Severance, entre dissociation et mascarade

Cet épisode est le 1er d’une série de podcasts qui portent sur les réflexions que la série Severance, nous inspire.

Severance, c’est l’histoire d’une entreprise, Lumon Industries, dans laquelle chaque employé, avec son consentement, est dissocié. Une personne qui a deux vies bien distinctes. Quand elle est au bureau elle ne sait pas qui elle est dehors. Quand elle est dehors, elle ignore l’existence de celle qui travaille et le tout en passant au travers d’un sas à la porte de l’entreprise.

Dans cet épisode, nous allons parler de dissociation, de vie privée/vie professionnelle et de mascarade.

J’ai besoin d’un break. Une pause quoi. La vie professionnelle est harassante, ses injonctions contradictoires me poursuivent jusque dans mes rêves, la charge mentale c’est un flux continu qui me taraude du soir au matin, la tête de mon horrible collègue de bureau me hante même les weekends !

« Débranche ! débranche tout ! » comme disait France Gall. « Revenons à nous »… enfin en l’occurrence reviens à toi. Fais la part des choses, ne laisse pas ta vie professionnelle envahir ta vie personnelle. Sépare les deux !

Si seulement j’avais un interrupteur. Je quitte le taff, je switche et hop les soucis pros sont oubliés. Je rentre au boulot, je switche dans l’autre sens, et re-hop oubliés les soucis personnels. La belle vie quoi.

C’est le principe de la dissociation abordé dans la série Severance. Mais est-ce une bonne idée ? Alors, Severance, entre dissociation et mascarade, c’est quoi l’histoire ?

Comme toute dystopie, dans la lignée de 1984, Brazil ou Metropolis, Severance invite à la critique d’un système ou d’une idéologie. On va s’attarder dans ce 1er épisode sur ce qui en fait le cœur en l’occurrence cette idée de dissociation.

Ils voulaient une frontière étanche entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, pour que la première n’envahissent pas la seconde – à noter que dans l’autre sens ça les dérangeait moins – et bien leur rêve a été exaucé.

Fini ton vilain patron qui te poursuit dans tes rêves, tu n’as même plus conscience qu’il existe. A chaque jour suffit sa peine, en l’occurrence à chaque espace de vie sa réalité.

Le concept de dissociation est défini par le DSM-5, le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » de l’association américaine de psychiatrie comme « une perturbation et/ou une discontinuité dans l’intégration normale de la conscience, de la mémoire, de l’identité, des émotions, de la perception, de la représentation du corps, du contrôle moteur et du comportement »

On n’entrera pas dans la complexité et l’étendue du sujet, on en est incapable et on dirait des conneries. En revanche, on peut retenir l’idée, certainement très réductrice et simpliste, d’une rupture comme une sorte de mécanisme de défense face à un traumatisme.

Celui ou celle qui est exposé à une activité professionnelle qui peut l’affecter en profondeur, on imagine aisément le cas des professions médicales par exemple, peut avoir besoin d’une certaine distance entre sa personne et ce qu’elle fait pour que sa personne ne soit pas trop affectée par ce qu’elle fait.

On parle ici d’une distance, qui peut présenter des vertus, parfois salvatrices lorsque ce que l’on met à distance peut avoir des conséquences dévastatrices. Mais on parle de distance, pas de rupture. Dans cette distance, le lien existe. Dans la rupture il n’y a plus de lien. Et en l’occurrence dans la série Severance, le lien est rompu. Comme toute dystopie, on a poussé l’idée à son extrême.

Si on se met dans la perspective de l’équilibre vie privée / vie professionnelle, on peut comprendre le besoin que l’un ne pollue pas intempestivement l’autre. C’est un besoin d’équilibre, d’harmonie somme toute légitime.

Mais lorsque la réponse à cette quête prend la forme d’une séparation que l’on espère la plus étanche possible, le risque de rupture apparaît.

Rupture entre ce que l’on est, une personne une et entière, une unité non découpable, et le rôle qu’elle endosse, celui de son personnage lorsqu’elle travaille. Comme le garçon de café de Jean Paul Sartre, aux gestes automatisés, qui joue à être un garçon de café, et oublie d’être simplement lui-même.

C’est le masque vénitien que l’on met en allant travailler… On voit l’image de ce masque souriant, parfois proche de la folie, tant il dissimule l’être qui est derrière.

Le terme de dissociation est porteur de l’idée de rupture. Dissocier, c’est-à-dire séparer, c’est briser le lien entre ce que nous sommes et notre personnage. A l’échelle personnelle, celle de l’individu, pas sûr que cette rupture soit source d’un mieux-être…

A cette échelle individuelle, ce que l’on doit alors viser n’est pas l’établissement d’une frontière entre vie professionnelle et vie privée mais plutôt une harmonie entre ce qu’on est et ce que l’on fait. En d’autres termes, éviter de jouer un rôle qui n’est pas le nôtre.

Facile à dire quand l’environnement professionnel est sain et que la vie privée n’est pas étouffante. Beaucoup moins facile à faire quand l’un ou l’autre est déséquilibré.

La quête de l’équilibre est légitime mais la frontière comme réponse ne le favorise pas. La frontière ne permet pas l’harmonie car elle brise le lien. Il vaut donc mieux des sas de décompression plutôt que des sas de dissociation comme dans Severance.

Et ces sas sont propres à chacun. Qu’on me présente le premier Chief Happiness Officer qui aurait trouvé LE sas de décompression de chaque individu sans exception, j’aurais de nombreuses questions à lui poser.

Par ailleurs, à l’échelle du collectif de l’entreprise, si chacun et chacune revêt son masque, c’est qu’il y a un loup. Et c’est le cas de le dire. Quand tout le monde porte un masque, c’est une mascarade.

Une comédie hypocrite qui peut vite tourner à la tragédie, surtout quand on ne choisit pas le masque que l’on porte.

Le masque a une double signification intéressante qui peut mettre le sujet en perspective. Le masque dissimule mais il peut aussi constituer une sorte de médiateur entre soi et le monde, et on en revient inlassablement au lien, à la distance salvatrice mais en aucun cas à la séparation douloureuse.

En résumé, la dissociation est porteuse de l’idée de rupture. Une frontière étanche entre vie professionnelle et vie privée, en tant que séparation, n’est pas propice à l’épanouissement de chacun et chacune. Elle se révèle davantage être une mascarade.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire