Séparation des rôles et contrepouvoir
Dans cet épisode nous allons parler de séparation des rôles et des missions et nous demander s’il s’agit d’une illusion ou pas.
Le mélange des genres. Il est des domaines où c’est une richesse. Les êtres humains par exemple. Mais d’autres où ça l’est moins. Quand il s’agit des intérêts trop bien mélangés, par exemple.
On voit bien l’image. Celle des conflits d’intérêts. Un peu la fable du médecin, du pharmacien et de l’industrie pharmaceutique. Au fond, quoi de plus humain. Il y a celles et ceux qui ont une déontologie. D’autres moins. Certains pas du tout.
C’est humain. Alors pour se prémunir de potentielles collusions d’intérêts, on aime bien séparer. Comme la loi de séparation de l’église et de l’état, en 1905, fondatrice de la laïcité.
Mais est-ce que les séparations formelles, organisationnelles ou structurelles, sont une garantie d’étanchéité et, in fine, de réduction des conflits d’intérêts et des petits arrangements entre amis ?
Intéressons-nous, dans cette optique, à l’entreprise. Alors, séparation des rôles et contrepouvoir, c’est quoi l’histoire ?
Les petites histoires de manquements déontologiques ou d’arrangements illégaux, c’est au fond une réalité de la nature humaine, quand l’appât du gain est plus fort que toute autre considération.
Rien de nouveau sous le soleil. C’est ainsi et cela relève précisément de l’humain et de sa propension à se conduire droit ou pas.
C’est un risque, et l’une des manières de s’en prémunir, c’est de veiller à ce que les structures formelles d’une organisation ne les favorisent pas. On met en place des instances de contrôle, on certifie, on labellise, et on sépare.
Certaines et certains se souviennent peut-être encore de l’affaire Enron dans les années 2000. Un gros scandale de manipulation financière qui a donné lieu, entre autres, à la séparation des activités de conseil et d’audit.
Sans vilain jeux de mots, on dira simplement que les comptes d’Andersen, ce n’est pas les contes d’Andersen mais juste une sale petite histoire de conflits d’intérêts, notamment ceux de la société Andersen (May, 2003).
Juste un petit résumé rapide de l’histoire. Enron, c’était une des grosses capitalisations boursières américaines qui a maquillé ses comptes avec la complicité de son auditeur Andersen. Cela a conduit d’abord à la faillite de la société Enron elle-même mais aussi à la disparition de la société Andersen.
Quand les « Big-je-ne-sais-pas-combien » deviennent les « Big-je-ne-sais-pas-combien-moins-un ». Raccourci pour pas perdre de temps : l’auditeur Andersen a couvert les manipulations. Bon il faut dire que c’était le plus gros client de leur branche conseil…
Alors on a séparé. Comme dans une institution financière où il y a potentiellement conflit entre l’analyste financier et le gestionnaire de patrimoine. Bref, le médecin d’un côté et le pharmacien de l’autre.
Sans aller jusqu’à des grands scandales comme celui d’Enron ou de Worldcom dans les années 2000, on peut s’intéresser à l’entreprise au quotidien. Car les conflits entre deux rôles dont les intérêts peuvent être antagonistes arrivent plus vite qu’on ne croit.
La santé ou la santé financière dans un établissement de soins ? La qualité ou le prix que négocient les acheteurs ? Somme toute, une affaire d’un intérêt et de son éventuel contraire.
Or, séparer en l’espèce, même si cela contribue certainement à limiter les risques, n’est pas une garantie absolue. Bien sûr l’auditeur doit être indépendant. Un auditeur interne par exemple ne doit pas être asservi aux intérêts des opérations.
Mais le rôle dépend d’un autre. Or, lorsque cet autre rôle est également interne, ce n’est que remonter la responsabilité du potentiel conflit à un niveau supérieur.
Prenons un exemple simple. Acheter au meilleur rapport qualité prix. L’intention est légitime. On cède sur quoi et dans quelles limites entre les deux ? On voit bien le potentiel conflit d’intérêts dans la ligne de démarcation.
Alors d’un côté un département qualité et de l’autre un département achat ? Ou le commanditaire puis les achats ? Chacun dans son pré et les vaches seront bien gardées ?
Sauf qu’en l’absence d’une tierce partie dégagée des intérêts partisans, ce type de séparation est illusoire puisqu’il y aura bien un rôle interne qui devra arbitrer.
C’est à la personne qui assume cette responsabilité que reviendra la délicate mission de trancher entre deux intérêts antagonistes.
Par ailleurs, une structure formelle ne garantit pas l’absence de recours à des voix informelles, là où luttes d’influences et petits arrangements échappent aux lignes bien délimitées des structures organisationnelles.
On en revient par conséquent à une double nécessité comme garde-fou. Transparence et contrôle. Mais là encore.
Est-ce qu’une règle dite de transparence donne vraiment à voir ce qu’on doit voir ? La transparence est-elle garantie d’information réelle ? Voilà un autre sujet et une autre histoire.
Et le contrôle ? Bien sûr, on le veut externe et indépendant, libéré des jeux d’intérêts, etc. C’est mieux que l’inverse en effet. Mais est-ce que cela le met à l’abri des influences et d’autres formes de collusions ? Là encore, une autre histoire.
En résumé, séparer formellement les rôles pour se prémunir des risques de conflits d’intérêt c’est certainement mieux que de ne pas le faire. Mais cela n’est pas une garantie à 100% car cela n’affranchit pas de la nature humaine et de ses potentielles dérives.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.