Apprécier ou améliorer ?

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur nos biais lors d’entretiens d’appréciation ou de feedback managérial.

Le management et la motivation c’est pourtant simple. Un entretien d’appréciation de la performance – éventuellement on le fait régulièrement – mais pendant lequel j’évalue ta performance et hop une bonne prime derrière et le tour est joué.

On connaît la petite musique qui se joue là en effet. Des systèmes d’objectifs individuels et de bonus qui en dépendent dont les effets secondaires ne sont parfois pas si neutres que cela.

Cela peut en effet notamment conduire à favoriser une certaine forme de mercenariat mais c’est un autre sujet. Mais c’est aussi un exercice qui n’est pas sans biais.

L’un de ces biais vient peut-être du lien entre appréciation et prime. Alors, apprécier ou améliorer, c’est quoi l’histoire ?

Les débats des professionnels des RH on les connait. Tiens, il y en a deux assez fréquents sur ce type de thématiques.

Le premier c’est de considérer que le sacrosaint entretien annuel qui prévalait pendant longtemps est obsolète au profit d’un feedback plus régulier. On voit l’idée simple qui est derrière : il vaut mieux corriger le tir en cours de route plutôt que de constater les dégâts à la fin.

Puis, on le sait, si la transformation des entreprises est constante, il est normal qu’on ajuste plus régulièrement qu’une fois tous les 36 du mois.

L’autre débat assez fréquent c’est de savoir si l’on doit séparer, ou pas, ce qui relève d’une logique de récompense et ce qui relève d’une logique de développement. Les objectifs et le pognon d’un côté et le développement des compétences de l’autre.

Les spécialistes débattront de ces questions avec plein d’arguments pour ou contre, on n’en doute pas. Mais il y a une double question qui nous intéresse aussi.

Tout d’abord, le lien explicite entre objectifs, performance et primes individuelles conduit peut-être implicitement à ce que l’on donne plus d’importance, consciemment ou non, à l’appréciation du résultat qu’à l’analyse de ce qui l’a forgé.

En d’autres termes, la prime engendrant une logique de sanction-récompense, elle monopolise un peu l’attention des parties – manager ou managé – là où l’enjeu véritable serait pourtant de comprendre pourquoi on en est arrivé là, en bien ou en mal, et ce qu’on pourrait faire pour faire mieux.

Ce n’est pas illégitime puisque si l’on estime qu’un dispositif de rémunération variable individuelle fondé sur la réalisation d’objectifs est supposé contribuer à la motivation des gens, c’est normal qu’on y attache de l’importance.

Mais avec cet effet qui va naturellement de pair et qui consiste peut-être à donner trop de poids à ce regard a posteriori plutôt qu’à chercher à comprendre ce qui peut permettre de s’améliorer.

Tout repose alors sur la pertinence et l’intelligence du manager qui, conscient de la nécessité d’avancer tous ensemble, perd moins de temps à constater les résultats et à argumenter la manière dont on les récompense.

La seconde question qu’on pose est une dérivée de la première. Peut-être pourrait-on d’ailleurs y voir une tradition séculaire de pères fouettards centrés sur le jugement dernier plutôt que sur le progrès en premier ?

C’est intuitif, là encore, mais même lorsqu’on cherche à se mettre dans une posture d’amélioration, on puise plus dans les échecs, dans ce qui n’a pas marché, que dans ce qui a fait les succès.

Il faut dire qu’on est envahi de citations qui s’y prêtent, de penseurs et philosophes en leaders d’entreprises. « L’échec est le fondement de la réussite » disait Lao Tseu, celui qu’on aime à utiliser quand on est à court de citations.

Alors écoutons Socrate « La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé ». Bon on dirait une de ces vidéos à deux balles de leadership et autres trucs de développement personnel avec des phrases censées inspirer.

Même Bill Gates y va de son aphorisme : « C’est bien de célébrer le succès, mais il est plus important de tenir compte des leçons de l’échec ». Si Bill Gates le dit c’est que cela doit être vachement vrai…

Il y a peut-être là un second biais en effet. C’est évident que s’améliorer suppose de tirer les enseignements de ce que l’on a fait et en cela les échecs nous enseignent, si on a le courage de faire cette introspection honnêtement, ce qui doit être corrigé.

Mais les succès sont aussi une formidable matière à enseignement qu’on exploite beaucoup moins. C’est une chose de les célébrer et, à l’instar de l’ami Bill, on est d’accord sur le fait que célébrer ne fait pas enseignement.

En revanche, prendre le temps d’analyser ce qui marche est tout aussi riche d’enseignement que d’analyser ce qui ne marche pas. Le succès aveugle peut-être et l’échec endurcit certainement et forge le caractère. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

C’est d’une analyse de ce qui a conduit à un résultat donné. Or, dans ces exercices d’appréciation en entreprise, tout occupés que nous sommes à célébrer une victoire, on en oublie parfois un peu de prendre le temps de l’analyser aussi.

On se prive alors d’une vision plus complète du lien entre ce que nous faisons et le résultat qui en découle. Le problème en réalité réside plus dans notre posture au regard des succès et des échecs qu’autre chose.

Or, quand on a réussi on a peut-être un autre biais qui entre en ligne de compte. Celui de prendre le risque de découvrir qu’on n’y est peut-être pas pour grand-chose et donc qu’on ne le mérite pas vraiment.

C’est la limite d’une approche où la notion de mérite, ou l’inverse, prédomine. Lorsqu’une part de chance nous a souri on ne prend peut-être pas la peine d’analyser ce que l’on a fait, se disant inconsciemment qu’on ne le mérite pas.

Quelles qu’en soient les raisons, les systèmes traditionnels d’appréciation de la performance ont une vertu, celles de donner une occasion de faire la pédagogie du résultat et de la sanction ou de la récompense qui va avec.

Mais savoir sa note n’a pas grand intérêt si on ne sait pas pourquoi ni comment faire pour l’améliorer. Or, en l’espèce, les enseignements de ce qui a conduit à un résultat donné, quel qu’il soit – échec ou succès – sont vraisemblablement de même utilité.

En vérité, ce qui compte c’est d’essayer de comprendre au mieux les relations de causes à effet dans ce que l’on a fait pour obtenir un résultat de manière à tenter d’obtenir les effets que l’on vise à l’avenir.

En résumé, les dispositifs traditionnels d’appréciation de la performance conduisent peut-être à donner trop de place à la sanction / récompense et aux améliorations nécessaires plutôt qu’à une compréhension la plus complète possible de la manière dont un résultat s’est construit pour l’améliorer à l’avenir.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.