Radical candor, c’est disruptif ?
Dans cet épisode nous allons nous pencher sur la proposition managériale d’une autrice américaine, Kim Scott, en l’occurrence le radical candor ou la « toute franchise », que certains et certaines présentent comme novatrice ou disruptive.
La franchise radicale ? Let’s call a spade a spade ! Appeler une bêche une bêche.
Ou un chat un chat. Bref, dire que lorsque c’est une merde c’est une merde. C’est ça ? Parce que tu sais, une merde tu peux toujours la repeindre en rose, ça reste une merde et ça pue quand même !
Mais non, là on te parle d’un ouvrage de Kim Scott, qui invite à la « toute franchise » dans le management pour être « un super patron sans perdre votre humanité », enfin du moins pour la version anglaise.
Oui car la version américaine sous-titre plutôt « comment obtenir ce que vous voulez en disant ce que vous voulez dire »… Bref. Un ouvrage qui fait le buzz et dont on dit ici ou là qu’il serait novateur ou disruptif.
Alors cela ne peut que titiller notre curiosité et notre sagacité… Alors, radical candor, c’est disruptif ? C’est quoi l’histoire ?
Ce qui nous questionne en l’occurrence c’est d’avoir vu ici ou là, dans les diners en ville, dans des conférences et autres sauteries où on va pour être vu plus que pour toute autre chose, que certains et certaines présentent cela comme nouveau, disruptif, novateur.
Bref, c’est tout nouveau tout beau et comble de tout, cela vient des Etats-Unis ! Enfin, pas des bleds paumés où on tire sur les bœufs… ou les gens, arme en vente libre au poing mais de là où le monde de demain et même d’après-demain se prépare !! Le temple de la modernité, la silicon valley, le berceau de la tech.
En substance, Radical Candor c’est 2 axes donc 4 cases, comme souvent. Pour simplifier : un axe sur le care, « personally » est-il dit, donc en résumé, s’occuper des troupes, prendre soin de ses équipes, créer le meilleur environnement possible pour que les personnes soient pleinement elles-mêmes.
Et un autre axe : challenge directly. Dit autrement, dire les choses telles qu’elles sont, même celles qui dérangent. En substance, être franc et direct.
Vous l’aurez compris, le leader appelé le kick-ass boss c’est celui ou celle qui réunit les deux.
C’est étonnant non d’opposer sur 2 axes orthogonaux le fait de dire les choses franchement et de prendre soin ? En quoi la franchise, même radicale, s’opposerait-elle à une bienveillance active, à un sens de la responsabilité de l’autre, comme y invite la notion anglo-saxonne de care ?
Comme si la vérité était incompatible avec la responsabilité. Comme si dire vrai c’était être méchant… Bon, on veut bien que toute vérité ne soit pas bonne à dire, du moins pas à n’importe qui ou surtout pas n’importe comment. C’est une question d’accompagnement.
Et puis, l’absence de franchise sur le travail des autres, c’est de la complaisance et la complaisance ce n’est ni de la bienveillance, ni du care. Ce n’est pas très compliqué à comprendre et cela n’a rien de nouveau.
Alors si certains ou certaines présentent cette approche de franchise radicale et de care comme disruptive, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?
Est-ce que cela signifie que la vie professionnelle est tellement dépourvue des deux que cela paraît révolutionnaire aux yeux de certains ? Est-ce qu’elle serait devenue une mascarade qui dissimule une brutalité tout aussi réelle qu’inavouable ?
Est-ce que manager une équipe n’implique pas de fait – et n’a pas toujours impliqué – d’être franc, c’est-à-dire de reconnaître et dire les faits, les expliquer, tout en étant responsable de l’autre, d’en prendre soin avec bienveillance ? N’est-ce pas normal plutôt que disruptif ?
En vérité, lorsque certains brandissent quelque chose de normal comme quelque chose de nouveau ou révolutionnaire, cela peut inviter à réfléchir sur deux plans : ce qui est normal a-t-il disparu au point de paraître révolutionnaire ?
Ou le regard de certains est-il biaisé ? Peut-être parce qu’ils ont oublié ce qui était normal à force de baigner dans un environnement qui l’est moins.
On retrouve-là au fond quelques-unes des questions auxquelles la série dystopique « Severance » nous invite, mais c’est une autre histoire… On pourrait par exemple se demander si bienveillance de façade et discours lénifiant n’est pas déjà la norme dans certains univers ?
Dormez braves gens, Orwell n’est pas loin… Alors, restons vigilant. Heureusement, on connaît plein de managers qui font leur travail de manager avec autant de franchise que de bienveillance et de sens des responsabilités ! Tout n’est pas perdu !
En résumé, faire preuve de franchise tout en prenant soin de ses collaborateurs c’est être responsable. C’est une dimension du management. Considérer cela comme une novation ou une disruption en dit peut-être long sur l’état des relations humaines à certains endroits.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.