Objectifs individuels et mercenariat
Dans cet épisode nous allons nous interroger sur la notion d’objectif individuel et notamment nous demander si elle ne favorise pas le mercenariat.
Si tu ne sais pas où tu vas, tu ne risques pas d’y aller. Alors crois-moi, le management c’est simple, tu fixes des objectifs individuels, ambitieux surtout, et tu mets des bonnes primes en face et on n’en parle plus.
Ah les fameux objectifs SMART, on connaît la musique… spécifiques, mesurables, ambitieux, réalistes et temporels, bah c’est peut-être un peu daté tout ça, non ? Ou pas.
Après tout, daté ou pas, cela n’a pas beaucoup d’importance. En vérité, ce qui compte c’est de savoir si c’est bien efficace ? On ne conteste pas la nécessité d’avoir une mission personnelle claire, comprise et acceptée, c’est la base même de la délégation.
Mais une logique d’objectifs individuels auxquels on lie une rémunération variable individuelle, cela a peut-être quelques limites. Alors, objectifs individuels et mercenariat, c’est quoi l’histoire ?
Comme souvent, c’est une histoire vieille comme le monde. Celle de l’individu et du collectif. L’individu comme division du tout auquel il appartient et pour lequel, en l’espèce, il est supposé œuvrer, c’est le sens même de la coopération.
Mais voilà, depuis longtemps, l’individualisation des politiques de rémunération dans les entreprises a conduit, peu ou prou, à des principes similaires en matière de rémunération variable.
Des objectifs individuels, le plus souvent à peine discutés et négociés mais c’est un autre sujet, avec une cible de bonus individuel à objectif atteint, un plafond au-delà duquel la prime ne grossit plus et un plancher en deçà duquel tu n’as rien.
Le tout étant souvent fondé sur des objectifs purement individuels. Et c’est bien là où l’on peut identifier des limites simples à comprendre.
On ne parle pas ici des principes de rémunération qui, en eux-mêmes, créent une situation antagoniste. Dans la mesure où ce qui est le plus souvent le mieux valorisé c’est le dépassement de l’objectif, et qu’on le discute peu, alors on crée les conditions de l’opposition.
Le manager a intérêt à placer la barre le plus haut possible pour donner moins, là où l’intéressé aurait l’intérêt inverse pour mieux la dépasser. Au lieu de la placer mutuellement le plus haut possible et d’avoir intérêt à la dépasser une fois placée. Mais c’est un autre sujet.
Ce que l’on vise ici c’est plutôt le caractère purement individuel des objectifs. Heureusement, nombre d’entreprises compensent cet aspect en intégrant une dimension collective aux dispositifs qui orientent les efforts des collaborateurs.
Mais certaines sont restées sur une logique moins nuancée, du type des objectifs purement individuels et un bonus individuel aussi, en comptant le cas échéant seulement sur des composantes de la rémunération comme l’intéressement et la participation pour la dimension collective.
Ceci pose une difficulté simple. Cela favorise les comportements de mercenaires c’est-à-dire celles et ceux qui ne cherchent qu’à maximiser leurs intérêts individuels quelles que soient les conséquences sur les résultats collectifs.
Or, avant de faire courir les gens plus vite, c’est bien de les faire courir dans le bon sens ! Là encore, on se répète, mais c’est le sens élémentaire de la coopération. Or, si l’on observe l’histoire récente des entreprises, c’est précisément ce qui manque le plus.
Comme si la juxtaposition de performances individuelles était une garantie de performance collective ! Quelle douce illusion ! Non seulement ce n’est pas le cas, mais le sujet a une portée plus grande que cela.
Le premier effet d’une individualisation des objectifs et de la rémunération de ce type, sans introduire aucune nuance collective, c’est en effet de favoriser des comportements de type mercenaires qui ne sont pas sources de réussite collective.
Mais le second effet, et c’est vraisemblablement le plus délétère, c’est le sentiment d’injustice qui peut en résulter auprès de celles et ceux qui, allant parfois à l’encontre de leur propre intérêt financier immédiat, s’engagent quand même pour le collectif.
Non seulement, on aura alors récompensé ceux qui n’y prêtent guère attention mais on aura aussi découragé les plus vaillants. Or, le cruel déficit de nombreuses entreprises, c’est précisément ce sens de l’engagement pour l’intérêt du bien commun qu’est le projet de l’entreprise en tant que tel.
Il faut donc équilibrer. Loin de nous l’idée de dire qu’il faut abandonner toute logique individuelle. Certainement pas ! Mais il faut y adjoindre aussi une valorisation des comportements individuels qui œuvrent pour le collectif.
On peut alors, par exemple, introduire une part de contribution au collectif dans les objectifs individuels de chacun ou mettre des accélérateurs à la rémunération variable individuelle à mesure que le collectif réussit lui-même.
Un système, par exemple, dans lequel plus le résultat collectif est élevé plus la prime individuelle, à résultat égal, est marginalement récompensée. Dit simplement à résultat individuel égal, je te récompense plus si le collectif réussit.
Ce qu’il convient peut-être de noter ici aussi, c’est qu’un certain nombre de principes qui ont présidé aux modes de management et de rémunération, comme celui des bonus individuels dont on parle ici, est fortement empreint d’un modèle taylorien.
Or, on en sait les limites face à un contexte qu’on ressent comme plus complexe, à défaut de le croire plus incertain. Dans certaines entreprises, le rééquilibrage du curseur entre individuel et collectif est alors peut-être plus que nécessaire.
En résumé, les systèmes de fixation d’objectifs et de rémunération variable fondés sur des critères exclusivement individuels favorisent des comportements de mercenaires qui peuvent nuire à la coopération et à la réussite collective. Il convient alors de les nuancer en y introduisant une dimension collective.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.