Faites des gosses qu’ils disaient

Dans cet épisode nous allons parler de maternité et des injonctions contradictoires qui en résultent en entreprise.

« La femme tout entière est modelée et préparée de loin pour cet auguste office de la maternité, qui est le but suprême de sa vie terrestre » écrivait le professeur Jean-Baptiste Fonssagrives en 1869 dans un ouvrage intitulé « L’Éducation physique des jeunes filles ».

Grand spécialiste devant l’Éternel de la maternité – qu’il avait dû vivre dans sa propre chair dans une vie antérieure – et grand spécialiste des femmes dont il savait « le but suprême dans la vie » à leur place et pour toutes sans distinction aucune. Bah voilà tout est dit.

1869 ça fait plus de 150 ans, depuis on a progressé, heureusement les temps changent. Et en même temps, pas partout, pas chez certains qui croient savoir à la place d’autres.

La maternité, à défaut d’en faire un but suprême de la vie, que tu la souhaites, que tu la puisses ou pas, que tu la vives c’est vraiment si simple que cela quand tu bosses ? Alors, faites des gosses qu’ils disaient, c’est quoi l’histoire ?

La France a besoin de vous, il faut enclencher le « réarmement démographique »… Une longue histoire politique que nous ne commenterons pas ici. Si ce n’est pour faire une remarque un peu naïve.

Un système social fondé sur la solidarité entre générations est par nature dépendant du renouvellement des générations donc de la natalité. L’injonction est simple, non seulement il faut faire des gosses mais il va falloir qu’ils soient actifs et qu’ils cotisent. Sinon tant pis pour ta retraite. Et pour la mienne aussi.

Donc mesdames faites des gosses, la boucle est bouclée. Sauf que, cette injonction est une pression sociale et psychologique pour les femmes, qui l’ont demandé ou pas, notamment parce que l’entreprise n’est pas le lieu d’épanouissement du sujet !

L’avenir de la France dépend de toi mais la réalité que tu vis, c’est que tu as bien compris à titre individuel et personnel ce à quoi tu allais être exposée. Pas de bol pour ta carrière.

Les choix, les envies, les représentations que chacune et chacun se fait de ce qu’est son propre bonheur, de ses attentes en matière de vie personnelle et professionnelle, de ce à quoi tu veux donner la priorité ou pas, c’est une affaire personnelle. Il n’y a donc pas de jugement de valeur à avoir et encore moins de commentaire à faire en la matière.

Mais si tu veux des enfants, tu fais comment face au parcours du combattant avant, pendant et après ?

Résultat concret ? Une enquête de l’APEC nous le dit en 2024 : « Les trois quarts des mères cadres considèrent que le congé maternité ralentit leur évolution professionnelle pendant plusieurs années ».

Combien d’hommes diront que c’est une réalité ? On pose la question. Juste pour faire réfléchir.

L’édition 2023 du baromètre sur le sexisme ordinaire au travail le confirme pourtant : c’est un « handicap pour la carrière de 7 femmes sur 10 ».

On ne va pas lister ici tout ce qu’il faudrait subir, à commencer par ton salaire qui stagne et les trains qui te passent devant le nez, la liste serait presque interminable.

Des conséquences directes et indirectes en effet qui ne sont plus à démontrer. L’Anact a par exemple fait un très bon dossier en ce sens en 2024 sur la difficulté à concilier parentalité et travail.

Ce que nous voudrions pointer du doigt, c’est la souffrance qui résulte de toutes ces injonctions contradictoires. Surtout, qu’elles viennent s’ajouter à celles du travail en lui-même, dont on sait à quel point elles sont sources de mal-être.

Sans compter les ravages du sexisme ordinaire dont les femmes sont victimes à longueur de journée, au travail comme ailleurs. Bref, la triple peine. Quand ce n’est pas quatre, sur un plan personnel, quand la maternité en elle-même est difficile ou source de souffrance en plus.

Les injonctions sont foison. On veut de toi que tu t’engages, que tu montres ton investissement pour l’entreprise, son projet et ton travail et, en même temps, que tu sois une mère irréprochable. La belle affaire quand les regards et les contraintes rendent les deux bien difficiles à réussir.

Une représentation collective simple qui se résume à la croyance que ce que tu donnes à l’un, tu le prends à l’autre. Donc tu te plantes nécessairement. Donc un sentiment d’impuissance, dont on sait le puissant levier de mal-être qu’il constitue (Karasek,1979).

Voilà l’histoire, celle qu’on demande aux femmes et peut-être pas aux hommes. Sois ambitieuse mais pas trop, prends ton congé maternité, la loi t’y autorise, mais reviens vite et sois disponible à distance.

Ne lâche pas le contact ou on t’oubliera vite. Tu sais les trains passent vite et ne sifflent pas toujours pour te prévenir qu’ils t’ont oublié sur le quai.

Quand ce ne sont pas les comportements de celles et ceux qui, soucieux de leur propre carrière, sont prêts à tout pour te mettre en porte-à-faux.

Je me souviens de ce manager qui imposait une réunion le mercredi parce qu’il voulait lutter contre le temps partiel au motif qu’il jugeait que c’était le signal évident d’un moindre investissement personnel.

Mais alors on te juge donc sur tes efforts et pas sur tes résultats ? Et lui, ses déjeuners d’affaires qui durent des heures avec ses potes, on en parle ? Surtout que sa productivité de l’après-midi… comment te dire ?…

Bref, ce qu’il faut souligner ici, selon nous, ce sont deux choses.

La première devrait être simple à comprendre. Ces injonctions, ces difficultés, ces contraintes auxquelles les femmes sont confrontées sont des réelles sources de souffrance.

Or, les ignorer – ne serait-ce que parce qu’on n’en est pas vraiment conscient – c’est non seulement cautionner une partie des causes et c’est surtout contre-productif.

On veut de l’engagement ? Alors, il faut en créer les conditions. Celles-ci aussi. Certaines entreprises le font, avec des mesures très concrètes, notamment lors de l’accompagnement lors du retour au travail. D’autres l’ignorent.

La seconde, c’est que le sujet n’est pas individuel mais culturel et systémique. Dit autrement, les mesures d’accompagnement sont utiles mais c’est insuffisant. Elles ne changeront pas la pression sociale ni les autocensures qui peuvent en découler.

Rien ne progressera en effet sans un travail profond sur les mentalités. Celui-ci est de très longue haleine et multifactoriel. C’est une responsabilité dont la DRH doit s’emparer.

En la matière, ce qui devrait peut-être marquer le plus les esprits est simple à formuler. Nous ne sommes pas conscients de nos propres travers.

Pour mieux se figurer les choses, par exemple, en 2024, le World Economic Forum a publié son classement mondial de l’égalité femmes-hommes, le Global Gender Gap Report. Les résultats sont intéressants.

La France était 15ème en 2015, elle est désormais 35ème. Loin derrière la Moldavie (7ème), la Namibie (8ème) ou le Costa Rica (16ème). Comme quoi, il doit y avoir beaucoup d’idées reçues à déconstruire sur de nombreux sujets.

Puisqu’on y est, un conseil amical. Lors de ta prochaine réunion de famille chez Tonton ou Tata, évite de demander à cette femme de 25 ans qui entre dans la vie active avec plein d’envies « et c’est pour quand le 1er bébé ? ». À la machine à café non plus.

L’injonction au sacrifice, pour les autres, ce n’est pas nécessaire.

En résumé, la souffrance liées aux injonctions contradictoires qui résultent de la maternité et de la vie professionnelle sont souvent ignorées ajoutant ainsi un facteur de souffrance. La fonction RH a sur le sujet une responsabilité particulière à faire évoluer les mentalités sur le fond.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.