Intéressement et sentiment d’appartenance
Dans cet épisode nous allons parler de sentiment d’appartenance et nous demander si l’intéressement légal est un mécanisme de rémunération qui le favorise.
L’intéressement, le nom dit tout non ? Cela intéresse. A quoi ? Eh bien à la réussite de l’entreprise. Premier étage de la fusée, la participation. Tu participes. Deuxième étage, tu t’intéresses. Cela ne peut que développer le sentiment d’appartenance ça non ?
Et tu vas ajouter que le troisième étage c’est le plan d’épargne entreprise investi en actions de la boîte… Je connais l’histoire. Tu ajouteras j’imagine que l’intéressement, c’est facultatif et donc que cela envoie un message fort.
En plus ça fidélise ! En plus ça défiscalise, bref autant te dire que cela vaut le coup et tu vas voir qu’après, tout le monde va s’investir à fond pour le projet collectif de la boîte !
Si seulement c’était aussi simple que cela. En théorie, ça semble logique. Mais concrètement, l’intéressement et le sentiment d’appartenance, c’est quoi l’histoire ?
Commençons peut-être par enfoncer une porte ouverte. Ce n’est pas parce qu’on développe un sentiment d’appartenance à quelque chose qu’on s’y investit corps et âme. De nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte.
En revanche, on peut sans trop se tromper affirmer qu’un fort sentiment d’appartenance à l’entreprise ne peut que nourrir positivement cette envie. Mais revenons à notre sujet principal, l’intéressement légal.
L’intéressement et le partage des profits, la grande tradition Gaullienne… on ne peut que se souvenir des préceptes du Général, militant en faveur de leur répartition à hauteur d’un tiers pour les actionnaires, un tiers pour l’entreprise et un tiers pour les salariés.
Grand défenseur de la participation au sens large du terme, il avait posé les jalons de sa vision économique et sociale dans un discours en janvier 1948 à Saint-Etienne, ville minière symbolique. C’est chez toi ça Saint-Etienne ?
Euh oui mais c’est quoi le rapport ? On entend en effet le principe d’adéquation entre l’économique et le social par le partage du profit. Participation obligatoire et intéressement facultatif.
Qu’on peut d’ailleurs faire porter sur autre chose qu’un seul profit financier, pour ce qui concerne les contrats d’intéressement, justement si l’on veut favoriser certains aspects collectifs d’une politique. Bref, en un mot, récompenser financièrement un résultat collectif, qu’il soit financier ou pas.
Certains voient au travers de ce véhicule de rémunération un moyen de développer un sentiment d’appartenance, à l’entreprise et son projet collectif. Et ça mérite qu’on s’y attarde un instant.
Cela appelle plusieurs remarques en effet. La première on l’observe souvent dans certaines grandes entreprises. Le lien entre l’effort individuel et le résultat collectif est si lointain que les bénéficiaires n’y prêtent plus vraiment attention, en tout cas pas pour ce que cela signifie.
Ils vivent cela parfois même comme un dû. Comme une simple prime collective déconnectée de leurs efforts. On peut voir là les effets d’un manque de pédagogie de la politique de rémunération mais aussi les effets de la distance entre l’individu et le tout quand ce dernier est grand.
Ce qui ne fait que renforcer d’ailleurs l’importance du rôle de l’encadrement intermédiaire et autre management de proximité mais c’est un autre sujet.
On peut y voir aussi les effets d’une autre distance, temporelle cette fois-ci. Le laps de temps qui s’écoule entre le temps de l’effort individuel et celui de la récompense collective. Cette latence ne favorise pas le lien que les salariés font entre leur action et le projet.
Peut-être peut-on y voir enfin les effets de confusion entre les différents véhicules de rémunération, surtout lorsque la liste est longue, sans suffisamment d’explication sur leur finalité. En ce sens, au moins un BSI, c’est utile. Mais c’est un autre sujet.
Ajoutons pour la petite histoire que, lorsqu’il faut expliquer participation obligatoire et intéressement facultatif mais encadré, dans un groupe américain avec ses profit sharing plans… Comment te dire… Pas si facile… plus d’un compensation & benefit manager local y a perdu son latin.
Mais toutes les entreprises ne sont pas logées à cette enseigne d’un intéressement vus par certains comme un simple dû et non comme la récompense d’une réussite collective à laquelle ils ont apporté leur contribution.
Dans certains cas en effet l’intéressement est bien compris pour ce qu’il est. Mais est-ce une raison pour développer un sentiment d’appartenance. C’est l’objet d’une deuxième remarque.
Le sentiment d’appartenance, c’est en quelque sorte l’attachement que l’on a pour un groupe social, un édifice social comme une entreprise ou son projet. On en partage certains des attributs, qu’il s’agisse de valeurs, de croyances partagées, de manière de faire…
Bref de ce que l’on pourrait mettre derrière le vocable de culture d’entreprise. Le sentiment d’appartenance c’est donc en quelque sorte le fait de se considérer, plus ou moins consciemment, comme étant partie prenante de cette culture, d’une vision, d’une ambition.
Avec une dimension affective forte qui est par nature totalement subjective. Or, ce qui forge ce sentiment c’est un ensemble de facteurs, qui vont en effet de la culture d’entreprise à son projet en passant par ses manières de faire. En aucun cas, on ne peut limiter le sujet à une dimension financière.
C’est plutôt un lien qui se tisse avec le temps, fait de confiance et de respect, de reconnaissance au sens le plus large du terme, d’adhésion à un but institutionnel, aux moyens et méthodes pour l’atteindre, à des valeurs, etc.
Si l’intéressement peut contribuer à susciter une adhésion à un projet commun, c’est alors certainement bien plus par la qualité et la pertinence de la pédagogie qui l’accompagne que par le simple fait de rémunérer un résultat collectif.
Enfin, une troisième et dernière remarque, pour la route. L’intéressement, parce que c’est une forme de rémunération différée, s’inscrit dans le temps. On peut donc comprendre que cela contribue en effet à fidéliser, c’est-à-dire à rester pour bénéficier à plein de ses avantages.
Mais fidélité et sentiment d’appartenance sont très loin d’être équivalents, surtout lorsque la première est dictée par un intérêt financier rationnel là où le second dépend d’un intérêt souvent plus moral que financier et embarque une dimension affective.
En résumé, l’intéressement est un levier de rémunération qui ne peut pas nuire à l’investissement individuel pour une ambition collective mais il ne faut pas lui prêter à lui seul la vertu de développer un sentiment d’appartenance qui est le résultat de très nombreux autres facteurs.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.