Severance et le contrôle

Cet épisode est le 3ème d’une série de podcasts qui portent sur les réflexions que la série Severance, nous inspire.

On ne va pas vous refaire le pitch de la série Severance ici, vous le trouverez dans le 1er épisode de cette mini-série.

Dans cet épisode, on va parler de contrôle…

Tu sais il y a des endroits où tu n’as pas le droit de dire merde… Sinon tu es puni. Et d’autres, où tu peux dire merde… mais on a fait en sorte que cela ne te vienne pas à l’esprit !

Genre l’illusion de la liberté comme moyen de contrôle donc de soumission. Tiens, dis aux gens, allez où vous voulez, faîtes ce que vous voulez, il y en a beaucoup qui, tétanisés d’angoisse à l’idée de ne pas savoir où aller ne bougeront pas d’un pouce.

Mets leur un patron ou une patronne good looking, genre cool sympa, proche des gens et qui leur trace un chemin. Et hop le gourou est né.

Au cœur de tout ça, le contrôle des gens. Alors, Severance et le contrôle, c’est quoi l’histoire ?

Dans Severance, les employés de Lumon industries sont libres d’entrer et de sortir de l’entreprise sans qu’aucune contrainte de type enfermement ne vienne les retenir.

En l’occurrence c’est tout le bénéfice, si j’ose dire, de la dissociation. Deux consciences mais séparées, chacune d’entre elles ignorant tout de l’autre.

La personne privée, qui pourrait être éclairée en sortant, par des amis qui lui ouvriraient les yeux, par ses lectures, par des activités culturelles etc. pourrait se questionner sur ce qui se passe dans le monde du dedans. Elle pourrait prendre de la distance, se demander ce qu’est sa liberté, ce qu’est le sens de la vie

Le rôle qui occupe son travail, le sens de son travail etc. Genre un peu le confinement durant lequel les gens ont gambergé. C’est paradoxal non ? Enfermés ils se sont ouverts. Les murs ont favorisé l’introspection.

Mais là ce n’est pas possible puisqu’aucune des deux consciences n’est consciente de l’existence de l’autre… Pas de contre-information pour utiliser les mots de Deleuze. Pas de contre-pouvoir, personne pour t’ouvrir les yeux…

Alors ils restent, pas besoin de les enfermer physiquement puisqu’ils ne sont pas conscients d’un possible ailleurs. Tu vois l’image ? Pour avoir envie de sortir, encore faut-il avoir conscience de l’existence d’un monde du dehors. Dedans-dehors, entre les deux un sas qui dissocie.

Dans « Surveiller et punir », Michel Foucault avait théorisé les sociétés disciplinaires, dans lesquelles les lieux d’enfermements exercent une fonction de contrôle : l’usine, l’école, l’hôpital…

Le confinement… Mais Foucault faisait aussi émerger l’idée que ces sociétés étaient transitoires… Et Gilles Deleuze a poursuivi en introduisant l’idée de société de contrôle.

Severance en est le stade le plus ultime. Dans une conférence à la fondation Femis en 1987 sur « l’acte de création ? »[1] Deleuze affirme que la société de contrôle repose sur l’information.

Il soulignait le fait que l’information était un « mot d’ordre » car elle dit « ce que vous êtes censés devoir croire » ou plus exactement de « nous comporter comme si nous le croyions ». Informer c’est alors « faire circuler un mot d’ordre ».

Plus loin encore, considérant que la contre-information qui vient infirmer le mot d’ordre étant inopérante, il estime qu’il n’y a plus que l’acte de résistance, au premier rang duquel il mettait l’acte de création, pour échapper à l’asservissement.

Dans Severance, le problème est réglé. En dissociant les consciences, la contre-information ne peut exister, ni l’acte de résistance. Rien ne vient l’éclairer ou en allumer l’étincelle. Il n’y a que le système de mots d’ordre de Lumon Industries. La boucle est bouclée en l’occurrence la boucle de l’information, tournant sur elle-même et enfermant au plus haut point.

Les murs sont alors inutiles et Lumon Industries devient l’idéal de la société de contrôle…

Allons plus loin, avec les principes des algorithmes d’apprentissage profond, de type GPT. Bien sûr, ils ouvrent un potentiel d’utilisation considérable au regard de la puissance qui est la leur.

Puissants mais ils n’apprennent que de ce qu’on leur donne à voir tout en étant incapable d’en apprécier la valeur. L’image est la même, le monde qu’on te donne à voir est ta seule référence

Mais si notre désir de confort et de bien-être, avec le lot de paresse qui va avec, venait dans la pratique à ce que nous remplacions les moteurs de recherche traditionnels comme Google  par des robots conversationnels de type ChatGPT ? Que se passerait-il [2]?

L’hypothèse est probable, mais c’est un autre sujet. Le robot deviendrait alors la norme d’utilisation parce que c’est encore plus simple… L’algorithme générateur des mots d’ordre, aucune contre-information, tu ne connais même pas ses sources.

Tous les ferments de la société du contrôle… de la pensée réunis parce que notre désir de confort nous rend paresseux. Notre désir de bien être, comme le tue mouche, qui crée les conditions de notre asservissement…

Severance, n’est donc peut-être pas aussi loin que cela si l’on est paresseux… Comme quoi, apprendre demande toujours des efforts. Et il reste heureusement l’acte de résistance de Deleuze… La création. Ce qui remet en cause l’algorithme. Ce que lui ne peut pas faire

En résumé, pour que l’information ne soit pas le levier inéluctable du contrôle des personnes et donc de leur asservissement, il faut développer la culture, l’exigence du questionnement et de l’esprit critique pour nourrir la possibilité d’une contre-information. Cela ne se fait jamais sans effort.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] Deleuze G. (1987, 17 mars) Qu’est-ce que l’acte de création ? Conférence donnée dans le cadre des mardis de la fondation Femis. https://www.webdeleuze.com/textes/134

[2] http://observatoire-asap.org/index.php/2023/03/06/chatgpt-et-la-prophetie-de-deleuze/