Le DRH garant des externalités sociales
Dans cet épisode nous allons parler des externalités sociales de l’entreprise et du rôle de la fonction RH.
Je me souviens d’une anecdote avec la DRH d’une entreprise qui fustigeait le manque d’éducation, de savoir-vivre et de respect de principes élémentaires de la vie en société, qu’elle semblait éprouver dans son entreprise.
« Ce n’est plus ce que c’était, hein ma bonne dame »… Et donc ?
Elle disait en substance : « je ne suis quand même pas responsable de leur éducation ».
Soit. Elle n’en était évidemment pas la cause. Mais est-ce là une raison pour s’affranchir de ses propres responsabilités ou pour baisser les bras. Ce que l’on fait, peut-être parfois même encore plus ce que l’on ne fait pas, a nécessairement des conséquences au-delà de soi.
C’était tout le sujet. Celle de la responsabilité qu’on endosse ou pas, au-delà de son périmètre immédiat. Un sujet sur lequel la fonction RH a un rôle particulier. Alors, le DRH garant des externalités sociales, c’est quoi l’histoire ?
On ne parle ici des fausses bonnes idées qui consisteraient, par exemple, à s’emparer d’un sujet de société porteur et d’en faire une animation de surface, au mieux croyant bien faire, au pire avec opportunisme et cynisme.
On parle ici de ce qu’on appelle les « externalités ». Même si le terme est passé de mode, il dit bien ce qu’il veut dire.
En substance, une externalité c’est une conséquence de ce que fait un agent économique sur un autre sans que ce dernier ne l’ait demandé, ni n’en obtienne une quelconque contrepartie. Il peut donc y avoir des externalités positives comme négatives.
L’externalité qui saute aux yeux, ce sont les conséquences sur la planète et le climat. C’est l’origine du concept même avec la taxe Pigouvienne qui a donné lieu plus tard au principe pollueur-payeur (Pigou, 1920).
Mais ça ne se limite évidemment pas au climat. Il y a toute la dimension sociale et celle-ci ne se limite pas au périmètre interne de l’entreprise.
Que l’entreprise le veuille ou non, ses choix, les principes qui la guident, ses politiques ont de fait des conséquences d’ordre social sur la société civile dans son ensemble comme sur les gens qui la composent.
Des conséquences qui peuvent être négatives ou positives, disions-nous. On va prendre un exemple simple pour illustrer.
Mon entreprise, dans les faits, que cela relève d’une volonté politique ou pas, n’embauche pas de seniors. Cela nourrit par définition le chômage des seniors.
Dont les raisons sont peut-être parfois cachées mais c’est un autre sujet. À l’inverse, mon entreprise est attentive à l’emploi de cette catégorie de personnes, quelles qu’en soient les raisons, cela a des conséquences positives, même infimes.
L’exemple est simpliste bien sûr mais il témoigne d’un principe simple que George Orwell résumait tout aussi simplement dans « 1984 ». En 1949. « Les conséquences d’un acte sont incluses dans l’acte lui-même. »
C’est la notion même de responsabilité qui finalement a deux dimensions. Spatiale. Ce que tu fais a des conséquences au-delà de toi. Temporelle. Ce que tu fais a des conséquences ultérieures, parfois lointaines.
Tout principe de responsabilité comporte donc une dimension prospective (Jonas H., 1990).
En la matière, l’angle de vue premier est celui de la maîtrise des risques car les conséquences peuvent être coûteuses et destructrices. On s’attache donc aux externalités négatives en priorité.
Mais, il y a les externalités positives. Or, si ces dernières font parfois l’objet d’une communication vertueuse sur des sujets comme le climat, il est plus rare de s’en préoccuper dès lors qu’on s’inscrit dans une perspective sociale.
Pourtant, elles existent et relèvent parfois d’une volonté politique claire et affirmée.
Une entreprise qui fait face à une pénurie de main d’œuvre qui est telle qu’elle est obligée de faire venir une population étrangère, souvent nécessiteuse peut faire des choix.
Le pire c’est ce qui s’est passé dans le secteur du Champagne avec l’exploitation de saisonniers sans papiers pour les vendanges, employés dans des conditions indignes. Le procès les a reconnus victimes de traite d’êtres humains.
Mais dans de telles circonstances, certaines entreprises non seulement ne s’inscrivent pas dans cette indignité illégale mais font du mieux qu’elles peuvent.
En mettant en place par exemple un programme d’alphabétisation pour celles et ceux qui en ont besoin, en facilitant l’apprentissage du français pour d’autres, en fournissant une aide pour des démarches administratives.
On objectera là qu’il ne s’agit pas d’externalités puisque ce sont les personnes qu’on emploie. Certes. Mais lorsque cette vision du monde s’inscrit plus largement dans une volonté sociale de développer l’employabilité ou de favoriser l’ascenseur social, de quoi s’agit-il si ce n’est d’externalité positive ?
Quand par exemple une entreprise contribue à former des salariés pour toute une filière qui souffre d’une pénurie cruelle de main d’œuvre, y compris à des métiers qui ne lui correspondent pas directement, cela relève aussi d’une volonté politique porteuse d’externalités positives.
Sans aller jusqu’à prendre en compte des effets de ricochets ou des boucles de rétroaction, un peu comme on ferait un bilan énergétique global entre le thermique et l’électrique, certaines des décisions politiques sociales de l’entreprise ont des conséquences positives sur la société.
Qu’en est-il par exemple, dans un climat social général extrêmement tendu, que certains voient comme le signe avant-coureur d’une fracture irréductible ou de guerre civile, de la déclaration d’un dirigeant de grande entreprise qui marque un mépris de classe qui attise les déchirures ?
A l’inverse, la pédagogie de la situation, le respect des équilibres des parties prenantes, une relation harmonieuse avec des IRP dont on sait le poids quand il s’agit de remuer ou au contraire apaiser la base – tant qu’ils les tiennent encore… Quelle conséquence positive à l’échelle d’une société ?
Porter une politique de formation soucieuse du développement de l’employabilité des personnes, cela n’a pas de conséquences sociales ailleurs et après ? Lutter contre les RPS et la souffrance au travail non plus ?
On ne le dira jamais assez mais en matière sociale, les équilibres – quelle que soit leur échelle – sont toujours fragiles. La fonction RH a dès lors une responsabilité particulière bien au-delà de son périmètre interne immédiat.
C’est une responsabilité que l’on peut plus ou moins assumer. Chez certains professionnels de la fonction, c’est un engagement sincère. Et, à nos yeux, cela les honore.
En résumé, les politiques RH d’une entreprise ne sont pas sans conséquences d’ordre social au-delà de l’entreprise elle-même. La fonction RH a alors une responsabilité spécifique de s’en emparer ou de s’en affranchir.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.