La technologie et le temps humain

Dans cet épisode nous allons parler de la technologie et du nécessaire temps humain qu’il faut pour l’adopter.

Chez nous, on investit massivement dans le digital, notamment dans l’IA, et tu vas voir les gains de productivité que l’on va avoir ! On va exploser les compteurs.

L’éternelle utopie technologique. On se souvient du paradoxe de Solow, les gains de productivité du digital on les voit partout sauf dans les statistiques affirmait en substance le prix Nobel d’économie.

Tu veux dire que cela ne sert à rien d’investir dans la technologie, c’est ça ?

Non, mais je t’invite à ne pas être trop impatient quant aux bénéfices que tu en attends. Alors, technologie et temps humain, c’est quoi l’histoire ?

C’est l’histoire du décalage. Ou peut-être même de plusieurs décalages. Tiens, le premier c’est cette confusion fréquente, cet amalgame un peu rapide entre productivité individuelle des personnes dans leur travail et productivité de l’entreprise.

On ne dira pas que les deux n’ont rien à voir mais, en revanche, le premier n’est en rien une garantie du second.

On constate souvent assez rapidement les gains personnels que l’on peut obtenir de la technologie. C’est par exemple le cas avec l’IA générative. On constate assez facilement les gains de temps qu’elle peut offrir à celui qui a, par exemple, besoin de produire des images.

Ou les gains des robots conversationnels aussi. On imagine aisément, par exemple, l’aide que cela offre à un développeur qui a sous la main une sorte de stagiaire aussi efficace que rapide.

De ces gains de productivité individuelle, souvent assez évidents aux yeux de tous, on passe parfois un peu vite au gain de productivité collective. Or, le passage de l’un à l’autre dépend moins de la technologie que de ce qu’on appelle le PFH.

Le « putain de facteur humain ». Ou quand l’informatique collaborative n’est pas une garantie de coopération, qui dépend d’un facteur simple, la volonté des celles et ceux qui travaillent.

Le second décalage qui peut frapper en matière de technologie c’est celui du retour sur investissement. Dit autrement, le temps du retour sur investissement est souvent bien plus long que ce que l’on imaginait initialement.

On en revient au paradoxe de Solow et à la dimension culturelle que trimbale tout outil, y compris informatique.

On ne parle pas ici du temps qu’il faut pour mener à bien l’implémentation d’un outil informatique. Même si on sait à quel point cela peut être un parcours du combattant et un difficile parcours initiatique.

Qui parfois ne mène à rien mais c’est un autre sujet. En l’occurrence on parle plutôt du temps d’appropriation, du temps du passage de l’installation à un usage souhaité et maîtrisé.

Ce temps est inévitablement long. A tel point qu’on peut même parfois constater au début des pertes de productivité collective.

Ce n’est pas difficile à comprendre. Il faut du temps pour s’approprier un outil et l’utiliser de façon efficace pour que les bénéfices que l’on en attend se traduisent dans la pratique réelle des gestes métiers.

Parfois tout simplement parce qu’on a sous-estimé les conséquences même sur ces gestes métiers et l’importance que les praticiens y accordent. On appelle ça résistance au changement.

Avec le sous-entendu que ce changement est nécessairement bénéfique. Mais il peut aussi heurter la manière dont des praticiens estiment devoir faire leur métier. Tout le poids de ce qu’on peut appeler une identité professionnelle.

Et alors cela freine des quatre fers et repousse d’autant la matérialité des bénéfices escomptés.

Même lorsque les gens sont convaincus, il y a aussi le temps de l’adoption, de l’appropriation, de l’intégration effective et concrète des bons usages.

Là encore ce temps est long, c’est celui de l’être humain. Pas celui de la machine. Or, durant cette période d’acclimatation, il n’y a pas de gains de productivité, c’est même généralement plutôt l’inverse.

Là encore le PFH. Mais pas seulement. Tout ne vient pas de ce que l’on pourrait appeler une forme d’inertie pour adopter les outils.

Cela vient aussi de la rigidité des processus de travail eux-mêmes, car on n’a pas toujours pris la peine non plus de les faire évoluer de concert. On n’a pas nécessairement profité de l’occasion de l’introduction d’une technologie pour revisiter les façons de faire.

C’est face à ce constat que le risque est grand de jeter l’éponge. On a vendu des gains importants, on pense être arrivé sur l’autre rive de la rivière parce que la technologie est implémentée mais en réalité on est plutôt au milieu du gué.

Ce n’est pas le moment de revenir en arrière. Il faut de la patience. Peut-être aurait-il mieux valu ne pas vendre monts et merveilles avant mais une fois qu’on en est là, il faut avoir la sagesse d’accepter le temps plus long des êtres humains.

En résumé, la technologie est souvent synonyme d’une promesse de gains de productivité. Mais il faut être conscient du temps qu’il faut aux êtres humains et à leur culture pour se l’approprier et faire en sorte que ces gains soient bien réels. Technologie oui mais sagesse et patience aussi.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.