Accidents du travail : petite mise au point

Dans cet épisode nous allons faire une petite mise au point sur les accidents du travail, en France.

« Tiens la rampe quand tu descends, ne cours pas dans les escaliers, regarde où tu marches, n’utilises pas ton téléphone en marchant, suis bien le chemin balisé ». Oh ça va, je ne suis pas un gosse, on les connait les consignes de sécurité.

Jusqu’au jour où tu te vautres dans l’escalier. Ou pire. Le camion de livraison au petit matin. Tu ne l’as pas vu. Il ne t’a pas vu. Surtout que tu n’avais rien à faire là. C’est con. Si tu avais suivi le chemin indiqué, ça ne serait pas arrivé.

On est au XXIème en France, les gens ne meurent plus au travail ? Ah bon ? On est sûr de ça ? C’est ce qu’on va voir… Accidents du travail : petite mise au point, c’est quoi l’histoire ?

Commençons par explorer les faits avec quelques chiffres sortis de la DARES[1], une étude de 2022 sur l’année 2019, en France. Ils nous livrent de premiers enseignements. Allez d’abord du brut de décoffrage.

783 600 accidents du travail avec au moins un jour d’arrêt. Presque 40 000 (39 650 précisément) donnant lieu à la reconnaissance d’une incapacité permanente et 790 mortels.

790 accidents mortels en 2019. 251 jours ouvrés. En France, en 2019, 3 morts au travail par jour ouvré. Cela vaut le coup de regarder tout cela de plus près.

Histoire de mettre les points sur les i pour celles et ceux qui, enfermés au 38ème étage de leur tour lumineuse aux beaux espaces de coworking qui pensent des mesures parfois un peu… hors sols.

Si on regarde la fréquence, l’intérim est en tête de liste, devant le médico-social et la construction. Qui l’eût cru le médico-social devant la construction ? Et l’intérim ? Cela appelle de nombreuses réflexions. A commencer par certains reportings dont tu les exclues pour améliorer l’image… Mais c’est un autre sujet. Le taux chez les intérimaires est 2 fois plus élevé que la moyenne.

Ils exercent souvent leur intérim dans des secteurs à risque certes mais c’est aussi parce que dans un même secteur leur risque d’accident est supérieur par rapport aux salariés.

Cela pose la question de leur accueil, de leur accompagnement, leur formation, et tout simplement la considération pour leurs conditions de travail, même sur une période courte.

Or, dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, où on fait appel à des intérimaires pour « boucher les trous » on a potentiellement un paradoxe : d’un côté l’entreprise ne veut peut-être pas trop investir sur l’intérimaire parce qu’il va partir et de l’autre on en a plus que besoin.

Il faudrait bien changer de regard pour les considérer comme des collaborateurs à part entière, d’autant que c’est un vivier de recrutement. D’ailleurs sur les intérimaires, ça va même plus loin selon une autre étude de la Dares en 2023[2] : les salariés qui côtoient des intérimaires ont de plus grands risques d’avoir des accidents du travail.

Surtout pour les entreprises qui ont recours à des intérimaires à hauteur de 4% de leurs effectifs, quand on atteint 10% et donc que l’emploi intérimaire devient plus « pérenne », la statistique stagne.

On pourrait se demander si « boucher les trous » à court terme n’invite pas certains à s’affranchir un peu plus d’une réflexion sur le travail, son organisation et ses conditions d’exercice.

Ou sur l’urgence et ses conséquences. Tu bouches les trous parce que tout va trop vite, trop de charge, pas assez d’effectif pour l’absorber, donc on va au plus pressé. On fait au mieux comme on peut.

Cela interroge clairement sur la formation, l’intégration, la prise de poste. Les moins de 20 ans sont par exemple plus fréquemment touchés que les plus 50. Même si pour ceux-là c’est moins souvent mais les conséquences sont marginalement plus importantes.

Quand l’Assurance Maladie annonçait une baisse entre 2021 et 2019[3], notamment chez les apprentis, elle soulignait que cela venait en partie d’une meilleure formation.

Sans parler, malheureusement comme on pouvait s’en douter, de la fracture cols bleus cols blancs encore bien réelle. La fréquence et la gravité sont beaucoup plus élevées chez les ouvriers que les cadres. Presque 7 fois plus pour les accidents graves et presque 5 fois plus pour les accidents mortels.

On sait que les chiffres sont toujours difficiles à comparer, mais il semblerait en plus, selon Eurostat, que la France ne soit vraiment pas au top en Europe sur le sujet ! Bref, les faits sont là.

Alors croire que mourir au travail, en France, c’était l’affaire d’un autre siècle, c’est se tromper lourdement. Pour ceux qui pensent devoir faire ton bonheur malgré toi, pour les reines du babyfoot et les rois du massage, c’est juste une réalité à ne pas occulter.

On rappelle donc trois raisons de s’emparer sérieusement du sujet.

  1. une raison morale d’abord évidemment. On n’a pas trop envie que nos salariés meurent au travail non ?
  2. Une raison légale, là encore, une évidence.
  3. Une raison de performance si les deux premières ne suffisent pas.

C’est l’affaire de la DRH bien sûr. C’est une partie de son rôle et ce n’est pas la peine de parler d’engagement au travail si on n’assure pas le minimum en garantissant la sécurité. Mais pas uniquement de la DRH.

Il suffit d’avoir passé quelques heures en usine, d’avoir traversé un chantier, en hiver tôt le matin, d’avoir conduit un clark dans un entrepôt ou d’avoir manié un simple outil alors qu’on est fatigué pour comprendre deux choses simples.

  1. Cela peut arriver très vite.
  2. C’est l’affaire de toutes et tous. Avec le manager de proximité en première ligne. Mais aussi la direction, son engagement sur le sujet et les moyens qu’elle y accorde.

En résumé, certains pourraient penser que les accidents du travail sont d’une autre époque. Et pourtant c’est une réalité brutale pour une partie de la population, notamment les ouvriers et les intérimaires. Si en réduire le risque c’est loin de suffire pour fidéliser, ça peut suffire pour faire fuir. C’est un sujet dont il faut s’emparer réellement.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

[1] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fc1d32107c808681c0c4db5f9e5fd6ba/Dares-Analyses_Accidents%20du%20travail%20en%202019.pdf

[2] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/34f3368d026743e68b7cf3ecfee2d08e/DA_AT_sous-traitance.pdf

[3] Source : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-la-france-est-elle-le-pays-d-europe-qui-a-le-plus-d-accident-du-travail-mortels_5632199.html