’expression conduit à ce qu’ils aient autant le droit de s’exprimer que n’importe qui d’autre.
Et c’est en effet le cas. Il faut préserver cette liberté. Cela relève d’une saine diversité des opinions et, au fond, il faut bien goûter le picrate pour apprécier le bon vin.
Or cette liberté est mise à mal par les réseaux et leurs algorithmes qui favorisent le bruit, la polémique, le facile à consommer…
Quand le bruit est plus envahissant que la musique on finit par ne plus l’entendre et cela fait de jolies bulles informationnelles. Pas étonnant qu’on devienne cons et qu’à la fin on soit convaincus que la terre est plate.
Un peu comme ton encéphalogramme tu veux dire ? C’est bien ça, oui
Alors un peu de discernement que diable, d’esprit critique, d’hygiène de raisonnement… Au moins en se posant 3 questions simples.
- Pourquoi cette information occupe autant d’espace, mobilise autant la scène ? C’est un indicateur qui doit interroger. Le battage médiatique est rarement de bon augure. Comme disait l’autre, ceux qui ont quelque chose à vendre ont souvent peu à raconter, et ceux qui ont quelque chose à raconter souvent peu à vendre. Alors les premiers, bien malins, se disent qu’après tout ce n’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il ne faut pas le montrer haut et fort !
- Qui a intérêt à quoi ? On sait ce qu’est la réalité des intérêts marchands et ce n’est souvent pas bien difficile à déceler ! En substance, le pharmacien et le médecin dans la même famille ce n’est jamais bon sauf pour les affaires. Alors autant s’interroger. Surtout quand on te sort une étude qui, comme par hasard, te révèle évidemment ce que celui qui l’a financée à intérêt à te dire.
- Est-ce que cela résiste à l’analyse ? Décortique, désosse, passe le truc à l’examen de la logique, cherche les sources, bref la base de l’esprit critique dont on devrait faire toujours preuve face à n’importe quelle information.
On pourrait presque ajouter en conclusion que ce qui brille, c’est toujours la surface… Mais ce n’est pas systématique car heureusement des propos de fond, des analyses d’une grande justesse, des critiques utiles et honnêtes du bullshit ambiant, des pensées qui vont au-delà des entendements communs remontent à la surface et prennent la lumière.
Pour le grand bénéfice de celles et ceux qui leur prêtent attention.
Alors, demain, si demain tu tombes sur quelqu’un qui te prédis ce que sera demain, et bien moi aujourd’hui, je te prédis qu’il n’en sait pas plus que toi, et que tu devrais te méfier dès aujourdhui de celles et ceux qui te prédisent quoi que ce soit.
En résumé, les prédictions sur l’avenir n’engagent que ceux qui y croient et la seule certitude c’est que toute prédiction est par nature erronée. Au mieux, on peut lui accorder un certain degré de probabilité.
J’ai bon chef ?