Quête de sens ou besoin d’alignement ?

Dans cet épisode nous allons évoquer cette fameuse quête de sens qui animerait les salariés des entreprises.

Moi chef je veux du sens sinon je suis sens dessus dessous, c’est-à-dire sans sens et après je pars dans tous les sens.

Et tu voudrais que je t’encense parce que ton essence c’est le sens ? Sans vouloir t’offenser c’est juste du bon sens.

En un mot comme en cent, encense-moi, ça me suffira. Au sens figuré bien-sûr.

Je le sens pas ton histoire de l’encens. En revanche, on peut se demander quel est le sens de cette quête de sens. Alors entre quête de sens et besoin d’alignement, c’est quoi l’histoire ?

C’est vrai que la polysémie du mot sens invite à elle seule à de multiples ouvertures. Si le sens que je réclame de mes vœux et celui du sens au sens de la direction je réclame quoi : qu’on m’indique une orientation ou que j’ai besoin d’un chef et d’un cadre ?

En d’autres termes, que je comprenne à quoi je contribue. Une orientation générale dans laquelle s’inscrit mon orientation particulière ? Auquel cas on parle ici de la base de la pédagogie managériale. Un des fondamentaux du management.

Ou bien s’agit-il de la direction au sens de celui ou celle qui dirige ou du service auquel tu es rattaché, auquel cas ce que tu réclames relève de la lisibilité des organigrammes, des rattachements et du besoin d’avoir un cadre clair.

Mais à lire les observateurs et commentateurs de la vie de l’entreprise, qui ont brandi successivement le spectre d’une grande démission ou du conscious quitting, on se doute que ce n’est pas de ces sens-là dont il s’agit.

En d’autres termes, on sent bien qu’il s’agit du sens qui fait sens. Le sens de ta petite histoire quoi. Ce qui constitue en quelque sorte une raison d’être à ce que tu fais. Tu sais ce fameux sens qu’on ne donne pas mais qui fait sens et qu’on explique.

En fait ce n’est pas trop compliqué à comprendre. Ce qui fait ton intérêt au travail c’est la combinaison constante de trois dimensions.

  1. Adhérer à un projet collectif qui donne à tes yeux un peu sens aux efforts que tu vas faire. Genre éviter Sisyphe.
  2. Avoir un minimum de marges de manœuvre pour apporter ta contribution. Genre la métaphore du tailleur de pierres.
  3. En tirer une reconnaissance morale et matérielle que tu estimes juste au regard de ce que tu as consenti.

Ce n’est pas très loin du sentiment de satisfaire un besoin d’utilité et dont on retire quelque chose.

La compréhension de ce que les gens mettent derrière cette idée de sens est essentielle, car on peut aussi y projeter les biais d’interprétation des analystes et commentateurs.

Celui qui est parfaitement conscient de la mascarade ou de l’absurdité qui règnent dans certaines entreprises par exemple peut tout-à-fait se dire que c’est cela que les salariés mettent derrière l’idée de sens alors qu’en réalité la représentation qu’ils en ont c’est juste de se sentir utile aux autres par exemple.

Un sondage Opinion Way pour l’Anact sur « Les actifs et le sens au travail » en juin 2022 nous donne en ce sens un éclairage qui n’est pas inintéressant.

On peut d’abord y noter la prégnance du sujet. 4 répondants sur 10 affirment ainsi envisager de quitter leur emploi pour un autre, davantage porteur de sens, dans les deux ans à venir.

On peut aussi noter que la proportion est plus importante chez les jeunes, les managers et les femmes mais c’est un autre sujet.

Cette information, combinée avec le discours ambiant sur le désengagement, parfois savamment entretenu par des acteurs du marché qui y ont tout intérêt pour vendre leurs services, et à l’évolution des arrêts maladie pour cause de charge mentale, la réponse est toute trouvée.

Les salariés souffriraient et partiraient parce qu’ils ne trouvent pas de sens à ce qu’ils font au travail. CQFD. Hypothèse qu’on établit pour vrai, à la faveur des émotions post-covid, en arguant du fait qu’ils ont majoritairement pris conscience de cela lors des confinements successifs, propices à la réflexion et l’introspection. Double CQFD.

Mais s’il s’agissait d’une idée reçue ? D’une conclusion un peu hâtive ? Le même sondage Opinion Way pour l’Anact met en lumière que seulement 2 répondants sur 10 affirment s’interroger plus qu’avant la crise sanitaire sur le sens de leur travail.

Bah alors ils faisaient quoi ceux-là pendant les confinements ? Des barbecues et des apéros ? Ils sont restés scotchés devant Netflix sans s’interroger sur le sens de la vie et la place que leur travail y occupe ? Diable !

Ce serait presqu’à croire que les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît et qu’on veut bien nous le dire, ou surtout qu’on veut bien croire. Tiens tu parlais de conscious quitting ? Et bien le même sondage nous révèle que plus de 8 actifs interrogés sur 10 déclarent que leur travail a aujourd’hui du sens.

Bah alors pourquoi ils seraient prêts à partir ailleurs pour un travail qui en a plus. Pourquoi souffriraient-ils de cette absence de sens au point de se faire porter pâles.

Et en étant vraiment pas bien ! Ce n’est pas du pipeau, ils souffrent vraiment au point d’être mal. Je ne parle pas de l’infime minorité des arrêts de complaisance qu’on brandit toujours comme le fait le père fouettard plutôt que de s’attaquer à la racine du problème. Mais c’est un autre sujet.

Toute la question réside en vérité dans ce que les intéressés mettent derrière un travail qui a du sens. Et c’est là ce que pointe du doigt cette étude déjà citée.

Pour les actifs interrogés, un travail qui « a du sens » est un travail qui répond à trois dimensions : son utilité, la cohérence éthique, et sa capacité à contribuer au développement des personnes.

Deux de ces représentations sont finalement dans l’idée que l’on se fait couramment de la notion de sens au travail : que cela serve à quelque chose et que cela soit bien sur un plan humain. Mais c’est la troisième qui attire notre attention.

La cohérence éthique. Comme si l’on ne voulait plus participer à quelque chose avec lequel on est en désaccord, qu’il s’agisse par exemple de valeurs qui nous animent ou, toujours à titre d’exemple, d’un washing qui heurte notre morale, qu’il soit purpose washing, green washing, social washing ou ce que tu veux.

En d’autres termes, éviter ce qui fait mal : la dissonance. Le grand écart entre les belles intentions et la réalité moins noble. Le fake. La malhonnêteté intellectuelle, la récupération politique, les impostures, les mercenaires qui se foutent du tiers comme du quart du collectif.

Bref tout ce qui tiraille le bide des gens honnêtes qui travaillent aspirent simplement à pouvoir faire leur travail honnêtement dans une boîte honnête. En somme un besoin d’authenticité dans un monde qu’ils jugent peut-être devenu fake ou superficiel. Un besoin de cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait.

C’est-à-dire un besoin d’alignement dont la non-satisfaction est clairement source de mal-être.

En substance si certains et certaines aspirent à de grands desseins, donnant sens à leur entreprise, d’autres cherchent à vivre leur travail sans être confronté à des déchirures morales qu’il s’agisse de la responsabilité environnementale ou sociale dont on se targue mais qu’on contourne, de la raison d’être qu’on réduit à des intérêts de court terme au détriment même de la valeur de l’entreprise, des valeurs qu’on affiche en lettres d’or mais qu’on bafoue dans les faits… Etc.

En résumé, la quête de sens des salariés peut bien sûr trouver sa source dans le besoin de contribuer à quelque chose qu’on estime utile mais c’est aussi pour certaines et certains le simple et légitime besoin d’alignement, c’est-à-dire de ne pas être trop confronté à des dissonances flagrantes sources de mal être.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire