Les états d’âme et le réel
Dans cet épisode nous allons parler des tendances sociétales qui traversent les entreprises et de leur confrontation au réel.
« Travailler c’est trop dur et voler c’est pas beau » … de Julien Clerc à Alpha Blondy en passant par Zachary Richard, ils sont nombreux à avoir chanté cette chanson française de la Louisiane, du 18ème ou début 19ème, transmise par un certain Caesar Vincent.
Le travail c’est dur… La vie est dure…
Rassure-toi, elle est courte aussi.
Certains s’émeuvent parfois d’un rapport au travail qui aurait changé, de priorités personnelles bouleversées par la crise de la Covid ou du culte du bien-être qui conduirait à une tolérance moindre aux efforts…
Crise des vocations, pénurie d’envie… le monde change ma bonne dame, les temps ne sont plus ce qu’ils étaient. Et c’est probablement vrai, puisque c’est ce que ressentent les gens.
Comme disait Boris Vian « cette histoire est vraie puisque je l’ai inventée ». Mais il y a aussi le contexte. Alors, les états d’âme et le réel, c’est quoi l’histoire ?
Maurice Thévenet, dans une de ses chroniques, souligne à juste titre que « le travail est devenu second ».
C’est très vraisemblablement une des tendances lourdes qui semble traverser la société contemporaine.
Certaines et certains y voient les conséquences de l’âge, aimant opposer les générations – ce qui tourne inévitablement aux conflits – mettant souvent en valeur précisément les valeurs qu’ils, ou elles, attribuent à la leur.
Là où le contexte conditionne certainement les réponses que chaque génération, quelle que soit sa classe d’âge, peut apporter pour satisfaire des besoins, notamment fondamentaux, qui sont vraisemblablement très proches.
Mais les tendances sont les tendances. Le particulier peut ne pas s’y retrouver personnellement bien sûr mais, sans tomber dans les stéréotypes caricaturaux, des évolutions sociétales sont palpables.
Nous ne débattrons pas des causes qui sont très probablement multifactorielles. Société de consommation tournée vers des satisfactions immédiates, niveau de confort qui, n’en déplaise à certains, est élevé au regard d’autres pays, démission éducative des uns ou des autres, illusions véhiculées par les médias sociaux etc. la liste pourrait être longue.
Toujours est-il que la propension à privilégier un bien-être qu’on estime comme un dû est peut-être plus grande aujourd’hui, peut-être qu’on considère devoir pouvoir choisir ce qui plaît comme job, y consacrer un temps choisi pour mieux profiter qui de la vie, de sa famille ou de qui lui plait, que sais-je encore ?
Des évolutions renforcées par un développement de l’individualisme qui rend la vie en société plus pesante et les solidarités collectives plus fragiles, une démographie qui – du moins un temps – conduit à croire que les rapports de force s’inversent… Bref, on arrête la liste là.
C’est ce que nous entendons régulièrement, très fréquemment et qui, à défaut d’être documenté par des faits démontrables, témoigne de ressentis, des uns sur les autres concernant le ressenti de ces derniers.
Les rôles pouvant d’ailleurs s’inverser exactement sur les mêmes principes et représentations.
Notre objet n’est pas ici de confirmer ou infirmer ces tendances, encore moins de porter un quelconque jugement de valeur sur telle ou telle perception, juste ou pas. Après tout, chacune et chacun ira de sa sentence. L’idée est plutôt de confronter cette hypothèse au contexte dans lequel elle s’exprime.
Pour caricaturer, d’un côté, le ressenti du bien-être personnel comme priorité à laquelle on conditionne le reste, parce qu’on le vaut bien, du moins on le croit.
De l’autre, la réalité du contexte, parce que ce n’est pas parce qu’on pense qu’on le vaut bien qu’on le peut bien.
Une hypothèse non négligeable, que Maurice Thévenet a appelé le « Joker ».
En substance, le joker c’est la réalité du contexte. Disons-le simplement, les évolutions que nous avons évoquées, si ce sont des réalités en cela que c’est bien ce que les gens pensent, dépendent en grande partie du fait que le contexte les permet.
Et il pourrait ne plus les permettre. Pour être plus précis, elles sont possibles dès lors que les gens pensent plus ou moins consciemment que le contexte le permet ou qu’ils n’ont pas conscience du fait qu’il ne le permet pas.
Ou qu’en étant conscient, ils fassent quand même précisément ce choix-là en se disant que ce qui est pris n’est plus à prendre.
« Dormez braves gens » diront certains, en n’oubliant pas que le guet qui veillait soi-disant sur les gens en faisant la ronde de nuit était en réalité une milice bourgeoise soucieuse de sa sécurité tout autant peut-être que de se distraire.
Les autres crieront au déni. Vous ne voyez-donc pas le monde qui s’effondre, la planète qui brûle, la société qui se déchire ? Annonçant à qui veut l’entendre que le pire est à venir, fait de FMI qui prend la main sur l’autonomie du pays, d’économie qui plonge, d’inflation galopante, de chômage de masse et autres réjouissances.
On peut formuler autant d’hypothèses que l’on veut sur ce qui motive les comportements individuels et collectifs et il y a fort à parier qu’il y a bien plus de variétés que ce que les commentateurs et agitateurs de tout poil essayent de faire croire avec des intérêts bien compris.
On peut aussi formuler tout autant de prédictions que l’on veut sur l’avenir en jouant aux devins de pacotille sur ce que sera le monde, le pays, la société, la fonction RH dans 10, 20 ou 30 ans.
Sans renier l’utilité de la prospective – bien au contraire car on a plus que jamais besoin de renouer avec ses principes fondamentaux – on est néanmoins certain que personne n’a la moindre certitude sur ce qui se passera.
Dit autrement, le pire comme le meilleur ne sont jamais certains, mais ils arrivent parfois aussi.
De ces deux constats d’impuissance, la seule certitude qui nous semble pouvoir être formulée, du moins à nos yeux, est la suivante.
Les comportements individuels et collectifs ne peuvent pas durablement être en décalage profond avec la réalité des situations car c’est elle qui détermine le plus le champ des possibles et les marges de manœuvre dont on dispose.
Autrement dit, une lecture réaliste du contexte et de ses contraintes est certainement plus que jamais nécessaire pour en faire la pédagogie, notamment pour une fonction RH qui a là un rôle important à jouer.
En résumé, quelles que soient les tendances sociétales en cours et qui affectent la vie des entreprises, elles convergeront forcément à un moment ou à un autre vers ce que la réalité rend possible. Comprendre les contraintes du contexte avec lucidité est plus que jamais essentiel.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.