Le saupoudrage ou la fausse bonne idée
Dans cet épisode nous allons parler d’une pratique managériale en matière de rémunération, le saupoudrage, et expliquer en quoi ce n’est pas une bonne idée.
Quand on observe les pratiques des managers en matière de rémunération on pourrait faire un bêtisier, sauf que ce genre-là ne fait pas franchement rire les collaborateurs. Ou alors c’est un rire jaune.
On connaît le lâche, genre adressez-vous au guichet 35… Tu sais celui ou celle qui te dit « ah oui pour toi j’avais demandé plus hein, j’étais d’accord mais au-dessus ils n’ont pas voulu »…
Tu as aussi celui qui la joue gentil copain, il donne des primes ou des augmentations à celles et ceux qu’il aime bien… Le registre du « j’aime / j’aime pas » comme si la politique de rémunération était un post de réseau social.
Et puis tu le bon samaritain qui veut faire plaisir à tout le monde. Il n’a pas beaucoup à répartir mais il va en donner un petit peu à tout le monde. Comme un sucrier, il saupoudre. Alors, le saupoudrage ou la fausse bonne idée, c’est quoi l’histoire ?
Commençons peut-être par rappeler que le rôle d’un manager en matière de rémunération, qu’il s’agisse d’appréciation de la performance pour déterminer un bonus ou d’augmentations d’individuelles, ce n’est pas de faire ce qu’il veut comme il veut.
Dans une entreprise, du moins la plupart du temps, il y a une politique de rémunération. Celle-ci définit des principes qui encadrent les actes managériaux qui en découlent.
Or, sur ce plan, le manager doit non seulement la mettre en œuvre, c’est-à-dire appliquer ses grands principes, mais il doit aussi en faire la pédagogie, c’est-à-dire expliquer les décisions qui en découlent.
Dans ce cadre, il doit veiller à faire preuve de justesse et de justice. En d’autres termes, des décisions qui matérialisent les principes de la politique.
Une pratique managériale qui n’est pas rare consiste à faire ce qu’on appelle du « saupoudrage ». Un petit peu pour tout le monde, généralement de manière plutôt égalitaire. On ne marque que peu de différences.
On comprend l’intention sous-jacente. On le fait court, c’est la tentation d’acheter la paix sociale et on se dit, à tort, on y reviendra, que le meilleur moyen c’est de filer un petit peu à chacun. Et comme cela on n’aura pas de vague.
Cela peut être chez certains un souci d’équité, trop inquiet de marquer des différences et qu’on les voit comme discriminantes. Mais c’est une joyeuse confusion entre égalité et équité.
La plupart du temps, comme les budgets des entreprises sont rarement open bar, on donne à tout le monde, mais pas beaucoup. Cela a donc pour effet de se partager des misères.
Au-delà du fait qu’il est rare qu’une politique de rémunération invite à faire l’école des fans où l’on met 10 à tout le monde, que ce soit bien ou pas, cela a au moins deux effets « kiss pas cool ».
En ne marquant pas de différence significative que ce soit entre ceux qui ont bien fait leur job et les autres ou entre ceux qui ont été performants et les autres etc. 2 conséquences.
D’abord, on pénalise les meilleurs, non seulement insatisfaits de ne pas être récompensés alors qu’ils ont été au top mais en plus on nourrit leur sentiment d’injustice en leur montrant que ceux qui ne l’ont pas été ont été récompensés presqu’autant qu’eux.
Mais ensuite, le pire, c’est qu’on ne satisfait pas non plus les autres car le résultat du saupoudrage c’est généralement le fait que les montants ne jouent même plus l’effet qu’on pourrait en attendre sur la motivation des gens.
Donc en substance, à court terme, on pénalise les meilleurs et on ne satisfait personne. Mauvaise pioche.
Et ajoutons que sur le plan du climat social, dont on se disait benoîtement, et peut-être inconsciemment, qu’on allait se le mettre dans la poche à peu de frais, et bien cela ne change rien.
D’abord parce que la « paix » sociale n’est pas forcément le synonyme de l’harmonie sociale. Dit autrement ce n’est pas parce que les gens ne disent rien que le conflit ne couve pas.
Ensuite parce que ce même climat ne dépend pas que de cela évidemment mais d’un ensemble de facteurs, et qu’en toute hypothèse, ce n’est pas en procédant de la sorte qu’on le rend sain et constructif, c’est même l’inverse.
Le saupoudrage c’est un message terrible envoyé à celles et ceux qui s’investissent, qui essayent de faire de leur mieux, ou qui, pire encore, se bougent le plus souvent pour compenser les errances des autres…
Comment la bonne intention qui a peut-être présidé à l’intention de l’un se transforme en enfer pour les autres.
Sur une période plus longue, lorsque ce genre de principes perdure, on a une bombe à retardement. Parce que de guerre lasse, à force de donner pour ne rien recevoir en retour ou du moins pas plus que celles et ceux qui se servent, qu’advient-il ?
Ceux qui peuvent partir partent, et c’est généralement les meilleurs. On a laissé les stars partir, c’est dommage. Et celles et ceux qui sont plus contraints de rester, pour d’autres raisons, et bien ils finissent par baisser les bras. Et là quand il n’y a plus que des « sous-performers » ou des médiocres, personne n’y gagne.
Saupoudrer n’est donc vraiment pas une bonne idée. En revanche, le manager doit s’interroger pour celles et ceux qui ne sont pas au rendez-vous. Comprendre pourquoi, voir ce qu’il peut mettre en place pour infléchir la tendance.
Et cela demande plus que de s’y intéresser une fois par an au détour d’un exercice RH qu’on vit comme imposé. Cela demande en quelque sorte d’exercer vraiment son rôle de manager.
En résumé, la pratique du saupoudrage en matière de rémunération est délétère car elle pénalise ceux qu’il faudrait récompenser significativement sans pour autant avoir d’effet réel sur ceux qui ne sont pas au rendez-vous. A court et moyen terme, elle fait perdre sur tous les tableaux.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.