Pas de partage de la valeur sans partage du pouvoir

Dans cet épisode nous allons nous demander s’il peut y avoir réellement partage de la valeur sans partage du pouvoir.

La grande tradition Gaullienne… Un tiers du profit pour l’actionnaire, un tiers réinvesti, un tiers pour les salariés… L’équilibre économique et social, c’est une longue histoire.

On pense aussi à Antoine Riboud, quand il était président de BSN, devenu Danone par la suite, en 1972 aux assises du patronat français quand il pose les principes du double projet économique et social de l’entreprise.

Même McKinsey(1) le réinvente en 2023 – enfin, je ne sais pas si c’est le bon terme – en parlant de l’entreprise « à double focale », orientée performance et capital humain… C’est dommage, ils ont oublié la planète, le climat, …

Toujours est-il que l’adéquation économique et sociale reste une longue histoire qui n’est pas finie. Et pour continuer à l’écrire, on peut se poser la question du partage de la valeur. Alors, pas de partage de la valeur sans partage du pouvoir, c’est quoi l’histoire ?

En réalité, c’est un peu un serpent de mer cette affaire. Le premier point qu’il faut souligner c’est de quoi parle-t-on quand on parle de valeur. C’est quoi la valeur ?

Dit simplement, est-ce que partager le profit de l’année, au travers d’une prime ou d’un dispositif spécifique comme l’intéressement ou la participation c’est partager la valeur ? La valeur d’une entreprise n’est pas réductible à son profit de court terme.

Cela ne veut pas dire d’ailleurs que cela ne soit pas une bonne idée ou une bonne intention que de partager le profit, y compris en utilisant ces dispositifs. Au contraire, c’est même très bien.

Indépendamment du fait que réduire la valeur de l’entreprise à sa seule performance financière alors que les enjeux RSE sont colossaux, c’est un peu court. Mais admettons.

Si l’on s’en tient à cette seule performance financière comme Alpha et Oméga de la valeur, la question se pose dans le temps et non pas à court terme. La question du partage de la valeur, en ce sens, est donc indissociable de celle du capital.

En d’autres termes, on ne peut pas réduire le partage de la valeur à une question de primes conjoncturelles assises sur une performance financière conjoncturelle. Ce dont il s’agit, c’est bien d’une perspective qui s’inscrit dans le temps donc de l’actionnariat des salariés.

Ceci pose plusieurs questions. D’abord celle du choix d’une méthode de valorisation de l’entreprise qui témoigne de la valeur avec le plus de justesse possible et qui soit peu contestée.

Pour une société cotée, l’exercice est d’apparence simple. Le cours de bourse est juge. Ce qui ne veut pas dire que cela sera admis comme un juste indicateur mais c’est un autre sujet. En revanche, pour une entreprise non cotée… C’est plus que délicat, notamment lorsqu’il s’agit de prendre en compte le goodwill.

Mais admettons qu’on dispose d’une méthode non contestée. Arrive une seconde question. Celle de la voix au chapitre. Et c’est la question essentielle.

Le sujet de la valeur c’est aussi celui de pouvoir peser sur sa destinée. Partager la valeur, suppose-t-il donc de partager le pouvoir ?

Indépendamment des natures de dispositifs par lesquels cela se matérialise, l’actionnariat des salariés, comme levier d’adéquation entre le social et l’économique, est indissociable de la place qu’ils ont dans les décisions qui affectent la vie de l’entreprise et son devenir.

C’est une question de poids dans les droits de vote bien sûr, mais aussi de savoir qui représente les salariés actionnaires au Conseil d’Administration.

En France c’est une obligation. Ce fut d’abord le cas pour les sociétés cotées quand les salariés actionnaires représentaient plus de 3% du capital, puis cela s’est étendu au-delà des entreprises cotées, notamment avec la loi Pacte.

On ne va pas rentrer dans les subtilités légales françaises entre d’un côté les représentants des salariés et de l’autre celui des salariés actionnaires. Ce qui nous importe ici c’est la logique qui préside à cette représentation.

Elle est simple en l’occurrence, partager la valeur suppose de pouvoir influer sur le devenir de l’entreprise donc de partager le pouvoir, ce qui se traduit par l’actionnariat des salariés donc leur poids dans les décisions qui pèsent sur ce devenir.

Sur un plan académique on peut noter que la « question de l’influence de la participation des actionnaires salariés à la gouvernance de l’entreprise est peu explorée » (2). Sur un plan pratique, cette question, comme toujours en amène une autre.

L’influence que l’on a sur des décisions commence bien sûr par le fait d’avoir une « place » qui l’autorise et le permet. Bien sûr. Mais encore faut-il disposer des informations et de la culture qui permettent d’exercer ce rôle.

Or c’est peut-être là une des questions essentielles. Pour qu’il ne s’agisse pas d’un miroir aux alouettes, encore faut-il avoir favorisé l’acculturation et la formation appropriée pour que cette voix au chapitre puisse s’exprimer de manière libre et éclairée !

Ce n’est pas tout en effet d’avoir une forme de pouvoir, encore faut-il être en mesure de l’exercer.

En résumé, partager la valeur, parce qu’elle s’inscrit dans le temps, suppose d’influer sur les décisions qui pèsent sur la destinée de l’entreprise. L’actionnariat des salariés est un des leviers qui permet d’exercer ce pouvoir mais encore faut-il qu’ils disposent des informations et de la culture qui leur permettent de l’exercer de façon libre et éclairée.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

(1) McKinsey & Company « L’humain, capital au cœur de la performance durable de l’entreprise » Juillet 2023

(2) Guery L. (2018), « L’actionnariat salarié : une autre conception de la place des salariés dans l’entreprise ? », in A. Stévenot et L. Guery (éds..), Rémunération du travail. Enjeux de gestion et débats de société, Economica, p. 77-88.