Expertise, vulgarisation et synthèse

Dans cet épisode, nous allons parler d’une difficulté qui se pose à tout expert, à savoir donner son avis d’expert à celles et ceux qui décident.

Le diable se cache dans les détails dit l’adage et l’enfer est pavé de bonnes intentions, alors imagine quand la bonne intention s’évertue à couper les poils de cul en 4 dans le sens de la longueur, on n’est pas sorti de l’auberge.

Et c’est pourtant, parfois, cette attention aux détails qui permet de dénicher le diable, de le débusquer et de ne pas tomber dans ses pièges, faute d’attention.

L’expert le sait bien. Il connaît la moindre note de sa partition. Normal, c’est son domaine d’expertise. Seulement, dans certaines situations, on ne lui demande pas de régler le papier à musique.

Parfois, les décideurs ont en effet besoin de décider. Alors ils se tournent vers l’expert pour lui demander son avis. Alors, expertise, vulgarisation et synthèse, c’est quoi l’histoire ?

On ne va pas chercher ce dont on sait qu’on ne le trouvera pas. Il n’y a aucune loi universelle qui peut nous permettre de déterminer en toute situation le juste niveau de détail ou de synthèse qui convient.

La fourche et le peigne fin, ça ne sert pas à la même chose. Le foin et les poux ! Alors, ne cherchons pas à trouver l’instrument universel, quelque part entre le microscope et la louche. C’est une question de discernement de celui ou celle qui choisit ce qu’il faut au regard de la situation et de ce qu’il vise.

D’autant que la seule notion de degré de finesse de quelque chose est à géométrie variable. Tiens, prends le spécialiste de la paie qui veut du « temps réel », expression choisie, pour son SIRH…

C’est quoi le temps réel dans la paie ? A la semaine, au jour, à l’heure ? La minute pour les trains, la seconde pour ta montre et la nanoseconde dans le nucléaire ? Bref.

L’expert sait généralement quel degré de finesse sied à ce qu’il doit faire. Il connaît le métier. Il a les ordres de grandeur en tête, il a l’habitude et sait ce qu’il veut faire et choisit en conséquence.

En revanche, l’expert a toujours un peu plus de mal dès lors qu’il faut expliquer la quintessence de son expertise. D’abord pour une raison simple : celui qui sait n’a pas nécessairement envie de transmettre ce qu’il sait, et par ailleurs il ne sait pas nécessairement le transmettre.

Vulgariser une chose technique, surtout si l’on s’adresse à un profane, demande de fait des compétences pédagogiques qui n’ont rien à voir avec l’expertise, et tout expert n’en est donc pas doté.

Sauf si tu es expert de la pédagogie. Bref. En fait, jusque-là c’est évident, ce n’est pas parce que l’on sait quelque chose qu’on sait le transmettre.

Généralement, la situation la plus difficile pour l’expert c’est de fournir un rapport d’expertise pour un décideur qui doit faire des arbitrages, qui tiendront compte de cet avis d’expert mais pour qui cela n’est pas le seul critère.

La, l’expert peut vite être confronté à des écueils. Bien sûr, il doit forger son avis d’expert avec tout ce que l’art et la technique de son domaine d’expertise requiert. Il construit son avis au mieux de l’état de son art.

Les problèmes viennent plutôt ensuite lorsqu’il faut communiquer cet avis à un décideur pour que ce dernier puisse faire des choix en connaissance de cause. Cela mobilise de nombreuses qualités et postures mais on va en l’occurrence s’attarder sur trois d’entre elles.

La première c’est que l’expert doit d’abord ne pas se sentir obligé d’étaler son expertise, comme s’il avait besoin de la justifier.

Combien d’experts métiers, en réunion, passe en effet leur temps à chercher à impressionner celles et ceux auprès desquels ils aimeraient peut-être briller, à force de détails techniques qui justement les emmerdent au plus haut point ?

C’est précisément ce qu’il ne faut pas faire et ce, pour deux raisons simples. La première c’est que tu es légitime sur ton sujet puisque c’est toi l’expert. D’ailleurs, si on te paye en tant qu’expert et qu’on ne t’a pas mis à la porte, c’est bien qu’on a confiance en ton expertise.

La seconde, c’est que ce n’est surtout pas ce qu’on attend de toi. Le décideur attend que tu l’aides à faire ses arbitrages, puisque toi tu connais le sujet et que ton sujet est un bout de sa décision.

La deuxième posture à laquelle l’expert doit être attaché en de pareilles circonstances c’est de précisément trouver le juste niveau de synthèse de son expertise pour que les décideurs puissent arbitrer.

Il faut donc leur donner les clés de cet arbitrage. Qu’est-ce qui le conditionne, donc en substance, ce qui compte et fait la différence et surtout quelles sont les conséquences de manière à ce que le responsable qui doit choisir puisse justement exercer sa responsabilité.

Et la tienne, en tant qu’expert, est de lui faire toucher du doigt la portée et les limites de ses décisions sur le seul sujet qui t’incombe. C’est une affaire de juste degré de synthèse donc.

Un niveau de synthèse qui n’est pas déterminé en fonction de toi et de la subtilité technique de ton domaine mais bien de la finalité poursuivie par les interlocuteurs qui te sollicitent et de l’état de ton art.

La troisième posture à avoir en tête c’est qu’on te demande ton avis sur ton champ d’expertise. Pas sur le reste. Or, tout décideur devra vraisemblablement tenir compte d’autres paramètres que ceux qui relèvent de ton seul domaine.

C’est d’une part inutile de t’escrimer à démontrer que les paramètres de la décision liés à ton expertise doivent prédominer sur les autres ou à donner ton avis sur des domaines qui ne sont pas les tiens. Ce n’est pas ce qu’on attend de toi et, en outre, tu sors de ton champ de responsabilité et donc te décrédibilise.

D’autre part, si tes raisons techniques n’emportent pas la décision parce qu’il y a d’autres facteurs qu’il ou elle a estimé plus importants, n’en soit pas affecté. Tu ne sais pas s’il a raison ou tort. Lui non plus peut-être d’ailleurs. C’est le principe même de la responsabilité.

Diriger c’est décider et décider c’est le risque de se tromper. Mais c’est celui qui décide qui porte la responsabilité de la décision et ses conséquences. Pas toi. Toi, tu es responsable de ton seul champ d’expertise.

En résumé, l’expert a pour responsabilité de forger son avis selon l’état de l’art de son domaine d’expertise et d’en fournir les clés de lecture, avec le niveau de synthèse approprié, à celles et ceux qui prennent, eux, la responsabilité des décisions, le plus souvent en tenant compte d’autres facteurs.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire