Vous allez voir ce que vous allez voir

Dans cet épisode, nous allons parler de prise de poste et des attitudes qu’il vaut mieux adopter.

On les voit arriver de loin, un nuage de poussières annonce leur arrivée avec panache. Ça roule des mécaniques, ça tape le sol d’un éperon sonore, ça marque son territoire avant même d’être là.

A peine arrivés, ils imposent leur loi, à défaut d’une vision. Parce que tu comprends, on leur a appris dans un stage un peu simpliste, que les premiers gestes ça compte. Les 20 premières secondes. Mais parfois on ne s’en contente pas !

Évidemment que cela compte, la première impression, mais prendre un poste, surtout lorsqu’on vient d’une autre entreprise – qu’on dirige ou qu’on soit juste manager – ce n’est pas faire le fanfaron.

Alors, vous allez voir ce que vous allez voir, c’est quoi l’histoire ?

C’est l’histoire du matador. Non seulement il roule des mécaniques en arrivant, genre démarche chaloupée du cowboy qui en a vu d’autres, mais il dégaine vite. Trop vite. Ça bouge, il tire.

Le Lucky Luke du management, celui qui tire plus vite qu’il ne comprend. Après tout, le matador c’est celui qui tue le taureau. C’est le personnage principal d’une tragédie, qu’il maîtrise avec l’autorité de celui qui sait et qui en impose.

Alors pour lui, et on gardera le masculin pour la suite même si les femmes ne sont pas à l’abri des mêmes dérives, quand il arrive il croît qu’il doit impressionner.

A peine arrivé donc il décide. C’est normal, lui, il sait. On lui rapporte quelque chose qui cloche ? Il tranche. Vite, vif, dans le vif, il laisse à vif. Sa force c’est de décider, faire avancer.

Seulement voilà, prendre un poste ce n’est pas que prendre des mesures, c’est d’abord prendre la mesure, précisément pour que les mesures soient les bonnes. Toute la difficulté est là.

Le temps nécessaire de l’observation pour comprendre, puis le temps de la décision pour agir. La qualité du second temps de la valse dépend de celle du premier. Or, en cela, les prises de poste tonitruantes, à la hussarde, dans le genre « vous allez voir ce que vous allez voir » sont rarement propices à une réelle compréhension.

Peut-être les plus sagaces comprendront-ils vite les situations. Rompus à l’exercice managérial, ils auront vite fait la part des choses, puisant dans leur longue expérience. Pourquoi pas.

Mais comprendre les situations telles qu’elles sont, ce n’est pas comprendre ce qui les explique.

Or, c’est précisément cela l’histoire d’une entreprise, d’une équipe. Sa culture, la manière dont, avec le temps, elle a forgé des croyances communes. Comment elle a tissé les fils et les entrelacs de son histoire.

L’histoire, la culture, on ne peut pas la balayer du revers de la main, au motif qu’on vient d’arriver ou qu’on sait. Parce qu’ici ce n’est pas ailleurs.

C’est justement le meilleur moyen de rater le film et alors, les grands manitous aux décisions couperets se heurtent vite à l’humain et ses inerties, à l’histoire et sa pesanteur. Les mauvais choix de scenario, quand on prend le mauvais embranchement, ne produisent rarement de belles fins.

Jouer les nettoyeurs ou les messies, cela satisfait l’ego et ça peut avoir un effet d’électrochoc, au demeurant parfois utile lorsque l’enjeu relève de la prise de conscience et de l’urgence.

Mais en vérité, prendre un poste cela impose deux grandes exigences.

La première est assez simple à comprendre, c’est justement de comprendre. Instruire les dossiers, comprendre ce qui a fabriqué telle ou telle situation, savoir ce qui s’est vraiment passé, quels sont les jeux en place, bref tout ce qui fait la vie d’une entreprise ou d’une équipe, dans ses aspects formels et informels.

En la matière, mieux vaut se méfier des avis toujours avisés, sans aucun doute bien intentionnés, et parfois très bien orientés, qui figent un portrait ou un paysage dans lequel on risque bien de perdre des plumes. Ce ne sont pas toujours ceux qui font le plus de bruit qu’il faut écouter.

Le conseil est alors simple. Prendre le temps de l’écoute sincère, réelle, de toutes celles et ceux qu’il faut écouter. Enquêter comme le ferait un détective pour comprendre du mieux qu’on peut. Pour saisir les subtilités.

C’est aussi l’occasion de s’acclimater, de s’approprier les bons registres, de vivre la culture pour mieux la sentir. C’est d’autant plus important qu’il y a le second enjeu, le plus difficile.

Construire les bases de la confiance. Ce n’est pas dans les avis tranchés et à l’emporte-pièce qu’elle se forge. Bien sûr il lui faut du temps, et la phase d’écoute sert aussi à cela. Mais il lui faut surtout du respect, puis certainement de la nuance tant il est rare que ce à quoi on a affaire soit si binaire que cela.

Quand on prend son poste, on est attendu sur deux choses. La justesse de notre lecture des situations et la justice des décisions qui en résulteront. Deux ingrédients clés de cette même confiance. Chacun sait qu’une relation mal engagée, il va falloir ramer à contre-courant. Alors un peu d’humilité et de respect, apprendre à servir avant de se servir !

On sait aussi, car c’est une image qu’on nous assène – les 100 jours du président – que les premiers temps ouvrent une voie à l’action, alors autant ne pas perdre de temps, c’est vrai.

On sait aussi, car c’est très humain, que les premières impressions sont marquantes. On connaît l’importance du premier contact, de la première entrée en mêlée. C’est vrai aussi.

Mais pour autant, il ne faut pas sacrifier l’essentiel en surjouant le rôle et en jonglant de symbole en symbole. Là encore, tout est affaire de mesure, de bonne mesure, celle qui donnera le rythme de la danse.

Il y a ensuite bien sûr le temps de l’action. On a pris le temps qu’il fallait pour comprendre, on décide ensuite, plus ou moins collégialement, c’est un autre sujet. Là, l’enjeu est de ne pas trop attendre. Si le round d’observation permet d’apprécier la situation, ce n’est pas le match. Et on vous attend là aussi.

S’agit-il d’une semaine, d’un mois, de 6 mois, d’un an ? Ce n’est pas une question de temps d’horloge mais d’appréciation du temps juste. C’est peut-être pour cela, au fond, que manager n’est pas juste une technique mais bien un art, fait de subtilités.

En résumé, prendre un nouveau poste demande de prendre le temps de comprendre où l’on arrive et de poser les bases de la confiance avec ses interlocuteurs, avant de passer aux décisions et à l’action, sans tarder abusivement.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.